Le député de la gauche catalane défend la politique linguistique catalane en avril 2008.
Le cas présent de l'Espagne illustre la gravité des conflits linguistiques qui peuvent déchirer un État regroupant des communautés différentes ayant survécu à la machine à tuer les peuples qu'est la centralisation et dont la France dont offre un exemple presque parfait.
La monarchie espagnole est le résultat d'un processus d'unification qui s'est opéré au fil des siècles dans le cadre des principes régissant les sociétés européennes traditionnelles, l'agrégat à un ensemble plus vaste de communautés locales dont le nouvel ensemble respectait les droits.
Ainsi, le jeune roi Philippe II n'est entré pour la première fois en tant que monarque dans la ville de Barcelone qu'après avoir juré de respecter les libertés traditionnelles de la cité.
Rappelons qu'à cette époque, nul se souciait de savoir quelle langue parlait le peuple. Les élites adoptaient avec facilité celle du pouvoir. C'est ainsi que les élites britophones ont adopté l'usage du français dès la fin du Moyen Age, en Irlande celui de l'anglais et en Catalogne ou au Pays Basque, celui de l'espagnol.
La chose se complique quand la monarchie française invente un style de fonctionnement différent basé sur la centralisation et l'homogénéisation. Mouvement renforcé avec la Révolution française qui met au point le modèle de l'Etat-nation où les peuples se fondent dans une matrice commune, partageant contraints et forcés une même idéologie et une même langue.
De là vient cette confusion si répandue en France où les intellectuels affidés au pouvoir utilisent le terme « nation » pour se référer à la France alors qu'il s'agit d'un État résultat de l'agrégat, pas toujours volontaire, de nationalités différentes.
Il n'y a rien de commun entre un Breton, un Alsacien, un Flamand ou un Basque sinon leur appartenance au même ensemble politique qu'un Poitevin ou un Champenois. Certes, ils partagent un long héritage de vie commune, mais rien que ne pourrait défaire un changement d'allégeance politique. Dans l'Alsace de 1914, la France n'était plus qu'un souvenir, largement oblitéré par une germanisation aussi féroce que le sera la francisation après 1918 ou après 1945.
Si, par exemple, la Corse devenait italienne ou si la Catalogne revenait dans le giron naturel de Barcelone, ou si le Pays Basque était réunifié, il est fort à parier que le sentiment de « francitude » disparaîtrait.
Pour en revenir à l'Espagne, les forces « progressistes » ont au XIXe siècle, après la mort de Ferdinand VII, imposé le modèle révolutionnaire en forçant la centralisation politique et l'homogénéisation linguistique. C'est cette « Espagne une et indivisible » dont Franco sera le défenseur après 1936.
L'Espagne traditionnelle ne s'est pas laissé détruire sans combattre et de féroces guerres civiles ont déchiré la péninsule. Les vaincus, les forces « réactionnaires », ont joué un rôle clef dans le développement du renouveau des nationalismes identitaires, c'est le cas notamment au Pays Basque.
Après un lent grignotage, les mouvements indépendantistes ont gagné de vastes secteurs de l'opinion tant au pays Basque qu'en Catalogne. Au même moment, les nationalistes faisant des percées en Bretagne, en Flandre et en Alsace. L'avènement de la République en 1931 a marqué leur apogée dans l'Espagne de la première moitié du XXe sicèle.
La victoire de Franco an 1939 marque un point d'arrêt pour les nationalistes périphériques et un retour en force du modèle inspiré de la révolution française et défendu par les progressistes du siècle précédent. Redoutable paradoxe de l'histoire.
Un concours de circonstances va rendre la vie à ces mouvements périphériques. La mort de Franco débouche sur un vide politique typique des dictatures finissantes. Le modèle constitutionnel mis en place en 1978 tente la quadrature du cercle, la coexistence des deux modèles historiques, l'Espagne dans son acception moderniste (au sens du XIXe siècle) et un système pluriel hérité de l'Espagne traditionnelle.
Cela aurait parfaitement pu fonctionner, mais deux facteurs sous-estimés par les rédacteurs de cette Magna Carta ont rendu cette constitution inviable.
En premier lieu, les nationalistes qui ont pris le pouvoir ne sont pas intéressés par un modèle de fonctionnement de l'Etat hérité de l'Espagne traditionnelle où il n'y a aucune incompatibilité entre une région périphérique largement autonome et le sentiment d'appartenance à un ensemble commun. Ils ont cherché à imposer dans chacune de leurs autonomies un modèle étroitement nationaliste, reflet en plus petit du nationalisme espagnol inventé par les progressistes du XIXe siècle.
