jeudi 20 mai 2010

Omar Raddad, le meurtrier sans aveu

L’assassinat de Ghislaine Marchal a défrayé la chronique judiciaire durant une dizaine d’années. Le cadre somptueux de la Côte d’Azur, les personnages (une riche héritière, un modeste jardinier immigré), les circonstances (un crime dans un lieu clos), offraient tous les ingrédients d’une affaire criminelle pouvant passionner les foules et faire vendre du papier. Rarement le décalage entre la presse et une enquête exemplaire n’a été aussi criant. Grâce au parti-pris des médias, en dépit du verdict de la justice, le « petit jardinier marocain » est pour beaucoup de Français la victime d’une erreur judiciaire. La parution des souvenirs de Georges Cenci, le gendarme ayant conduit cette enquête permet enfin au grand public de savoir comment et pourquoi Omar Raddad a tué Ghislaine Marchal.

Ghislaine Marchal est une femme encore dans la force de l’âge qui a choisi de résider à La Chamade, une confortable villa de Mougins, dans les Alpes-Maritimes. Elle vit entourée d’amis dont beaucoup habitent à proximité. Une femme de ménage et un jardinier l’aident à tenir sa maison.
Sans être riche, elle bénéficie d’une certaine aisance. La rumeur ne tarde pas à faire d’elle l’héritière des accessoires automobiles Marchal. Sa mère et son fils Christian habitent à Paris. Les relations familiales sont excellentes et Ghislaine adore sa petite-fille qu’elle voit aussi souvent que possible.

Le repas d’anniversaire de Marius

Mais, en ce dimanche 23 juin 1991, dans une villa à quelque distance de là, son amie Colette Koster s’active. Elle prépare le repas qu’elle offre pour l’anniversaire de son mari Marius. Ghislaine Marchal a été invitée. Elle doit arriver avec les autres convives à 13 h. Colette sait que son amie Ghislaine est ponctuelle comme une horloge suisse et qu’elle sera parmi les premières à arriver. Elle est d’autant plus sure que les deux femmes viennent de converser au téléphone à 11 h ce matin même. Ghislaine Marchal a confirmé qu’elle allait sonner à la porte à 13 h.
Entre 13 et 13 h 30, Colette Koster est toute à ses amis. Mais elle ne tarde pas à se rendre compte que Ghislaine Marchal n’est pas là. Un peu inquiète, la maîtresse de maison demande à l’employée qui l’aide au service de téléphoner au domicile de son amie pour s’enquérir des causes de ce retard. Malheureusement, personne ne décroche le téléphone. Ne pouvant retarder davantage le repas, Colette Koster engage ses invités à passer à table.
Un nouvel appel à 14 h 30 se révélera lui aussi infructueux. Une fois les derniers invités partis, Colette Koster se rend à la villa de son amie pour prendre de ses nouvelles. Le portail est fermé à clef et personne ne répond à ses appels. Avant de se coucher, elle renouvellera un appel téléphonique, hélas infructueux.

Des amis très inquiets

Le lendemain, le lundi 24 juin 1991, Colette Koster ressent une vive inquiétude quant au sort de son amie. Son absence au repas festif et son silence téléphonique n’augurent rien de bon. Vers midi, elle se rend chez Francine Pascal, la voisine et amie de Ghislaine Marchal. Elle est peut-être au courant de quelque chose, se dit Colette.
Quelques minutes auparavant, Erica Serin arrivait en voiture à 11 h 30 à la porte de La Chamade. Venue pour le déjeuner convenu la veille avec son amie, à son grand étonnement personne ne répond à ses appels et le portail reste désespérément fermé. Elle repart chez elle en laissant les journaux demandés par Ghislaine Marchal dans la boîte aux lettres. Inquiète, Erica Serin rappelle régulièrement son amie. Sans succès. Enfin, elle appelle Francine Pascal pour avoir des nouvelles. La voisine de Ghislaine Marchal n’est au courant de rien.
Toutefois, la démarche des deux amies de sa voisine intrigue Francine Pascal qui se décide à contacter la société de gardiennage qui possède une clef de La Chamade.
A 14 h 10, un vigile arrive et visite la propriété. Le système d’alarme est débranché et la maison n’est pas fermée à clef. Il visite les lieux, ne constate aucune effraction et repart en refermant la maison et en enclenchant le système d’alarme.
De son bureau, il rend compte de sa visite à Francine Pascal. Son interlocutrice ne peut admettre l’absence de Ghislaine Marchal de la maison. Pour la convaincre, le vigile se propose d’y retourner avec elle.
La deuxième visite est tout aussi infructueuse. La maison est visitée de fond en comble, à l’exception de la cave fermée à clef. Edmond Delemotte, médecin de Ghislaine Marchal, alerté lui aussi par Francine Pascal, arrive sur les lieux et se joint aux recherches. Cette fois, c’est la chambre à coucher qui est fouillée. Ils trouvent le sac à main ouvert sur l’abattant de secrétaire. Il est vide.
Finalement, les enquêteurs amateurs doivent se rendre à l’évidence. Ils n’ont aucune réponse aux questions qu’ils se posent et Ghislaine Marchal reste introuvable. Le médecin se charge alors de prévenir la Gendarmerie.

La Gendarmerie est prévenue

A 17 h, la brigade de Mougins est prévenue par Edmond Delemotte de la disparition de Ghislaine Marchal. Une patrouille se rend sur place. Elle est rejointe à 17 h 30 par des gendarmes de Valbonne accompagnés par une équipe cynophile. La propriété est une nouvelle fois fouillée. Le chef Evrard, en charge des opérations, est intrigué par l’absence d’effraction, par le désordre et par la présence de bijoux et autres objets de valeur qui, normalement, auraient dû intéresser un éventuel rôdeur. Des clefs sont trouvées dans un meuble. Elles permettent aux gendarmes Martial Liedtke et Jean-Louis Teulière d’ouvrir la porte de la cave pour la visiter.
A 19 h 30, les deux militaires ouvrent le portillon qui protège l’accès à l’escalier de la cave, descendent quelques marches et déverrouillent la serrure fermée à double tour. La porte ne s’entrebâille que de quelques millimètres. Sous la poussée des deux hommes, le haut de la porte se déforme et laisse passer le bras du gendarme Martial Liedtke qui cherche à retirer l’obstacle qui interdit à la porte de s’ouvrir. Il se rend compte de la présence d’un lit pliant qu’il redresse et repousse vers l’intérieur de la cave. La porte reste bloquée. Le gendarme Teulière aperçoit un autre obstacle, un tube métallique qui bloque l’ouverture. Son collègue se rend compte que l’interrupteur et le mur sont tachés de sang. Stimulés par cette découverte, les gendarmes redoublent d’efforts. Martial Liedtke se glisse à l’intérieur mais n’actionne pas l’interrupteur pour préserver d’éventuelles traces. Avec le pied il repousse le tube métallique coincé sous la porte et libère l’ouverture pour permettre à son collègue d’entrer à son tour. Avec une clef, Jean-Louis Teulière actionne l’interrupteur. Martial Liedtke aperçoit maintenant un corps allongé sur le sol de la chaufferie. En s’approchant, il découvre le cadavre ensanglanté d’une femme, allongée sur le ventre et vêtue d’un peignoir de bain. Sur une porte blanche, il lit une inscription en lettres de sang qui va devenir célèbre dans la France entière : « Omar m’a tuer ».
Appelé par ses subordonnés, le chef Evrard constate à 19 h 40 que le corps de la femme est sans vie. Il ordonne de refermer la porte de la cave et d’en interdire l’accès. Dans la foulée, il informe le procureur de la République de la sinistre découverte et sollicite le concours de la brigade de recherches de la Gendarmerie de Cannes ainsi que la présence du médecin légiste. La grande machine judiciaire s’est mise en route. Elle ne s’arrêtera que onze ans plus tard.

