Une des photographies les plus emblématiques de 1940 : des Marseillais regardent passer, les larmes dans les yeux, les rescapés d'un régiment de la ville de retour dans la cité après l'armistice.
L’armistice de 1940
Histoire d’une faute tragique
Jacques Bourdu, avec une préface de Pierre M. Gallois
François-Xavier de Guibert, 228 p., cartes, annexes, biblio.
L’armistice de 1940 demeure un traumatisme pour les Français qui l’ont vécu et pour tous ceux qui cherchent une explication facile au fait que la France ne soit plus une puissance de premier rang.
Dans cet ordre d'idées, vient de paraître aux éditions François-Xavier de Guibert un opus signé par Jacques Bourdu (avec une préface de l’inusable général P. M. Gallois) qui tire une nouvelle bordée contre les fauteurs d’un « armistice déshonorant » qui reste un « handicap considérable » expliquant que la France n’ait pas « participé aux grandes conférences qui devaient conditionner «l’après-guerre. »Mais l'eurosceptique pointe le bout de l'oreille en écrivant : « soixante-cinq ans plus tard, au moment où l’avenir de la nation et son existence même sont en jeu, peut-être conviendrait-il de tirer les leçons de cet effroyable gâchis dans lequel la France a failli disparaître ». Voilà, pour l'auteur, les panzerdivisionen qui ont mis la France à genoux sont aujourd'hui remplacées par des légions d'eurocrates anonymes et le général von Manstein a cédé la place au Gross Kommissar Barroso. Il suffisait d'y penser.
Je commence toujours la lecture d'un livre d’histoire par un examen de la bibliographie. Or, il suffit de jeter un coup d’œil sur celle de Jacques Bourdu pour repérer les lacunes de son information. Certes, on trouve quelques titres intéressants comme celui de François Delpla, l’Appel du 18 juin 1940 (des livres importants pour le sujet du même auteur comme la Face cachée de 1940, Montoire et Churchill et les Français brillent par leur absence alors que certains ont été publiés par le même éditeur), mais aussi un faux notoire comme Hitler m’a dit de Hermann Rauschning et le IIIe Reich, le best-seller du journaliste américain William Shirer, dont la valeur historique est proche de zéro. Les œuvres des adversaires de l’armistice sont nombreuses comme l’Abominable armistice de 1940 écrit par Henri Longuechaud.
En revanche on cherche en vain les ouvrages des auteurs qui ont défendu des thèses contraires, comme ceux du général Jacques Le Groignec (qui s’est battu en 1940 contre les Allemands et qui a vécu la défaite puis la renaissance de l’Armée française), ou les titres les plus récents sur le sujet comme le Mythe de la guerre-éclair : la campagne de l'Ouest de 1940 de Karl-Heinz Frieser (Belin, 2003). On peut déduire de cette bibliographie démodée, aux titres d'une valeur plus qu'inégale, que l'auteur a seulement cherché à étayer une thèse et pas à conduire une étude historique.
Cette première impression est-elle vérifiée par la lecture de l'ouvrage ?
Au fil des pages il est évident que l'auteur illustre à merveille une démarche à la fois anachronique et moralisatrice. Il part d'un présupposé : l'armistice est moralement une faute car la suite de la guerre aurait justifié une poursuite des combats. Ce faisant il analyse les motivations des décisions tragiques de juin 1940 non à l'aune de ce que les acteurs savaient, mais en fonction de ce que l'auteur croit savoir aujourd'hui.
Cette méthode permet d'écrire des livres plaisants à lire et qui flattent les opinions de ceux qui partagent les inclinaisons de l'auteur. En revanche, la valeur démonstratrice de ces pages est insuffisante pour emporter la conviction de lecteurs un peu au fait de ces questions.
Toutefois, comme le souligne l’auteur de la préface, son véritable but est d'influencer la politique actuelle de la France : ce livre est une piqûre de rappel contre le défaitisme et le virus « Jean Monnet de l’utopie européenne ». Mais une fois de plus, stigmatiser les derniers gouvernements de la IIIe République, les chefs militaires ayant conduit la bataille et le gouvernement ayant choisi de demander un armistice, les accusant de porter la responsabilité de la décadence de la France et de la fin de son statut de grande puissance est commettre une erreur grave.
