L'Evasion
Henderson's Boys:
Robert Muchamore | |
Casterman Lectures, série Romans Grand Format, 256 p., 15,00 €, ISBN : 2203024291.
La place privilégiée des Anglais dans le marché de l'édition fait que nombre de productions britanniques excellentes, moyennes ou même mauvaises, trouvent des débouchés internationaux que parfois elles ne méritent pas.
Les éditeurs sont séduits par des simples calculs financiers. Acheter à vil prix une production anglophone revient bien moins cher que d'investir dans des produits originaux français. En outre, ils connaissent le résultat des ventes et ne choisissent que les titres ayant reçu un accueil favorable du public.
Dans ce contexte, on comprend donc très bien que les éditions Casterman aient acheté au Royaume Uni la collection de romans pour la jeunesse de Robert Muchamore intitulée Cherub.
Voici comment la présente l'éditeur :
Au sein du gouvernement britannique, seules deux personnes — le Premier ministre et le ministre des services secrets — connaissent l’existence de CHERUB. Cette agence de renseignement gouvernementale ultra-secrète a pour particularité de ne recruter et utiliser que de jeunes orphelins, de huit à dix-sept ans. C’est le cas de l’adolescent James Adams, un déshérité de la société britannique, que son intégration à CHERUB a probablement sauvé d’une dérive violente.
Le succès planétaire de cette série aux nombreux titres repose non seulement par le fait que l'auteur soit anglophone, mais aussi par une grande qualité de style. Robert Muchamore écrit le roman que des pré-adolescents ont envie de lire.
En France, je le compare avec Eric L'Homme, un des auteurs jeunesse vedette de Gallimard, qui écrit des romans dans lesquels les adolescents aiment se plonger car cet auteur ne les infantilise pas. Je pense notamment à sa série Phænomen. Le secret de ce montagnard discret est un idéal de vie élevé dont on trouve un reflet dans son dernier livre Des pas dans la neige. Je le conseille vivement.
Pour en revenir à notre romancier anglais, pour ne pas se compliquer la vie, celui-ci choisit des méchants très politiquement corrects afin d'éviter tout ostracisme de la part des bibliothécaires, probablement les personnes à l'esprit le plus conformiste qu'il soit possible de trouver. Leur rôle néfaste dans le développement de la littérature pour la jeunesse reste à explorer.
Sous l'amicale pression de ses fans et de ses éditeurs, l'auteur anglais a sans doute voulu expliquer l'origine de cette cellule d'enfants mis au service de l'espionnage britannique.
C'est probablement l'explication à l'écriture de l'Evasion qui se situe chronologiquement aux origines de la série.
Juin 1940. Les armées allemandes déferlent sur la France. Dans la région de Beauvais, le jeune Marc Kilgour, un orphelin de douze ans, doit prendre la fuite au hasard des routes. Tout en se dirigeant vers Paris, il fait le douloureux apprentissage de la survie. Pendant ce temps, dans la capitale, un anglais et ses deux enfants, Paul et Suzie, s’efforcent eux aussi de fuir vers le sud. Peine perdue : à Tours, ils sont victimes d’un mitraillage et le père meurt. Paul et Suzie, désormais, sont eux aussi livrés à eux-mêmes. Leur vie est en danger. Rien, a priori, ne relie les trois enfants. Sauf une chose : le nom d’un certain Charles Henderson, un homme du renseignement britannique qu’ils vont tenter de retrouver…Rien à redire sur le fond car il s'agit d'un roman et le romancier a tous les droits, même celui de tordre le cou à la vraisemblance historique.
Cela dit, il est bon quand même que l'auteur mouille sa chemise et n'écrive pas n'importe quoi quand il met en scène le contexte historique. Car ce foutu contexte apporte crédibilité et qualité au travail d'écriture. Dans un cadre éditorial très éloigné de la littérature pour adolescents, une des clefs de la réussite de Gérard de Villiers dans sa série SAS repose sur une étude des lieux et des circonstances de chaque roman qui est solide comme le roc.
Or, selon toute vraisemblance, Robert Muchamore a limité sa documentation au strict minimum et même à un peu moins.
Prenons quelques exemples.
Un des personnages, Marc, est un orphelin placé dans un orphelinat rural qui ressemble trait pour trait aux institutions britanniques et qui n'a que peu de rapport avec ce qui se faisait en France dans le cadre de l'Assistance publique.