Le major Cenci entre en scène

Au sein de chaque compagnie, une unité spéciale traite les affaires graves. Cette brigade de recherches intervient quand un crime est commis et que des compétences techniques particulières (recherches d’empreintes ou de traces génétiques) sont nécessaires. Cet aspect scientifique prend au fil du temps de plus en plus d’importance. Ainsi, très récemment, dans l’affaire Flactif, cette famille massacrée dans son chalet du Grand Bornand, c’est l’enquête de police scientifique menée par la Gendarmerie qui a finalement permis d’arrêter des personnes gravement suspectées d’avoir commis un assassinat collectif.
Accompagné des gendarmes Patrice Gervais et Jean-Claude Vessiot, le major Cenci arrive à 20 h 30 sur les lieux avec le matériel nécessaire au prélèvement des empreintes et autres échantillons. Un peu plus tard, le Parquet vient sur place prescrire à la brigade de recherches de poursuivre les investigations.
Le major Cenci constate que si la cave a été préservée de toute intrusion intempestive, ce n’est pas le cas de la maison, fouillée à plusieurs reprises par un nombre important de personnes ce qui réduit considérablement l’intérêt des traces que l’on pourrait y prélever. Avec bon sens, il demande à ses techniciens de concentrer leurs efforts sur la cave où se trouve le cadavre, les inscriptions et le système interne de blocage de la porte.
Pendant ce temps, la voisine, Francine Pascal fournit aux gendarmes les premiers renseignements permettant d’interpréter les inscriptions de la cave :
— (…) Nous avons également en commun un jardinier répondant au nom d’Omar Raddad qui réside à Rocheville (…) Il est venu travailler chez moi dimanche 23 juin…
En fin de soirée, Christian Veilleux, le fils de la victime arrive sur place et comprend immédiatement à la vue du déploiement de forces qu’un événement grave vient de se produire. Informé par le major Cenci de la mort de sa mère, il surmonte son chagrin pour assister à la perquisition pendant laquelle différents documents sont saisis dont des agendas manuscrits de la victime qui vont plus tard se révéler précieux pour confirmer que Ghislaine Marchal avait bien écrit de sa main les inscriptions de la cave. Autre enseignement précieux : rien ne semble manquer, ni tableaux, ni chéquiers, ni bijoux de prix. Seul le sac à main est ouvert et vide de tout numéraire. Or, le major Cenci apprendra plus tard que la victime conservait toujours d’importantes quantités de numéraire dans son sac et que quelques jours plus tôt elle avait retiré 5 000 francs en espèces à sa banque. En toute logique, le meurtrier était un familier de la victime car il savait que le numéraire se trouvait dans ce sac. La présence de nombreux objets de valeur excluait a priori le cambriolage ou le rôdeur qui n’auraient pas manqué de les emporter.

L’étude des lieux

Le major Cenci et ses hommes étudient avec soin la disposition de l’annexe de la maison où se trouve la cave. Ils ont conscience que la clef de l’affaire s’y trouve.
A gauche de l’entrée principale de la maison, un petit bâtiment accolé à l’habitation. Au niveau du sol, un petit palier surélevé sur lequel s’ouvre la porte d’un local où sont entreposés du bois et quelques outils de jardinage. Sur le même palier, un petit portillon métallique sécurise la volée de marches qui conduit à la porte de la cave en sous-sol. Ce portillon, qui était fermé à 14 h 10 lors de la visite du vigile, interdit l’ouverture de la porte du local à bois lorsqu’il est en position ouverte. Ce détail se révélera très important par la suite pour déterminer le scénario du crime.
Dans son livre, le major Cenci écrit : « Une nouvelle fois je descends cet escalier qui y conduit [à la cave]. Combien de fois l’emprunterons-nous, combien d’heures passerons-nous dans cette cave pour comprendre, à partir des éléments objectifs, ce qui s’y est réellement passé ? Des dizaines de fois, des journées entières. »
Le major Cenci s’imprègne de l’atmosphère du lieu. Il sait que la clef de l’énigme se trouve ici, dans ce lieu hermétiquement clos où Ghislaine Marchal est morte. Il faut veiller à chaque détail pour reconstituer le puzzle qui dévoilera le visage du meurtrier. Les enquêteurs sont frappés par le contraste entre le palier extérieur de la cave, au bas des marches et à l’extérieur de la porte, avec le palier intérieur, où se trouvait l’appareil de blocage de la porte. Le premier est propre comme un sou neuf alors que le second est ensanglanté. Les gendarmes saisissent immédiatement la portée capitale de cette observation. Le tueur n’aurait pas pu commettre son forfait, bloquer la porte, la refermer et quitter précipitamment les lieux sans laisser des traces de sang sur le palier extérieur de la porte de la cave, sur la volée de marches ou sur le portillon donnant sur la cour. Malheureusement, en dépit de soins méticuleux, le gendarme Vessiot ne relève aucune empreinte digitale exploitable sur la porte métallique, même sur la poignée extérieure.
En franchissant la porte de la cave, le major Cenci observe à droite, sur le mur, l’interrupteur maculé de sang. L’absence de sang sur la poignée extérieure démontre que c’est la victime elle-même qui a actionné l’interrupteur. Or, en enfonçant la porte, le gendarme Liedtke a trouvé la cave plongée dans l’obscurité. C’est donc la victime qui a éteint délibérément la lumière.
A ses pieds, les objets ensanglantés ayant servi au blocage de la porte. Un chevron en bois et un tube métallique galvanisé. Le système de fermeture est simple et efficace. Une extrémité du tube est glissée sous la porte grâce à l’espace qui la sépare du sol. Le reste du tube repose sur le chevron. Donc en cas de poussée, le chevron interdit au tube de reculer, bloquant ainsi l’ouverture de la porte.
A gauche, un couloir où se trouve la porte de la cave à vins. De bois clair, elle a servi de support à l’inscription « Omar m’a tuer ». Sous l’inscription, une trace sanguinolente comme si la victime avait appuyé sa tête sur la porte. Au sol, le sang séché fait une tache.
Pourquoi avoir choisi une porte comme support pour son inscription ? Dans cette cave poussiéreuse, au sol bétonné ou brut, il n’existait pas d’autre support sur lequel elle aurait pu écrire.
Dans la pièce principale de la cave, là où se trouve la chaufferie, les enquêteurs jouent au Petit Poucet et reconstituent le scénario de l’agression et le parcours de la victime grâce aux traces qu’elle a semées.
Sur la porte d’accès à la chaufferie, la barre transversale permettant son ouverture est souillée de sang, des traces de paumes révèlent qu’elle y a pris appui. En dessous, une nouvelle inscription. Celle-ci est difficilement lisible. On distingue les lettres OMAR M’A T. Plus tard, une expertise distinguera à l’aide d’un éclairage spécial les lettres U et E. Le scripteur avait voulu de toute évidence réitérer son message premier « OMAR M’A TUER ».
Une dent à pivot est retrouvée dans l’angle de la pièce, entourée de gouttes de sang. Elle est tombée devant l’entrée d’un vide sanitaire où se trouve la cuve à gazole et des matériaux de construction (chevrons, tubes métalliques, etc.).
Les gendarmes effectuent les prélèvements de sang, de poussière et saisissent tous les objets pouvant apporter des renseignements sur le drame. L’enquêteur Gervais remarque que, dans la cave plongée dans l’obscurité, on finit par distinguer, après un temps d’adaptation dans le noir, la barre transversale de la porte de la chaufferie. Cette découverte contribuera à la compréhension de l’enchaînement des faits.
Dans l’esprit du major Cenci, le scénario probable commence à s’esquisser. Un agresseur trouve Ghislaine Marchal affairée dans la cave. Une altercation se produit.
Il frappe la victime à l’aide du chevron de bois trouvé sur place et d’une arme non identifiée, puis abandonne les lieux. Blessée, Ghislaine Marchal se relève, bloque la porte pour empêcher le retour éventuel de son agresseur, s’agenouille pour l’accuser et éteint la lumière. Puis, distinguant dans l’obscurité la barre transversale de la porte de la chaufferie, elle s’y traîne (comme le prouvent les traces au sol), y prend appui pour réitérer sa dénonciation, puis s’écroule à l’intérieur de la chaufferie pour finalement y mourir.