Contrairement à ce qu’affirme le général Gallois, l’Allemagne n’est pas responsable de l’affaiblissement de la France. La politique d’un Bismarck, d’un Guillaume II, d’un Hitler ou d’un Helmut Kohl est le résultat d’un rapport de forces.
Le statut de grande puissance d’un pays ne dépend pas de la richesse de son passé ni de l'ego surdimensionné de ses habitants. Il résulte d’une combinaison de facteurs où la démographie, le dynamisme économique et la capacité de création intellectuelle jouent un rôle déterminant.
La France a cessé d’être une puissance dominante en Europe à la suite d’une série d’événements déjà anciens dont le cumul a conduit au déclassement de notre pays.
En premier lieu, le frein démographique qui, depuis la seconde moitié du XVIIIe siècle, a fait progressivement perdre à la France sa première place parmi les nations les plus peuples d’Europe. En deuxième lieu, retard dans l’enclenchement de la révolution industrielle. En troisième lieu, les conséquences désastreuses de la Révolution française : vingt-cinq années de chaos parachevées par les grandes boucheries napoléoniennes.
L’auteur rappelle les chiffres de ce déclin dans son introduction. En 1789, la France comptait 25 millions d’habitants, l'Angleterre 10 et la Prusse 5. En 1914 la France alignait 40 millions d’habitants et l’Allemagne 60. Les comptes étaient vite faits.
Faute de potentiel démographique, pas de colonisation de peuplement. Sans colons, pas de capacité à défendre son territoire en l’occupant, le cas de l’Amérique du nord est exemplaire. Faute de surplus de population, pas de main d’œuvre pour un développement industriel massif.
Bien des choses pourraient être dites pour étoffer cet argumentaire mais la première sanction importante est venue lors de la guerre de 1870 quand une Allemagne en pleine croissance démographique et en plein développement industriel a mis à terre une France de rentiers et de fils uniques.
La IIIe République a consacré une énergie considérable pour prendre sa revanche, mais elle ne pouvait plus battre à elle seule l’Allemagne devenue la première puissance du continent par la force de ses berceaux, de ses ateliers, de ses laboratoires, de ses universités et de son système d’apprentissage.
Seule une coalition pouvait permettre la « revanche ». Pour y parvenir, la France a bâti une alliance contre nature avec la Russie tsariste et avec le Royaume-Uni. Le prix à payer a été élevé : financement à fonds perdus de l'économie russe et concessions sans nombre aux ambitions britanniques, souvenons-nous de Fachoda.
La Grande Guerre était la conclusion logique du refus d’accepter le monde tel qu’il était au profit d’une illusion. Le résultat fut terrible : plus d’un million et demi de morts, un quart du territoire ravagé et une nation ruinée. Un prix cher payé pour un rêve de grandeur.
Comme le souligne l’auteur, le traité de Versailles de 1919 « ne lui a apporté aucune garantie sérieuse pour sa sécurité ». Mais pouvait-il en être autrement avec un traité qui ne mérite pas le nom de traité car il ne fut pas négocié, mais imposé ? Les Allemands avaient-ils tort de le qualifier de diktat ?
A Chicago, la population explose de joie dans les rues à la nouvelle de la signature de l'armistice de 1918.
Une écriture contestable
L’auteur n’est pas un historien, mais un procureur. Il n’écrit pas une relation des événements mais un réquisitoire. Il a besoin de désigner des coupables pour justifier a posteriori le déroulement des événements.
Prenons l’exemple de la « victoire incomplète ». L’auteur explique que l’armistice du 11 novembre 1918 est venu trop tôt, paralysant l’offensive Pétain-Pershing qui devait porter les armées alliées sur le territoire du Reich. Jacques Bourdu ajoute que l’armée allemande ne se sentait pas vaincue. Il cite à l’appui de cette thèse les propos de différents chefs militaires (mais en oubliant le général Pétain pourtant le général en chef des Armées françaises).