Le romancier décrit le travail de Marc dans une ferme. Ce faisant, il commet des erreurs qui démontrent qu'il n'a jamais mis les pieds dans un élevage et ne connaît rien à la situation géographique du Beauvaisis où se trouve Marc. Ainsi, une vache produit des excréments et de l'urine (en fait dans ce contexte il convient d'écrire « fumier ») que Marc fait glisser dans la fosse d'où une fois par semaine il l'extrait à grand peine pour en remplir ses tonneaux qui sont roulés « puants vers la grange, où le fumier se décomposerait jusqu'à ce qu'il serve d'engrais ».
Une simple visite à une exploitation agricole aurait montré à l'auteur que, même en 1940, on ne remplit pas de fumier une fosse à lisier et que le fumier de ruminants est simplement entassé, le plus souvent à l'air libre et non dans des tonneaux dans une grange destinée à conserver le foin.
Sur un plan historique, l'auteur ne sort pas trop des rails. Il mentionne le bombardement de Paris le 3 juin 1940, ou celui de Tours, ce qui est parfaitement exact. Mais il se trompe quand un de ses personnages affirme que l'Armée française ne se sert pas de la radio et qu'elle se repose sur des messagers à cheval !
Du côté allemand, c'est parfois fantaisiste comme l'affirmation que les état-majors se déplacent en kubelwagen ou carrément erroné quand il se trompe de grade pour le redoutable sous-chef des services de sécurité du Reich Reinhard Heydrich qu'il catapulte au grade de Obergruppenführer alors qu'il n'est à cette époque que Gruppenführer.
Reinhard Heydrich, vilain professionnel, photographié ici en 1941 avec les insignes du grade de Gruppenführer (d'avant 1942).
Autre grosse bourde de l'auteur, un des personnages vole un uniforme de la Gestapo, exploit improbable car les cerbères du régime (qui n'opéraient pas en dehors de l'Allemagne) se caractérisaient par leur absence d'uniforme !
Finalement les héros s'embarquent à Bordeaux dans un paquebot, le Cardiff Bay, à destination de l'Angleterre. Par malchance, le navire est bombardé et coule à pic à 5 km du port de bordeaux.
Sur cette carte de Bordeaux, l'itinéraire du Cardiff Bay tel qu'il est décrit par Robert Muchamore. De toute évidence, l'auteur n'a pas pris la peine de lire une carte avant d'imaginer la scène de l'attaque du paquebot
Or, à cet endroit, les fonds varient selon la marée entre 7 et 12 m. Jamais le paquebot n'aurait pu disparaître dans les eaux puisqu'il aurait forcément reposé sur la vase du lit de la rivière. Toutes les scènes imaginées par l'auteur pour raconter la fin du Cardiff Bay sont tout simplement impossibles. C'est aussi idiot que d'imaginer le Titanic coulant dans la Seine ou dans la Tamise.
En revanche, l'idée d'embarquer ses personnages à Bordeaux repose sur un réalité historique incontestable.
Quelques témoignages des escales de paquebots dans le port de Bordeaux.
La carte qui illustre l'ouvrage n'est pas exacte. On voit ici la ligne de front le 12 juin 1940. Or la ville de Strasbourg n'a été occupée par les Allemands que le 19 juin.
La carte qui illustre l'ouvrage n'est pas exacte. On voit ici la ligne de front le 12 juin 1940. Or la ville de Strasbourg n'a été occupée par les Allemands que le 19 juin.
Robert Muchamore a le droit d'écrire des idioties car il est romancier et ne fait pas prétention d'historien. Ces bourdes n'obèrent en rien le plaisir que les adolescents peuvent prendre à la lecture de ce roman car ses lecteurs n'entravent que pouic à l'Histoire avec un grand H et se moquent comme de l'an 40 des erreurs sur les grades, la géographie du chenal d'accès au port de Bordeaux ou encore du sort des orphelins dans la France de cette époque.
Je préfère ce roman d'action invraisemblable, mais bien écrit et au récit rondement mené, aux jérémiades bolchevisantes et pleurnichardes d'un Pierre Bordage.