A la recherche d’Omar

La nuit a été courte. Elle a suffi à peine pour rassembler et analyser les informations recueillies par les différents enquêteurs. A 7 h, la gendarmerie de Mougins se transforme en ruche bourdonnante. Les renseignements fournis par la voisine désignent le jardinier marocain Omar Raddad comme le principal témoin potentiel. Que faire ? Faut-il le laisser sous surveillance ? Le risque de le voir rentrer précipitamment dans son pays est trop grand. Le major Cenci se concerte avec ses collaborateurs et prend la décision d’interpeller immédiatement Omar Raddad ainsi que de mobiliser ses effectifs pour une série d’enquêtes complémentaires.
Le logement du jardinier est localisé au Cannet. L’oiseau n’est pas dans le nid. La perquisition de l’appartement permet d’identifier le domicile de sa belle-mère à Toulon. Les gendarmes de cette ville « logent » Omar Raddad et l’interpellent sans qu’il oppose de résistance.
Pendant sa garde à vue, Omar Raddad est longuement entendu pas des enquêteurs qui se relaient. Il répond avec pondération aux questions en prenant le temps de choisir ses mots. Il perd un bref instant sa contenance et détourne la tête quand les militaires lui montrent les clichés des horribles blessures de Ghislaine Marchal.

Un alibi détaillé et précis

Le jardinier nie absolument être l’auteur du meurtre. Son alibi semble très solide et il n’en démordra jamais.
Selon ses dires, il est arrivé le dimanche matin à 8 h chez Francine Pascal. A midi, il quitte la villa pour déjeuner chez lui.
A 12 h 05, il entre dans la boulangerie de Val de Mougins qui ne possède pas d’escalier pour y acheter une demi-baguette de pain. Il décrit la jeune femme qui le sert et précise qu’un homme se trouvait derrière le comptoir. Arrivé chez lui, résidence Le Lotus, avenue de Grasse au Cannet à 12 h 15, il croise un de ses voisins, gérant du magasin Casino. En garant son vélomoteur, il remarque un autre résident de son immeuble qui entre dans la cour. A 12 h 40 il quitte son domicile pour rejoindre la villa de Francine Pascal où il reprend le travail à 13 h. Curieusement, lors de ce long interrogatoire, le suspect ne dira pas avoir téléphoné d’une cabine à sa belle-mère à Toulon à 12 h 45. Il le fera par écrit au juge le 2 juillet. Il est difficile d’accepter l’idée d’un « oubli ». Peut-être a-t-il pesé le pour et le contre de cette information avant de se décider enfin à la transmettre à la justice.
Les gendarmes sont particulièrement attentifs aux précisions données par Raddad sur son emploi du temps entre midi et 13 h car elles peuvent l’innocenter complètement. Dans la mesure où les faits ne remontent qu’au dimanche, il est fort probable que les personnes l’ayant croisé s’en souviendront.
En revanche, les autres recherches font chou blanc. En dépit des importants moyens déployés, aucune arme blanche n’est retrouvée et l’enquête de voisinage ne donne rien.
Les enquêteurs qui interrogent le jardinier sont toutefois troublés par certaines de ses déclarations. Omar reconnaît connaître des difficultés financières importantes qui le contraignaient à demander régulièrement des avances à ses employeurs. Il doit deux mois de loyer pour son logement du Cannet et tire le diable par la queue pour boucler ses fins de mois. L’explication fournie par Raddad est inattendue : il fréquente des prostituées.
Avant la fin de la garde à vue, les vêtements et les chaussures portées par le jardinier le dimanche sont saisis à des fins d’analyse. De retour à la villa de la victime, le chef Evrard découvre dans le local à bois en haut de l’escalier de la cave, un taille-haie, un chiffon graisseux aux taches brunâtres suspectes et une clef permettant l’ouverture de la porte de la cave.

Omar Raddad est mis en examen

A l’issue de la garde à vue, le major Cenci présente Omar Raddad au juge d’instruction. Celui-ci apprécie les éléments qui lui sont communiqués par le gendarme. Le jardinier a un motif de querelle avec la victime, ses difficultés financières et il est un familier des lieux, possédant même la clef du portail d’entrée. En outre, son emploi du temps le dimanche 23 juin ne se vérifiera pas entre 12 et 13 h 10, horaire probable de l’agression. A quoi s’ajoutent les inscriptions qui le désignent, l’absence de numéraire dans le sac de la victime, fait que seul un familier pouvait connaître. Le magistrat instructeur en toute logique lui notifie son inculpation et délivre un mandat de dépôt.
Le major Cenci et les gendarmes de la brigade de recherches de Cannes ont un suspect sur lequel pèsent de lourds soupçons. Mais ils ne négligent pas pour autant d’autres pistes lesquelles ne résistent pas longtemps à l’examen. La thèse d’un cambriolage qui aurait mal tourné n’explique pas la présence de nombreux objets de valeur. Le crime d’un maniaque sexuel n’est conforté par aucun examen biologique. L’altercation familiale est écartée par un alibi en béton du fils de la victime et par l’absence de tout conflit avéré entre eux deux.
Plus ils étudient l’affaire sous toutes ses coutures, plus ils retombent sur des évidences : le crime a été commis par un familier aux besoins d’argent pressants. Il ne s’agissait probablement pas d’un geste prémédité car une des armes du crime, le chevron, a été trouvée sur place par l’agresseur. Enfin, Omar Raddad revient constamment sur le tapis car il a un mobile, l’argent, il n’a pas d’alibi pour l’horaire probable du crime et il est un familier de la victime. Même sans la célèbre inscription incriminante, le jardinier aurait été un suspect.