En revanche on trouve la citation suivante du maréchal Foch, généralissime des armées alliées :
« Les Allemands ont accepté les conditions que nous leur avons imposées mais ils ne se sont pas déclarés vaincus, et le pire est qu’ils croient sincèrement ne pas l’être. Pourtant, je suis convaincu que si l’armistice n’avait pas été signé, l’armée allemande aurait été, sous peu, contrainte à une capitulation générale. »L’auteur aurait pu tout aussi bien citer les propos de Foch dans lesquels il justifie sa décision de signer l'armistice en arguant qu'une fois que l'ennemi accepte les conditions politiques de la victoire il est injustifiable de verser le sang d'un seul soldat de plus.
Les canonniers de la batterie D du 105e régiment d'artillerie américain manifestent leur joie après le tir du dernier coup de canon à 11 h du matin le 11 novembre 1918.
Jacques Bourdu aurait pu également citer un historien Guy Pedroncini qui explique que la France n'était pas en mesure de s'opposer au désir d'armistice des puissances anglo-saxonnes, elle ne faisait pas le poids. Ainsi, contrairement à ce qu'il écrit, la rédaction aussi en anglais du traité de Versailles ne constituait pas le premier recul de notre influence, mais seulement un de plus d'une longue liste. Encore un effet de l’illusion.
Le ressentiment de l’Allemagne après Versailles est logique. Comment accepter une paix imposée ? La montée des périls de l'entre-deux guerres en est la suite logique. En parallèle, la démobilisation de la France s’explique par le coût trop élevé de la facture de l’illusion de la grandeur. Elle se lit sur les monuments aux morts de chaque village de France.
L’auteur a raison d’insister sur la division des Français. Le pays est miné par un Parti communiste aux ordres de l’Internationale communiste et qui se soucie bien peu de défendre les intérêts de la France.
La déclaration de guerre en septembre 1939 arrive au mauvais moment mais nous sommes prisonniers de l'alliance anglaise. L’auteur s’en donne à cœur joie pour critiquer la conduite de la guerre par nos chefs militaires et il a bien raison de le faire. Mais il utilise des sources sans esprit critique. Par exemple, pour justifier le fait que nous aurions dû compléter la ligne Maginot durant la Drôle de guerre, il avance que la ligne Siegfried avait été construite en six mois. Faux, sa construction s’est étalée entre 1938 et 1940.
La description du désastre a été fait bien souvent et l’auteur la reprend dans les grandes lignes, non sans une belle vivacité de plume. Comme nombre d'eurosceptiques, Jacques Bourdu se complaît dans les visions apocalyptiques. Il excelle aussi dans la description de scénarios alternatifs où l'Armée française se replie en bon ordre pour poursuivre le combat outre-mer, du réduit breton au bastion nord-africain. Toutefois, les arguments qu’il avance sont dignes du café du commerce. Une fois, de plus, il utilise le stratagème de la citation à sens unique, n'appeler à la barre que des opposants à l’armistice, sans mentionner ceux qui ont considéré que c’était la meilleure alternative pour la France à ce moment de son histoire.
Le choix de la poursuite de la guerre que fait Churchill ne se base pas sur une analyse rationnelle mais sur un pari risqué, celui de l’entrée en guerre des Etats-Unis. Rien en juin 1940 ne pouvait le garantir, comme le lui rappelait le Trésor britannique en l'informant que le Royaume-Uni ne disposait plus de réserves de devises que pour six mois d'achats de guerre en Amérique. Le gouvernement français ayant essuyé à Washington des fins de non recevoir à ses appels à l'aide désespérés en a tiré une conclusion juste : l’Amérique ne voulait pas sacrifier ses boys. Il faudra plus d’un an de campagne des services spéciaux anglais et l’attaque japonaise pour faire changer d’avis à l’Amérique. Ce revirement conduira également des hommes comme l'amiral Darlan à changer leur fusil d'épaule et à prévoir le retour de la France dans la guerre aux côtés de ses alliés traditionnels.