Je suis convaincu que les jeunes lecteurs partageront mon avis. J'en veux pour preuve que ma fille adolescente a dévoré le roman de Robert Muchamore et n'a pas voulu de celui de Pierre Bordage.
Un éditeur peu attentif
Les éditions Casterman ont manqué de vigilance en adaptant au marché français le matériel de merchandising livré avec un beau ruban par l'éditeur anglais.
Pour accompagner la sortie du roman l'Evasion, Casterman a adressé avec l'ouvrage une affiche sur laquelle on peut lire une chronologie de l'année 1940 destinée, en principe, à aider le jeune lecteur à s'y retrouver.
Malheureusement, elle est le reflet de l'histoire telle que l'apprennent les Anglais, par forcément telle que l'expliquent les historiens en France ou dans les autres pays continentaux.
Ci-dessus, par exemple, on cite l'invasion par les « nazis » de la Norvège. Mais on omet de dire que cette invasion n'était guère différente de celle que les Anglais avaient envisagé de conduire.
Que font les correcteurs de Casterman ? Le maréchal Pétain est chargé de former un nouveau gouvernement le 16 juin 1940 avec le titre de président du Conseil par un décret présidentiel.
Hitler défile à Paris ? Première nouvelle ! En réalité, l'homme fort de l'Allemagne visite la capitale vaincue en catimini avec une poignée de fidèles. On fait mieux comme défilé.
Le 28 juin, De Gaulle est reconnu par les Britanniques comme « chef des Français libres qui se rallient à lui ».
Autre bourde de taille, la guerre sous-marine ne commence pas le 1er juillet 1940, mais le 3 septembre 1939 par le torpillage du paquebot SS Athenia.
Selon Robert Muchamore et les éditions Casterman, le SS Athenia n'a pas été coulé par un sous-marin allemand le 3 septembre 1939.
Il est sidérant que la rupture des relations diplomatiques entre la France et le Royaume Uni ne soit pas précédée par l'événement qui la justifie : l'attaque le 3 juillet par la Royal Navy de la flotte française au mouillage à Mers El Kebir. Le bombardement par les Anglais de navires désarmés et hors d'état de combattre n'est pas une page de gloire dont les Anglais aiment à se vanter. Les morts français, sacrifiés par Churchill sur l'auteur d'une démonstration de force à bon compte, ne comptent guère.
La chronologie des bombardements est bien connue et les historiens savent tous que les bombardements allemands sur Londres ne sont pas le résultat d'une politique délibérée mais plutôt le résultat d'erreurs de navigation car Hitler et Goering l'avaient interdit. En revanche, le bombardement de Berlin avait été conçu pour déclencher la colère de Hitler et provoquer des bombardements des villes en anglaises en représailles. Cette mesure désespérée avait pour objectif sauver la RAF de l'annihilation.
Quant à l'opération « lion de mer » sa réalité même est sujette à caution.
A la lecture de cette chronologie, on a l'impression que les bombardiers britanniques se roulent les pouces. Ce qui n'est pas le cas. Casterman omet tous les bombardements britanniques sur l'Allemagne. Quelle étrange lacune. Pourtant, seulement du 1er septembre au 15 octobre, selon le journal des opérations du Bomber Command, les villes suivantes ont été bombardées : Boulogne, Ostende, Hambourg, Berlin, Brême, Bruxelles, Anvers, Bruxelles, Dunkerque, Saint-Nazaire, Dresde, Berlin, Boulogne, Calais, Kiel, Dortmund, Lorient, Ostende, Amsterdam, Berlin, Cologne, Gelsenkirchen, Hamm, Osnabrück, Soest, Berlin, Essen, Eindhoven, ainsi que de très nombreuses cibles mineures.
Pour retrouver une bonne chronologie, je suggère d'utiliser celle de François Delpla.
Pour savoir ce que Churchill a fait la veille du bombardement de Coventry et que les historiens anglais ne veulent pas raconter lire ici.
Il est indispensable que les éditeurs français budgétisent un minimum d'adaptation quand l'ouvrage anglais qu'ils achètent aborde notre histoire commune où le périodes de mésentente sont plus nombreuses que celles d'entente.
Les vérités anglaises ne survivent pas toujours au franchissement de la Manche.
Les Anglais et l'histoire
La désinvolture du romancier britannique Robert Muchamore à l'égard de l'histoire est partagée par nombre d'auteurs, de publicistes et d'historiens anglais.