Un corps qui parle

Omar Raddad en prison, les gendarmes s’attellent à la recherche des informations leur permettant de boucler le dossier.
Le 28 juin, ils assistent à l’autopsie de la victime. Le gendarme Vessiot prélève ses empreintes digitales pour les archiver car aucune empreinte n’a été relevée sur le lieu du crime. Ce point est important car plus tard les défenseurs d’Omar Raddad utiliseront l’argument de l’absence d’empreintes de l’inculpé pour arguer de son absence des lieux du crime. Si l’on respecte la logique des défenseurs du jardinier, les gendarmes n’ayant pas relevé les empreintes de la victime dans la cave, Ghislaine Marchal ne s’y est jamais trouvée le dimanche 23 juin et c’est une autre femme qui a été tuée à sa place. Absurde. En réalité, un examen rapide de la cave révèle qu’elle se prête très mal à la conservation d’empreintes dans la mesure où il s’agit d’un lieu inachevé, où les surfaces sont rugueuses ou recouvertes de poussière ou encore de produits inhibants.
Les résultats de l’autopsie apportent des renseignements précieux pour la poursuite de l’enquête. En tout premier lieu, ils précisent l’heure du crime : entre 11 h et 13 h 30 le dimanche 23 juin 2001. Ensuite, les légistes décrivent le scénario probable de l’agression : Ghislaine Marchal a, dans un premier temps, reçu des coups violents portés à la tête. Voulant se protéger, elle a levé les bras devant elle pour parer les coups. L’agresseur lui a ainsi fracturé une main et pratiquement coupé un doigt. Dans un second temps, outre des coups portés à la gorge, elle a reçu dix coups portés à l’aide d’une lame effilée mesurant de 15 à 20 cm et large de 2 cm au maximum. Les médecins précisent : « Aucun des coups portés à Mme Marchal n’est immédiatement mortel. Par contre, la somme de tous les coups et blessures l’est après une agonie certaine ». Enfin, l’examen des vêtements et des ecchymoses prouvent que la victime s’est traînée sur le sol de la cave.
A la demande du juge d’instruction, le docteur Page apportera quelques jours plus tard d’utiles précisions. : « L’heure approximative du décès se situe entre 11 h et 13 h 30, le 24 [erreur de frappe, il faut lire 23] juin 1991. En effet, à 20 h, heure de mon arrivée sur les lieux, j’ai constaté une rigidité cadavérique complète ce qui prouvait que le décès remontait à plus de six heures. De plus, les lividités déclives ventrales prouvaient que le cadavre n’avait pas été retourné depuis plusieurs heures. Quant à la durée de l’agonie, d’après les lésions constatées à l’autopsie dont aucune n’était immédiatement mortelle, on peut affirmer que l’agonie a duré d’un quart d’heure à une demi-heure. La constatation à l’autopsie d’un œdème cérébral prouve que l’agonie a duré au minimum 10 à 15 minutes, temps nécessaire à la formation d’un œdème cérébral. Quant à l’ordre des coups, si les lésions de la main gauche montrent que la victime a cherché à se protéger contre les coups de chevron, les éléments constatés lors de la levée du corps et de l’autopsie ne permettent pas de les classer chronologiquement. Les lésions causées par le chevron et l’arme blanche indiquent que la victime, quand elle a reçu les coups, était soit debout, à genou ou couchée ; la victime étant soit statique soit en mouvement. Les hémorragies ont été surtout extériorisées, sans projection importante. Enfin, l’autopsie a permis de constater l’absence d’hémorragie interne importante au niveau du crâne, du thorax et de l’abdomen. »
Les gendarmes savent maintenant avec certitude que la victime a été frappée avec deux armes différentes, la première est le chevron ; la seconde, une lame longue qui évoque une dague de chasse mais qui, bizarrement, blesse au cou la victime sans atteindre les organes vitaux. La victime a été agressée de face, elle a donc vu son agresseur et a tenté de s’en protéger. Les coups portés n’ont pas entraîné d’extériorisations importantes de sang. En d’autres termes, l’agresseur n’a pas été taché par le sang, ce qui explique l’absence de traces sur ses vêtements.
Les traces sanglantes résultent du déplacement de la victime dans la cave après son agression et avant son décès. L’agonie a duré au minimum dix à quinze minutes, temps largement suffisant pour bloquer la porte et écrire ses accusations.
Les gendarmes concluent que l’agresseur a quitté les lieux avant que la victime se soit déplacée. Dans le cas contraire, il aurait immanquablement marché dans le sang et souillé les marches à l’extérieur de la cave. En conséquence, il est certain que les inscriptions ont été faites par Ghislaine Marchal se trouvant seule dans la cave. La présence d’un tiers pour lui tenir la main ou pour le dicter le texte est impossible.

L’emploi du temps de la victime

Les renseignements fournis par France Télécom et l’interrogatoire des amies de Ghislaine Marchal, Colette Koster, Eugénie de Paolis et Erica Serin permettent aux gendarmes de reconstituer l’emploi du temps de la victime dans les heures qui ont précédé le drame.
A 11 h, Ghislaine Marchal téléphone à Colette Koster pour lui confirmer sa présence à 13 h pour le repas anniversaire de son mari Marius. Entre 11 h 29 et 11 h 41, elle s’entretient avec Eugénie de Paolis qui habite à Londres. A 11 h 45, sous la douche elle reçoit un appel d’Erica Serin mais elle lui dit :
— Laisse-moi finir de prendre ma douche, je te rappelle.
A 11 h 48, elle téléphone à son amie pour confirmer leur rendez-vous à déjeuner pour le lendemain lundi et elle lui demande d’acheter les journaux car elle a donné un jour de congé à sa femme de ménage.
Pour le major Cenci, le déroulement de la matinée tragique est clair comme de l’eau de roche. Grâce à la chronologie des appels téléphoniques, Ghislaine Marchal a été agressée et tuée entre 11 h 50 et 13 h 30, heure de l’appel infructueux de l’employée de Colette Koster. En sachant qu’il a fallu quelques minutes à la victime pour se rendre à la cave et qu’elle se serait de toute évidence habillée au plus tard à 12 h 30 pour être à l’heure chez Colette Koster, il est probable que le meurtre a eu lieu entre 12 et 12 h 30.
Pourquoi Ghislaine Marchal est-elle descendue à la cave ? Ce n’est ni pour visiter la cave à vin (elle avait déjà acheté un cadeau pour le mari de son amie Colette), ni pour régler la chaudière qui fonctionnait parfaitement. Elle voulait tout simplement mettre en route le système d’entretien de la piscine afin qu’elle soit propre pour la visite d’Erica Serin. Ce système était en fonctionnement quand les gendarmes sont arrivés le lendemain 24 juin. En outre, la cave étant un lieu très salissant, elle a préféré y descendre avant de s’habiller pour éviter tout risque pour ses vêtements de sortie.