Jacques Bourdu voit juste quand il analyse les raisons de la cassure à la fin du mois de juin 1940 entre la France et Churchill :
« La Rupture consommée entre la France et l’Angleterre résulte alors d’une double méprise. Les Français ne croient pas à la détermination de Churchill de mener le combat jusqu’au bout. Churchill cherche à gagner du temps en attendant l’entrée en guerre des Etats-Unis, ce qui à terme lui paraît certain. »L'analyse que fait l’auteur de l’agression de Mers-el-Kebir est pertinente et tranche avec nombre d’autres pages où le manichéisme à contre-temps l’emporte sur la réflexion.
Malheureusement, le reste de l’ouvrage verse dans le pamphlet dont la lecture confortera les derniers Gaullistes dans leurs choix de jeunesse, mais qui ne reflète en rien la complexité de cette période. Les motivations des différents acteurs ne sont rendues à nouveau que dans la mesure où elles servent les intérêts de la démonstration.
Dans la conclusion, l'auteur met en lumière tout son dispositif intellectuel : si la France est une nation de second ordre aujourd’hui, c'est la faute à l’armistice. Or, s’il y a eu armistice, c’est que nous avons été battus. Pourquoi l’avons nous été ? L’auteur nous éclaire :
« Si nous avons perdu en 1940, c’est que la France meurtrie dans sa chair par la dure victoire de 1914-1918, bernée par les traités de Paix, n’était pas moralement préparée à subir un nouveau choc ».Pourtant, c’est bien la France et les Alliés qui ont rédigé à eux seuls les traités de paix. Les Allemands n’ont pas eu leur mot à dire.
Les dernières lignes de l’ouvrage éclairent les véritables motivations de l’auteur :
« Dans d’autres circonstances, des menaces sur l’avenir et l’existence même de la France se précisent de plus en plus. Le syndrome de la capitulation est de nouveau à l’ordre du jour. Et c’est dans l’indifférence générale, avec le concours des médias et la complicité d’une grande partie de nos élites que l’Etat et la nation s’engagent peu à peu sur la voie de leur disparition. »Les gouvernants français qui se sont succédés après 1945 ont pris la mesure de l'état réel de la France. Notre pays n'est plus en mesure de jouer seul en première division. Avoir voulu le faire a conduit à trois désastres successifs : 1870-1871, 1914-1918 et 1939-1945. Cette prise de conscience ne s'est pas faite du jour au lendemain, il faudra de longues et coûteuses guerres coloniales pour que les derniers esprits nourris aux illusions de la France impériale acceptent que les faits sont têtus et rendent les armes. Cette fois une relève est prête pour mettre en place l'alternative : la construction européenne. Certes, elle très imparfaite mais nettement préférables aux utopies coûteuses auxquelles nous invitent des auteurs comme Jacques Bourdu.
Pour en savoir plus
Les combattants de 1940
Nous avons eu l’opportunité dans la version papier d’Aventures de l’histoire de défendre la mémoire des combattants de 1940 qui n’ont pas démérité face à l’ennemi, le chiffre des morts en témoigne. Or il existe une querelle de chiffres. Les évaluations vont de 90 000 à 130 000 tués et de 120 000 à 250 000 blessés. La fourchette est grande mais elle peut s’expliquer par le fait que certains statisticiens incluent dans le nombre de morts celui des prisonniers français décédés en Allemagne durant la guerre. En règle générale, on compte un mort pour quatre blessés., en partant du nombre de blesses, on peut avancer un chiffre de morts possible entre 30 000 et 50 000 tués au combat, ce qui est déjà considérable.
Comme des lions : le sacrifice héroïque de l’armée française - Mai-juin 1940
Dominique Lormier,
Calmann-Lévy, 2005
Du côté des historiens
François Delpla est un des historiens spécialisés dans cette période tragique. Son site internet méritre le détour et ses livres dont une documentation indispensable.
L’historien Guy Pedroncini apporte un point de vue bien mieux argumenté sur les circonstances entourant la signature de l'armistice de 1918.
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