Nous défendons l'idée dans ce blog qu'il ne faut pas faire confiance aux historiens anglais quand ils écrivent sur l'histoire de leur pays, en particulier dans le domaine militaire. En ce qui concerne l'histoire maritime, ils atteignent même des sommets de mauvaise foi.
A titre d'exemple. Les historiens britanniques se gargarisent avec la tentative espagnole d’envahir l’Angleterre sous Philippe II. En revanche, ils oublient complètement l’échec de cette autre armada invincible envoyée en 1741 par les Anglais conquérir l’Amérique espagnole et qui fut misérablement défaite par une poignée d’Espagnols commandés par un borgne manchot et unijambiste, Blas de Lezo.
Cette flotte, la plus puissante jamais encore rassemblée dans l’histoire européenne, sous le commandement de l’amiral Vernon, avec 2000 canons, 186 navires, et 23000 combattants, soit largement plus que la trop célèbre Armada invincible, se lance à l’assaut de Carthagène des Indes dans l’espoir, non seulement de s’emparer des trésors de la ville (en renouvelant l’exploit du français de Pointis en 1697), mais surtout d’entreprendre la conquête des possessions continentales de l’Espagne en Amérique. La défense acharnée des Espagnols commandés par don Blas de Lezo et les maladies tropicales vont transformer cette expédition en désastre, sauvant l’empire espagnol de la rapacité anglaise.
En plus de deux siècles, il n'y a pas eu un seul livre d'histoire anglais consacré à ce désastre.
Pas un seul.
Médailles frappées à Londres pour commémorer la prise de Carthagène. Les Anglais avaient vendu la peau de l'ours ibérique avant de l'avoir tué.
De même, les livres consacrés par les historiens et publicistes anglais aux opérations conduites par Wellington en Espagne contre un Armée française de second ordre se comptent par centaines sinon par milliers.
En revanche, combien de titres s'intéressent aux deux tentatives d'invasion de l'Amérique espagnole par les Anglais à la même époque qui se sont achevées en désastres militaires ?
Un seul.
Projets comparés d'attaque à l'Amérique espagnole en 1804 et 1805-1807.
8 commentaires:
Bel exercice d'exécution sommaire de romancier par un prétentieux. A quoi ça vous sert de démolir Robert Muchamore ?
Je ne cherche pas à démolir ce romancier anglais qui, à tout prendre, est meilleur que bien de ses concurrents francophones. Je suis agacé par sa désinvolture à l'égard du contexte historique qui est dommageable en tant que telle, d'autant plus qu'elle décrédibilise la trame de son roman. Imaginer le navire qui permet à ses héros d'échapper aux Allemands de couler à pic par 7 m de fond au beau milieu d'un fleuve c'est plus que de la désinvolture, c'est du je m'en foutisme.
Mais, en fait, les enfants (ses lecteurs) s'en moquent. ce sont des remarques de lecteur adulte.
Bonne critique de livre, intéressante à lire. Et même si j'apprécie particulièrement Muchamore, tous ce que vous ressencez est bien vrai. Merci de nos faire partager vos impressions.
Amicalement, Louis (14 ans)
Merci Louis. Je remarque de la graine de lecteur. Je te conseille de découvrir les livres d'Eric L'Homme.
Juste un commentaire par rapport aux "uniformes" de la gestapo. Oui, bien évidemment, les membres de cette police opéraient dans la plupart des cas en costume civil. Mais, tous les membres officiels de la gestapo, qu'ils furent étrangers ou non (car cette police, avec la Feldgendarmerie, opérait bien en dedans comme en dehors du Reich, et recrutait même hors des frontières. En France, nous avons Pierre Paoli pour nous en illustrer l'exemple) étaient également obligatoirement membres de l'Allgemeine SS et disposaient donc tous d'un uniforme (comme Pierre Paoli, qui aimait beaucoup le porter). L'auteur sous entend donc probablement par là que son personnage vole l'uniforme SS du gestapiste, qu'on peut alors qualifier "d'uniforme de la Gestapo" puisque c'était leur uniforme officiel...
A noter qu'on retrouve la même chose dans la Stasi, ses agents opéraient en civil mais avaient tous un uniforme qu'ils portaient généralement au bureau et hors opérations.
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