Vérifier l’alibi d’Omar

Il est donc vital pour l’enquête de valider ou infirmer l’alibi donné par le suspect pour la tranche horaire du crime. Il est bon de rappeler que le suspect n’a jamais varié dans ses déclarations concernant son emploi du temps, même quand il a été démenti par les vérifications minutieuses des gendarmes faites durant la garde à vue et après.
Omar Raddad quitte le Mas Saint Barthélemy à 12 h et arrive cinq minutes plus tard à la boulangerie la Huche à pains. Les deux vendeuses présentes sont catégoriques : elles ne l’ont pas servi ce jour-là. En revanche, elles se souviennent parfaitement de la présence au même moment d’une cliente qui a attendu la fin de la cuisson du pain durant 15 minutes. Cette femme s’ennuyait ferme et elle n’aurait pas manqué de remarquer la venue d’Omar Raddad qu’elle connaissait.
Le suspect, qui est observateur au point de se souvenir que la personne le précédant avait acheté quelques gâteaux à 6,50 francs et avoir noté la présence d’un homme derrière le comptoir, ne relève pas celle de cette dame qui attend et ne note pas que le magasin manque de pain
Le propriétaire de la boulangerie et les deux employées réfuteront catégoriquement toute présence masculine derrière le comptoir.
Ensuite, Raddad affirme être arrivé chez lui à 12 h 15 et avoir croisé un occupant non identifié et le gérant du magasin Casino. Les gendarmes entendent longuement le gérant car son témoignage peut innocenter le jardinier. Il faut prendre toutes les précautions possibles pour cerner la vérité.
Lors de son interrogatoire, le jardinier avait déclaré aux enquêteurs qu’au moment du retour à son domicile :
— J’ai aperçu le gérant du Casino mais il m’a croisé rapidement et je ne pourrai vous donner aucun détail sur son habillement ni même vous dire s’il avait les bras chargés ou les mains vides. Si j’avais su ce qu’on allait me reprocher par la suite, il est bien évident que j’aurais pris le temps pour noter tous les détails utiles pour prouver mon innocence…
Malheureusement pour Raddad, l’audition de ce témoin capital ne va pas dans le sens de ses espoirs :
— Dimanche dernier, 23 juin, je suis sorti de chez moi pour promener le chien. J’étais accompagné de mon épouse et notre enfant. Il était aux environs de 11 h 45. La promenade a duré une quinzaine de minutes. Nous sommes rentrés directement dans l’immeuble où nous avons rencontré un ami, Pascal Villeneuve-Gallez. Nous avons convenu, sous le hall, de déjeuner chez lui. Pascal est parti avec mon fils pour acheter deux baguettes de pain, tandis que ma femme et moi avons rejoint notre magasin par la réserve afin de prendre de la nourriture. Dès que nous sommes sortis du magasin, nous avons attendu environ une minute avant que Pascal ne revienne avec notre fils. Il devait être aux environs de 12 h 10, 12 h 15. Pascal, mon fils et moi-même sommes montés directement à son appartement. Nous ne sommes plus ressortis jusqu’à 15 h, 15 h 30. Je n’ai pas souvenir, durant ce laps de temps, et j’en ai déjà parlé avec mon épouse, d’avoir croisé Omar dans le hall de l’immeuble. Pendant que nous attendions Pascal et notre fils dans la cour, nous n’avons rencontré absolument personne. Dimanche matin, je ne suis pas sorti seul. Je suis à-peu-près certain de l’heure, car à un certain moment j’ai dit à ma femme, alors que nous étions sur le chemin du retour de notre promenade : il est presque midi.
Pascal Villeneuve-Gallez corrobore la déposition de son ami. A aucun moment J.-P. Gaye ne s’est retrouvé seul dans la cour de l’immeuble :
— Lorsque je suis sorti du Lotus pour me rendre à la boulangerie, Jean-Pierre Gaye était avec sa femme, son fils et leur chien. Lorsque je suis revenu de la boulangerie, Jean-Pierre était en compagnie de sa femme alors qu’ils sortaient de la réserve. A aucun moment je ne l’ai vu seul. Pendant le temps où je suis sorti de chez moi pour aller à la boulangerie et en revenir, je n’ai absolument pas rencontré Omar Raddad.
L’épouse de Jean-Pierre Gaye confirme à son tour les propos de son mari. Elle n’hésite pas à ajouter :
— Je connais Omar Raddad de vue. Mon mari n’est pas non plus ressorti seul de chez nos amis au début ou au cours du repas.
Les gendarmes entendent sans succès un par un l’ensemble des habitants de l’immeuble. Aucun ne confirme les propos de Raddad. En revanche, cette enquête au porte à porte permet de dénicher le témoignage important de Jean Biliotti, un habitant de l’immeuble :
— Nous devions recevoir de la famille que j’ai attendue toute la matinée. Mon épouse est d’ailleurs restée très longtemps à surveiller leur arrivée depuis le balcon. A un certain moment, mon épouse m’a annoncé l’arrivée de ma fille et de sa belle-famille. Je suis donc descendu à leur rencontre. Arrivé dans la cour, je n’ai pas vu le cyclomoteur de notre voisin qui est de couleur bleu foncé. Quand je suis descendu à la rencontre de ma fille, il devait être 12 h 40, 12 h 45. Je suis formel, le cyclomoteur de M. Raddad ne se trouvait pas à l’endroit où les locataires garent leur engin. Il y avait une Vespa et une moto mais pas celui de M. Raddad. Par ailleurs, je dois vous dire que lorsque nous avons lu dans le journal dans lequel il était inscrit que M. Raddad était venu chez lui le dimanche entre midi et deux heures, mon épouse m’a dit : ce n’est pas vrai, il n’est pas venu, on ne l’a pas vu.
Son épouse complète les dires de son mari :
— J’ai guetté l’arrivée de ma fille sur mon balcon qui donne sur l’avenue de Grasse, de 11 h 30 à 12 h 45, 12 h 50. Je n’ai jamais quitté ce balcon. Je peux vous affirmer et je suis formelle, durant ce laps de temps, je n’ai absolument pas vu Omar Raddad arriver sur son cyclomoteur.
A la lecture de ces auditions, le major Cenci conclut que « Les actes d’enquête établissent incontestablement qu’aucune personne n’a vu ou même aperçu Omar Raddad, tant à la boulangerie du Val de Mougins qu’à la résidence du Lotus. Son alibi ne tient pas. Toutes ses assertions se révèlent fausses, jusqu’au moindre détail. Pourtant, il n’en est pas avare. Mais en fait, elles se retournent pratiquement toutes contre lui, lui ôtant toute crédibilité. »
En outre, le résultat des analyses sera positif en ce qui concerne les sédiments retrouvés sur les chaussures et les vêtements que portait Omar Raddad le jour du meurtre, ils correspondent à ceux prélevés sur la victime et dans la cave. Contrairement à ses affirmations, il s’y est donc rendu très récemment.

Une enquête minutieuse

L’affaire est-elle dans le sac ? Le dossier semble bouclé et bien bouclé. Les gendarmes ne sont pourtant pas satisfaits. Ils veulent encore explorer des pistes, chercher d’autres témoins. Leur minutie semble sans limites. Ils n’hésitent pas à éplucher le listage de dizaines de milliers d’appels passés depuis les 897 téléphones publics de la région cannoise pour déterminer combien de fois Omar Raddad est entré en contact avec sa famille à Toulon entre le 1er et le 24 juin 1991. Après un pointage épuisant, les gendarmes identifient en tout et pour tout dix communications. Pour un homme dont l’épouse vient d’accoucher, c’est peu.
Au fur et à mesure qu’ils avancent dans leurs recherches, les gendarmes se font une idée plus précise de l’homme qu’ils ont interpellé. Jeune paysan illettré, il découvre un pays avancé en arrivant en France et s’intègre en apparence fort bien. Mais il n’était peut-être pas assez armé pour résister aux tentations d’une société où le jeu et la prostitution sont accessibles en toute légalité à ceux qui en ressentent le besoin.
Or ces vices entraînent des besoins d’argent considérables. Spontanément, il déclare aux gendarmes avoir utilisé les services d’une prostituée à deux reprises la semaine précédant le crime pour un coût total de 1 400 francs. Les prostituées interrogées par les gendarmes reconnaissent Omar Raddad. Une première précise qu’elle l’a vu déambuler sur la Croisette les soirs des 21, 22, et 23 juin. Une seconde, dévoile un aspect nouveau du personnage, un homme agressif, prêt à devenir violent s’il n’obtenait pas ce qu’il voulait. En prison, privé de parloir, il agressera violemment des gardiens pour retrouver son calme quelques minutes plus tard.
En dépit de ces témoignages, le 20 août, il revient sur ses aveux concernant ses relations avec des prostituées :
— Contrairement à ce que j’ai dit aux gendarmes, je n’ai pas fréquenté les prostituées. J’ai une femme, je n’éprouve donc pas le besoin d’aller fréquenter ce genre de personnes. Si j’ai fait cette déclaration c’est parce que j’avais entendu dire que les gendarmes frappaient les gens et que je me suis affolé. En outre j’ai des problèmes de compréhension de la langue française.
Le juge lui donnera l’opportunité d’accepter l’évidence et de modifier sa ligne défense :
— Lors de votre dernier interrogatoire, vous m’aviez indiqué avoir raconté des mensonges aux gendarmes concernant la fréquentation des prostituées. Or, une prostituée a déclaré que vous étiez l’un de ses clients et que vous l’aviez fréquentée dans le courant du mois de juin 1991. Est-ce exact ?
Omar Raddad, fidèle à sa ligne de conduite, persiste dans le mensonge :
— Ce que déclare cette personne est faux. Je n’ai jamais eu affaire à des prostituées.
Poussant plus loin leurs investigations dans la psychologie du jardinier, ils n’hésitent pas à faire appel aux lumières du recteur de la mosquée de Marseille afin de déterminer s’il est normal qu’un musulman travaille un jour de la fête d’Aïd el-Kebir au lieu de rejoindre les siens et comment l’islam juge les relations sexuelles extra-conjugales d’un musulman avec des prostituées. La réponse du recteur est sans ambiguïté : il est illogique qu’un musulman travaille un jour de l’Aïd el-Kebir et la fréquentation de prostituées est un péché. Étrange comportement pour un homme qui se dit musulman pratiquant.
Comment croire un accusé dont toutes les affirmations sont contredites par les résultats de l’enquête ? Quel crédit accorder à un homme qui, aveugle aux résultats accablants de l’enquête, renouvelle des déclarations manifestement en contradiction avec les faits ? Comment ne peut-il pas passer devant les enquêteurs et les juges, puis plus tard devant les jurés, pour un menteur ? Cette stratégie de défense suicidaire pèsera lourd au moment du procès.

