La grande crainte des souverainistes

La marche irrésistible du nouvel ordre mondial
Pierre Hillard
François-Xavier de Guibert, 160 p., ill., notes,index, annexes, 22 e, ISBN 978 27554 0199 8.

Charmant jeune homme propre sur lui, Pierre Hillard ressemble à ces technocrates qui nous gouvernent, à ceci près qu’il ne fait pas partie de la caste mandarinale qui régit nos vies, indifféremment de Paris ou de Bruxelles.
Spécimen d’une espèce intellectuelle en voie de disparition, rétive à laisser sa place sans résistance, Pierre Hillard défend la France comme pouvait la comprendre un lecteur de l’Action française, initié aux arcanes du vieux maître de Martigues.
Pour lui, comme pour Alain Duhamel et les élites françaises, la nation ne définit pas des personnes réunies par une origine et une langue communes, une gens, mais des individus rassemblés par une volonté politique, qu’elle soit celle des rois capétiens ou celle de la République.
Originaires de Strasbourg, de Nice, de Gorée ou de Tataouine, les Français de Pierre Hillard se reconnaissent tous dans ce projet politique qui s’appelle la France, doté d’une identité particulière et d’une mission : civiliser le monde.
Dans ces conditions, il n’est guère étonnant que le processus mis en marche après la Première Guerre mondiale pour mettre un terme aux affrontements entre Européens ne lui convienne pas. L’Europe unie, oui, mais à condition qu’elle soit française, sous le modèle de l’empire napoléonien aux 130 départements et aux sept provinces.

L'Europe, à la sauce française seulement.

La marche lente vers une Europe fédéralisée, à défaut d’être fédérale, sous la houlette d’europhiles formés à l’école de Jean Monnet, suscite un rejet viscéral et argumenté de sa part qu’il a détaillé dans deux titres précédents parus chez le même éditeur (Minorités et régionalisme dans l’Europe fédérale des régions (2001) et la Décomposition des nations européennes (2005).
La force de Pierre Hillard réside paradoxalement dans son apparent manque d’imagination. Il bâtit son œuvre à partir de documents originaux, issus de la Commission européenne ou de la myriade d’organismes paraétatiques qui servent de poissons-pilotes aux commissaires bruxellois.
Peu de choses échappent à son esprit inquisiteur, qui aurait fait le bonheur d’un Bernard Gui ou d’un saint Pierre d’Arbues, et il nous en offre des preuves inédites dans son nouvel opus la Marche irrésistible du nouvel ordre mondial.

Saint Pierre d'Arbues, un saint pas très en odeur de sainteté.

Une idée force se dégage de cet ouvrage : l’union européenne n’est pour nombre de ses promoteurs qu’une étape vers une forme de gouvernance mondiale. Les racines de cette dérive mondialiste remontent selon l’auteur loin dans le temps (l’auteur aurait pu mentionner l’universalisme chrétien), mais il souligne à juste titre que la Révolution française marque un tournant, un moment à partir duquel tout s'accélère.

Le colonel House (le deuxième à partir de la gauche) avec le président Roosevelt.

Pierre Hillard s’amuse à dénicher des précurseurs au mondialisme technocratique même aux Etats-Unis où il a retrouvé l’étonnante figure du missi dominici du président Wilson, le colonel House dont l’ouvrage Philip Dru Administrator met en scène une dictature technocratique socialisante et mondialiste, qui précède de plus de nonante années les pires dérives universalistes de notre époque.

Un Français un peu oublié : Richard Coudenhove-Kalergi.

Après le colonel yankee, le hobereau autrichien. L’auteur réserve des traits acérés à la personnalité de Richard Coudenhove-Kalergi, fils d’un diplomate viennois et d’une aristocrate japonaise, ce citoyen français (depuis 1939) a été l’ardent promoteur du fédéralisme européen depuis la publication en 1923 de son livre Pan Europa qui connut un succès immédiat sur tout le continent.

Le manifeste pan-européen de Richard Coudenhove-Kalergi.

Toutefois, les pages les plus intéressantes de l’ouvrage concernent l’avenir. Si l’union de l’Europe est un fait difficilement réversible, l’auteur nous met en garde sur d’autres grands mouvements géopolitiques au premier rang desquels l’unification de l’Amérique du nord autour d’un axe sécuritaire et économique, prélude à une union transatlantique.

Felix Frankfurter, l'inspirateur américain de Jean Monnet.

Pierre Hillard pose une vraie question. Quel doit être l’avenir des rapports entre l’Europe et les Etats-Unis ? Allons-nous vers une Europe puissance dont rêvent les fédéralistes, se posant en concurrente des Etats-Unis ou bien nous dirigeons-nous tout doucement vers un rapprochement fusionnel entre un ensemble nord-américain et un ensemble européen aux frontières évolutives ?
Chaque projet correspond à des vécus différents. Les Français sont assez proches d’une Europe puissance car ils perçoivent les rapports de force avec l’Amérique du Nord alors que les Allemands, ou les pays nordiques, ne voient les Etats-Unis unis que comme un partenaire commercial et politique avec lequel ils partagent une vision du monde, un mode de vie et des valeur morales.
Dans un ordre dispersé, qui aurait gagné à être mieux structuré, d’autres chapitres traitent en vrac de l’évolution de la Catalogne, de la Flandre ou de l’Ecosse vers une forme d’indépendance, des réseaux de raltions personnelles derrière les évolutions politiques, de la force de l’économie allemande, etc. L’auteur trouve encore des forces pour faire la leçon au pape Benoît XVI, trop universaliste à son goût, trop catholique en somme.

Un peu trop mondialiste ?

Pierre Hillard ne fait pas toujours dans la dentelle, et ses arguments sont souvent cousus du fil blanc de la mauvaise foi, mais il stimule un débat qui autrement sombrerait dans le ron-ron du conformisme.