Le démon du jeu

Autant le suspect a avoué dans un premier temps qu’il fréquentait des prostituées, jamais en revanche il n’a parlé de sa passion dévorante pour le jeu. Pourtant, les enquêteurs ne cessent de s’interroger sur les besoins d’argent du suspect. La fréquentation des prostituées ne semble pas justifier des sommes aussi importantes. Omar Raddad a-t-il une maîtresse ? Se drogue-t-il ? Joue-t-il ? La proximité géographique des lieux de prostitution à Cannes et des casinos met les gendarmes sur la piste. Les militaires font la tournée des établissements spécialisés et interrogent le personnel. Bingo ! Le jardinier semble avoir ses habitudes au Casino-Croisette de Cannes. Il fréquente même assidûment les machines à sous à 5 francs. Par sa famille, les enquêteurs savent qu’il s’absente au moins trois soirs par semaine entre 19 h 30 pour rentrer vers 23 h. Selon le directeur du casino, en fonction des relevés statistiques de son établissement, un joueur fréquentant 10 h par semaine devait perdre en moyenne 4 000 francs par mois.
Prostituées et bandits manchots, voilà qui explique non seulement les loyers en retard, ses demandes répétées d’avances (6 900 francs obtenus du 5 au 23 juin 1991) à ses deux employeurs, mais aussi le retrait de 80 000 francs des économies du couple durant les douze mois qui ont précédé le drame.
Les gendarmes ont devant eux le schéma classique d’un homme détruit par le vice. On est loin du visage angélique du petit jardinier marocain poli, honnête et discret qui disait considérer Ghislaine Marchal comme sa mère.
Le scénario semble écrit pour un roman de gare glauque. Un homme simple, venu de sa campagne, découvre les plaisirs tarifés de la ville et n’y résiste pas. Après de premières expériences, il devient de plus en plus dépendant à la fois des femmes et du jeu. Son argent de poche n’y suffisant plus, il ponctionne les économies du ménage en assurant à sa femme qu’il adresse des mandats au Maroc. Finalement, le compte à sec, il se tourne vers ses patronnes pour solliciter, de manière de plus en plus insistante, des avances sur salaire qui disparaissent aussitôt dans la gueule béante des machines à sous ou dans le sac des prostituées. Finalement, acculé, il se rend un dimanche chez la patronne qu’il sait disposer en permanence d’espèces. Peut-être cédera-t-elle devant son insistance. Mais cette fois c’est non. Alors, pris par un de ces accès de colère soudaine dont les enquêteurs ont retrouvé la trace, il perd le contrôle de ses actes et frappe Ghislaine Marchal à l’aide du premier objet qui lui tombe sous la main, avant de rechercher une arme plus mortifère afin d’achever la victime.
Triste récit d’une déchéance humaine classique.

Les armes du crime

Un point intrigue les enquêteurs. La seconde arme qui a servi à la tentative d’égorgement et aux coups portés maladroitement à la victime, a été définie comme pouvant être une lame longue, effilée des deux côtés. Or cette arme n’a jamais été retrouvée et le suspect n’en possède pas. Le jardinier n’avait aucune raison de venir armé d’un couteau solliciter une avance à Ghislaine Marchal car il n’avait pas l’intention de la tuer.
Face à la victime, Omar Raddad improvise. Le chevron de bois trouvé sur place sert aux premiers coups. Il abandonne probablement Ghislaine Marchal au sol, assommée. Est-il toujours animé d’une fureur incontrôlable ? Sort-il de la cave à la recherche d’une arme ? Il sait parfaitement qu’il dispose d’un objet qui peut en tenir lieu. En haut de la volée des marches, dans le local à bois, est rangé un taille-haie aux lames effilées, longues de 20 cm et larges de 2 cm. Exactement comme l’a défini le médecin légiste. Néanmoins, ce n’est pas une arme. C’est probablement ce qui explique que les coups portés ne furent pas mortels et que la tentative d’égorgement fut un échec.
Les analyses décèlent des traces sur les lames qui ne sont pas incompatibles avec du sang humain. Y a-t-il une autre explication à la présence de ce sang sur la lame d’un taille-haie en dehors de l’agression contre Ghislaine Marchal ? Quelqu’un d’autre qu’Omar Raddad se servait-il de cet outil de jardinier ?
Après l’agression, l’assassin quitte les lieux, ferme la porte à clef, remonte les marches et ne se soucie guère du portillon. Pourquoi l’agresseur prendrait-il la peine de le refermer ? Il n’a aucune raison de le faire… sauf s’il veut entrer dans le local à bois pour nettoyer le taille-haie avec un chiffon et le ranger avec la clef de la cave.
Malheureusement, à cette époque les analyses seront seulement capables d’indiquer qu’il y a de l’ADN sur les lames du taille-haie et dans les tissus du chiffon, mais les techniciens ne pourront en dire plus.

Un climat malsain

Le climat dans lequel évolue l’affaire s’alourdit. Les enquêteurs sont gênés par la curiosité malsaine générée par l’état d’excitation permanente des médias. Ils doivent faire face à des témoignages fantaisistes de personnes narcissiques qui s’inventent un rôle pour que leur photo paraisse dans Paris Match ! Le visage sympathique du principal suspect ne correspond pas à l’image que peut se faire le grand public d’un meurtrier. Spontanément, nombre de personnes mettent en doute les charges qui pèsent sur lui et s’interrogent sur le travail des enquêteurs. Des avocats jettent de l’huile sur le feu et les écoutes téléphoniques révèlent aux gendarmes des pratiques bien éloignées du code des usages professionnels.
Les avocats se battent au couteau pour assurer la défense d’un client aussi emblématique. Finalement, c’est Me Vergès qui emporte la mise à quelques jours du procès. Il assurera la défense sans avoir eu le temps de bien connaître le dossier.
Les défenseurs avocassent devant la presse mais, pris au piège par l’attitude de leur client qui s’enferre dans ses mensonges, ils en sont réduits à multiplier les déclarations péremptoires, en contradiction totale avec les faits et le dossier, qui sont recopiées par les journalistes sans aucun esprit critique.
Quand un avocat déclare : « Aucun témoignage ne vient infirmer l’emploi du temps donné par l’inculpé. » Soit il n’a pas lu le dossier, et il trahit les intérêts de son client, soit il ment et il trahit les devoirs de sa charge.
Autres perles des avocats de la défense : « Aucun prélèvement opéré dans le local où a été découvert le corps de la victime ne révèle la présence d’Omar Raddad dans ledit local. » Or ils ne pouvaient ignorer les résultats des analyses retrouvant dans les vêtements du jardinier des poussières identiques à celles de la cave.
« Mme Marchal après un coup porté au foie s’est immédiatement écroulée. Elle ne peut donc pas avoir rédigé les inscriptions incriminantes. » C’est faire bon marché des conclusions des légistes qui calculent que l’agonie a duré au moins 10 à 15 minutes.
Même manque de sérieux lorsqu’ils avancent qu’une femme du statut social de la victime était incapable de faire une faute d’orthographe aussi visible. Ils n’ont pas examiné les carnets de la victime où ces fautes abondent.
Ou, faisant dans le sordide, ils affirment que la victime n’était pas en mesure de faire l’effort de transporter le lit pliant : « en l’absence d’expulsion des intestins de la plaie abdominale de 14 cm de long. »
A nouveau, cette contrevérité est-elle le résultat d’un mensonge délibéré ou d’une ignorance tout aussi coupable du dossier, notamment des clichés du rapport médico-légal où l’on voit parfaitement les anses intestinales hors l’abdomen de la victime, souillées de poussière et de ciment ?
Dans son livre, le capitaine Cenci n’est pas tendre à l’égard des arguments avancés par la défense :
« Si l’on compulse les arrêts de confirmation des ordonnances du juge Renard rejetant les nombreuses demandes de mise en liberté de la défense, l’on remarque que les magistrats de la chambre d’accusation ont, à chaque fois, sereinement, dans l’esprit de justice et contradictoirement, rejeté toutes leurs observations. Quel camouflet quand la chambre, dans ses attendus, précise que la mise en liberté est sollicitée sans motif particulier, que les présomptions qui pèsent sur Raddad sont lourdes au vu des expertises et des constatations matérielles. Pour une enquête bâclée et mal ficelée, on aurait pu s’attendre, dans le contexte médiatique savamment entretenu, que Raddad allait être mis en liberté et placé sous contrôle judiciaire. Il n’en a rien été. Peut-être l’enquête était-elle trop bien ficelée ! D’ailleurs, aucun acte d’information complémentaire ne sera prescrit par la chambre d’accusation ; l’information au premier degré étant complète et régulière. Si tel n’avait pas été le cas, cette juridiction n’aurait pas manqué d’ordonner des mesures d’investigations supplémentaires. »
De la même manière qu’Omar Raddad a perdu la raison, confronté aux tentations du jeu et de l’amour tarifé, les avocats chargés de sa défense ont perdu le sens de la mesure. Pris au piège d’un système de défense absurde, ils n’ont pas pu faire leur travail et se sont acharnés avec obstination contre le mur des preuves irréfutables réunies par les enquêteurs.
Comme le Don Quichotte et Sancho Pança, les duettistes du barreau qui sont allés défendre Raddad aux Assises ont brisé des lances qui n’étaient que des effets de manches. Loin de contester l’accusation témoin par témoin, expertise par expertise, ils ont laissé se dérouler le fil du procès en conduisant ce que Maurice Huleu de Nice Matin a écrit : « une défense, douce, enrobée, presque consensuelle ».
En toute logique, ils auraient dû plaider les circonstances atténuantes, démontrer assez facilement que le jardinier n’avait pas prémédité son geste, qu’il avait sous le coup de la colère pris ce qui lui tombait sous la main et porté des coups sans en mesurer les conséquences, puis tenter d’expliquer l’enchaînement fatal qui conduisit aux coups portés à l’aide du taille-haie.
Pourquoi ne l’ont-ils pas fait ? Tout d’abord par l’obstination du suspect à refuser d’avouer son crime une fois que les enquêteurs avaient démontré qu’il avait menti sur ses alibis. Ensuite, par la solidité des preuves rassemblées par les gendarmes. Ils ne trouvaient pas de faille leur permettant d’ébranler la conviction d’un jury populaire. Enfin, et surtout, tout comme Raddad était fasciné par les prostitués et par les machines à sous, les avocats ont succombé à la fascination des médias, à l’appel irrésistible des micros et des caméras, surs qu’ils étaient de séduire les journalistes et les personnalités du tout Paris des lettres et des pétitions, par un argumentaire ahurissant, innocentant le jardinier dans l’esprit de personnes ignorant tout du dossier.
Un exemple. Le 18 février 1992, lors de la reconstitution des faits, les avocats de la défense ont piteusement échoué dans la tentative de prouver qu’il était possible de bloquer la porte et de sortir. Leur défaite était totale devant le représentant du parquet, des parties civiles, devant les enquêteurs et sous l’observation attentive du juge d’instruction. Pourtant, toute honte bue, en sortant de la villa les deux avocats n’ont pas hésité à mentir aux journalistes :
— Nous venons d’apporter la preuve de l’innocence d’Omar Raddad en justifiant la thèse de la mise en scène.
Confrontés au silence des représentants de la partie civile et au secret de l’instruction que respectent scrupuleusement magistrats et enquêteurs, les journalistes n’ont à se mettre sous la dent que les déclarations péremptoires d’avocats de la défense. Comment ces journalistes pourraient-ils savoir qu’on leur ment ? Comment leurs lecteurs, leurs auditeurs ou leurs téléspectateurs pourraient-ils savoir que la reconstitution a démontré l’inverse de ce que ces deux avocats ont péroré devant la villa ?
Un de leurs confrères, un moment associé avec eux, dira : « Diabolique cette défense qui consiste à faire avaler non plus une couleuvre, mais un boa et un arbre. »
Cette conduite irresponsable des avocats a fait des médias les complices d’une parodie de justice, où l’on est innocent ou coupable en fonction de l’humeur de la foule. C’est la version moderne de la loi de Lynch.
Mais voilà, sous les ors de la cour d’Assises, loin des caméras et des micros, loin de l’oreille complaisante de la presse écrite, les avocats perdent de leur superbe. Devant les jurés, ils sont obligés de revenir au dossier, aux centaines de pièces de procédure, aux 22 expertises (qui ne coûtèrent pas moins de 179 000 francs, soit 27 000 euros) qui accablent leur client. Contrairement à la salle des pas perdus où les attendent les journalistes, devant la cour ils ne peuvent parier sur l’ignorance de leurs interlocuteurs. Ici ils font face à forte partie.
Le procès d’Assises en France est la première et unique représentation d’une pièce qui a été écrite à l’instruction par des enquêteurs et par un magistrat instructeur au service de la vérité. A partir des éléments rassemblés dans le dossier, les différents acteurs jouent le rôle qui leur est attribué. Le président organise les débats, les témoins racontent leur part de vérité, les avocats interrogent les personnes à la barre pour valoriser les éléments utiles à leur cause et critiquer ceux des adversaires. Enfin, les avocats de la partie civile et le procureur requièrent contre l’accusé en s’inspirant du rapport de synthèse de l’enquêteur, ici le major Cenci, et des conclusions du magistrat enquêteur. Les avocats de la défense, soit cherchent à valoriser la personnalité de l’accusé, soit cherchent à démontrer son innocence à l’aide d’éléments matériels figurant au dossier permettant de semer le doute dans l’esprit des jurés. Dans la procédure française, il n’y a pas de place pour des preuves gardées derrière les fagots pour être ressorties à la dernière minute. Tout se fait au grand jour durant l’instruction. C’est ainsi que les enquêteurs ont étudié toutes les pistes, même les plus farfelues, proposées par la défense.

Le procès

Le 24 janvier 1994, la foule se presse sur les marches du palais de justice de Nice. Les habitués du palais et les curieux se bousculent pour assister à l’affrontement entre la thèse de l’innocence du petit jardinier marocain, défendue par la presse et par deux vertueux paladins de la vérité, Me Vergès et Me Pétillault. De l’autre côté, les parties civiles et le Parquet, animés par des sentiments inavouables qui cherchent à faire condamner un père de famille modèle.
Sous la houlette ferme et avisée du président Djian, les débats vont se dérouler jusqu’au 2 février. Une durée modeste qui est le reflet de la limpidité du dossier et de l’expérience du président qui a déjà à son actif 250 procès d’assises. Il connaît le dossier sur le bout des doigts, infiniment mieux que les deux défenseurs qui avaient raccroché leurs wagons à la cause de Raddad qu’au tout dernier moment, bien tard pour maîtriser les six volumes de pièces.
L’accusé est serein, apaisé. Il fanfaronne auprès des policiers qui le gardent en leur disant qu’il sera libre dans quelques jours. Il s’entretient longuement, et sans interprète, avec ses avocats.
Sur le banc des parties civiles, le fils de la victime est triste. Il sent auprès de lui la présence réconfortante de ses conseils.
Comme le veut la procédure française, le procès commence par la lecture de l’arrêt de renvoi qui détaille les faits et les charges qui pèsent sur l’accusé. Puis le président interroge longuement O. Raddad qui a le temps de s’expliquer et de raconter sa vie. Pourtant il choisit de le faire par le truchement d’un interprète, suscitant l’incompréhension des magistrats et des jurés.
Puis, dans une ronde interminable, témoins et experts se succèdent, reprenant les différentes pièces figurant au dossier, reconstituant les faits tels que nous les avons présentés dans cet article et tels qu’ils se trouvent dans l’ouvrage du capitaine Cenci.
Questionné par le président, Omar Raddad est obligé de reconnaître qu’en deux ans il a consacré 81 500 F au jeu. Une somme astronomique pour un modeste jardinier. Des dépenses qu’il convient d’ajouter à celles entraînées par la fréquentation des prostituées. Curieusement, l’accusé démentira à nouveau tout contact avec des filles publiques. Pourtant, comme le remarque Me Leclerc pour les parties civiles, les prostituées, elles, ne le contestent pas.
A plusieurs reprises, la défense tente des effets de manche pour impressionner les jurés et semer le doute dans leur esprit. Ainsi, quand Me Vergès, tirant prétexte de photos parues dans Paris-Match, accuse les gendarmes de ne pas avoir apposé de scellés sur la porte de la cave pour protéger les lieux avant l’arrivée des techniciens.
Me Vergès ignorait probablement que les photos avaient été prises de l’extérieur de la cave par un soupirail près de deux mois après les faits et qu’un procès-verbal versé au dossier en faisait état. Encore aurait-il fallu que Me Vergès l’ait lu.
Certains témoins ont varié dans leurs dépositions et adopté des positions plus proches des intérêts d’Omar Raddad. Mais ils sont pris au piège de leurs bons sentiments quand le président lit les écoutes téléphoniques qui mettent en évidence leur concertation.
Le témoignage du major Cenci et du gendarme Gervais sont deux moments importants du procès car les jurés peuvent entendre de la bouche même des enquêteurs le déroulement de leurs investigations. Embarrassés par l’impact du témoignage du major Cenci sur les jurés, les avocats de la défense tentent sans succès de le déstabiliser par des protestations.
La défense cherche en vain à accréditer la thèse de la mort de Ghislaine Marchal le 24 juin, de contester la validité des expertises, la validité du système de blocage de la porte, etc. Rien de ce qu’ils tentent ne brise le mur d’arguments bâti par l’enquête et reconstruit par le président sous les yeux des jurés (dont l’émotion sera intense quand les huissiers dévoilent les deux portes portant les inscriptions désormais célèbres.
Le mardi 1er février, le président donne la parole à Me Leclerc pour les parties civiles. Dans une plaidoirie sobre, le grand avocat synthétise l’affaire et lui rend cette part d’émotion que la lecture de procès-verbaux et l’audition d’experts ne peuvent laisser passer. Puis le procureur reprend les arguments de l’accusation en insistant sur le fait que les gendarmes et les magistrats instructeurs ont cherché la vérité, enquêtant à charge et à décharge. Il balaye non sans un soupçon de cruauté les experts improvisés et les témoins bidon de la défense.
Me Pétillault assume le premier la difficile défense d’Omar Raddad. Mais peut-on dire qu’il l’a défendu ? Il ne se donne pas la peine de réfuter les arguments de l’accusation. Il assène sans démonstration des thèses destinées à impressionner les jurés et, surtout, plaire aux journalistes. Avec un aplomb admirable, il dénonce les « falsifications et les omissions » de l’enquête. Il conclut admirable : « Je ne devrais pas avoir à plaider ». En réalité, il ne l’a pas fait.
Le lendemain, la touche finale est apposée par Me Vergès qui, dans un premier temps, concentre ses traits contre le major Cenci et les gendarmes qu’il accuse d’avoir voulu un coupable à tout prix. Puis, il tente autant que possible de contester les arguments de l’accusation. Mais il apparaît décevant, loin de la réputation qui lui est faite.
A 11 h 10, la cour se retire pour délibérer. A 17 h 50, le président donne lecture de l’arrêt. La cour condamne Omar Raddad à 18 ans de réclusion criminelle.
Me Vergès, si inexistant durant les audiences, se réveille alors et fait devant les journalistes le procès de la justice française pour le plus grand bonheur de ses amis.
L’affaire Marchal est finie. Le reste n’est qu’une interminable gesticulation judiciaire (animée régulièrement par des révélations factices), qui ne trouvera un point final que le 20 novembre 2002, voici exactement un an, quand la chambre criminelle de la Cour de cassation, siégeant en Cour de révision, rejettera la demande de révision déposée par les défenseurs d’Omar Raddad.

Balbino Katz

9 commentaires:

Bertrand a dit…

Excellent billet ! Dans la droite lignée de http://omarlatuee.free.fr

oursivi a dit…

Édifiant !

Bravo

AO

Anonyme a dit…

Cet article est le point de vue d'une personne pour laquelle RADDAD est coupable et rien d'autre

Anonyme a dit…

Il reste une question importante: pourquoi un accusé qui serait coupable, grâcié partiellement, tient-il tant à repasser en jugement pour être réhabilité, au risque de se voir à nouveau accusé et poursuivre sa peine, plutôt que de se faire oublier et rester en liberté?

BCPANORAMA a dit…

C'est un article à charge. Omar Dreyffus m'a plaire.

BCPANORAMA a dit…

Ce n'est pas une ERREUR JUDICIAIRE. C'est une parodie pour faire taire l'opinion et classer l'affaire. Pour cela il faut un COUPAPLE qui peut cadrer facilement même sans enquête. Omar Raddad avait la gueule de l'emploi. Et malheureusement pour lui: "ILS" ont choisi cette option. Avez vous entendu parler d'un deuxieme jardinier , tunisien celui là qui travaillait dans le voisinage, il n'a jamais eté entendu par les enqueteurs. La premiere action des enqueteurs est de l'expulser mani-militaru en Tunisie-soi disant sans papiers- avec une interdiction de revenir en France alors qu'il avait un permis de séjour en bonne et due forme. L'affaire Dreyffus ne vous dit rien? Et plus recemment Clearstream , la liste n'est pas aussi fausse que ça. Ils (Sorko & co) ont bien des comptes anonymes au Luxembourg). Mais la justice a tranché...C'est classé.
Alors je repose ma question. Que cache" l'affaire Vve Marchal"?
L'article si bien documenté sur les preuves accablantes ne parle pratiquement pas de la Victime.
Ce n'est qu'un copie-coller des enquêteurs.

BCPANORAMA a dit…

lire COUPABLE

Unknown a dit…
Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.
Unknown a dit…

Et j'ajouterais, le plus important ! Les mains de la victime ne sont absolument pas maculées de sang, j'ai les clichés, et le résultat des analyses des ongles, le prouvent encore. Alors faut m'expliquer, si c'est elle qui a écrit ces phrases avec son propre sang et Dieu sait qu'il en fallu du sang, comment se fait-il donc que ses mains, ses doigts n'en contiennent pas ? C'est impossible que ce soit elle qui a écrit ces mots ! Impossible ! Et en plus, dans le noir ! A un moment donné, faut pas déconner non plus quoi ! Et un meurtrier ne part pas s'en avoir achevé sa victime, ça ne le fait pas ! On ne peut pas être meurtrier à moitié, ça n'a pas de sens !
Et s'il voulait vraiment la tuer, il ne lui infligerait pas des coups qui ne sont pas directement mortels ! Ça, c'est vraiment du sadisme, or on sait que ça n'est absolument las les traits de caractère de O. Raddad. Et si ce n'est du sadisme, c'est de la torture pour sous la contrainte obliger Me Marchal à signer des documents et/ou récolter des informations importantes et secrètes dont elle disposait.

Pour finir, si moi j'étais la victime, et que j'avais encore de la force, ça ne me viendrait même pas à l'esprit de m'enfermer encore plus que ça, au contraire, j'essaierai par tous les moyens de survivre, de crier, d'appeler au secours, etc... Et une vivante qui écrit qu'elle est déjà morte, c'est juste absurde ! Un vivant ne se désigne jamais comme déjà mort !