En second lieu, la logique de l'accaparement des pouvoir au sein de chaque autonomie (tout d'abord dans les régions historiques comme la Catalogne, puis dans les autres), a conduit les politiciens locaux a ériger leurs régions en véritables fiefs (surnommés les taifas en référence aux royaumes islamiques ayant occupé l'Espagne).
C'est ainsi que tout est mis en œuvre pour différencier chaque région et à raffermir le pouvoir des élites politiciennes locales. Dans ce but, la langue devient un outil crucial car il permet à peu de frais de bâtir une conscience d'appartenance locale là où elle était faible ou en déclin.
La conséquence est qu'en Catalogne il est devenu impossible de scolariser son enfant en espagnol et que les nouvelles générations issues de l'éducation publique catalane maîtrisent de moins en moins bien la langue commune.
Ce phénomène avait commencé au pays Basque et en Galice au profit des langues locales respectives, mais le récent changement de majorité dans ces régions commence à modifier la donne.
Les gouvernements régionaux ne sont guère à blâmer dans cette question. Les mesures qu'ils prennent pour favoriser les langues vernaculaires et à l'encontre de l'espagnol reçoivent le consentement des électeurs par simple fait de l'arithmétique électorale.
Cette force des périphéries se nourrit de la faiblesse du modèle espagnol. Sans paladin pour le défendre, dans une Espagne où la rapport des forces intellectuel entre la droite et la gauche est comparable à ce qu'il était en France voici trente ans, le modèle d'une Espagne foyer commun de tous les Espagnols où une langue commune sert d'outil de rapprochement n'a pas de défenseur crédible.
Tant que l'Espagne ne réinventera pas un modèle culturel attractif, il est vain de s'attendre à un affaiblissement des modèles périphériques.
En attendant, ce conflit linguistique impose des contraintes considérables sur les droits des citoyens ordinaires. Le Parti populaire défend au niveau de Madrid une proposition de loi qui renforce le droit des parents de scolariser les enfants dans la langue de leur choix. Cette loi, si elle était adoptée, se heurterait de front à d'autres dispositions soutenues par le même parti au niveau local, par exemple à Valence.
Cette proposition est combattue par la gauche nationaliste catalane qui ne cite pas d'arguments mais qui accuse ses adversaires de vouloir détruire le catalan et de catalanophobie (voir la vidéo au début de ce blog).
Son intervention est combattue par une brillante intervention de la députée Rosa Diez qui illustre un courant unitaire minoritaire de la gauche espagnole.
Le débat ne risque pas de s'éteindre de sitôt, mais il est plaisant de voir comment avec la meilleure bonne conscience du monde, les partis nationalistes conduisent une politique hégémonique qui est l'exact pendant de celle qu'ils reprochent au franquisme d'avoir menée.
2 commentaires:
En France, malgré effectivement une forte politique centraliste, on revoit des écoles occitanes dans le Sud-Ouest, les Calendretes, des écoles enseignnant le breton en Bretagne, d'autres qui se remettent au catalan vers Perpignan et des écoles où on enseigne en basque dans les Pyrénées Atlantiques... Eh oui, le problème et le phénomène existent aussi en france, depuis les années 70 ! Le retour à la nature des hippies n'y a pas été étranger, et la renaissance des langues régionales a bénéficié de cette mode. Intéressant à étudier aussi dans notre pays, le phénomène n'est pas si marginal que ça... Ces écoles, comme les écoles confessionnelles et communautaires sont privées, mais elles existent et sapent quelque peu, d'une certaine manière, l'unité de l'état artificuel qu'est la France... A méditer !
Malgré tout, contrairement à l'espagne, on continue dans ces classes à apprendre aux enfants la langue officielle du pays. Pour éviter une dislocation totale de la nation ? Probablement. En attendant, il est vrai qu'un gamin iissu de l'immigration des cités du 93 n'a rien à voir avec un gamin de Bagnères de Bigorre ou de St Étienne de Baïgorry... L'un grandi dans une calendrete, et l'autre dans une école basque ! Il faut savoir aussi que le pays Basque est la province la plus riche d'Espagne... Et que si elle devient totalement indépendante, l'Espagne va devenir un pays en voie de développement ! Alors, évidemment... Idem pour la Catalogne ! Les deux provinces les plus riches sont celles qui ont le plus de velléités indépêndantistes, et si l'Espagne veut survivre elle a intérêt effectivement à leur donner ce qu'elles demandent, sinon, elle crèvera ! La Catalogne et le Pays Basque tiennent le reste du pays sur leurs épaules, et parfois, même le portent à bout de bras ! Évidemment, ceci complique la donne.
Pour ce qui est de la France et de l'autonomie de la Bregagne, de notre bout de Pays Basque, de la Catalogne et de l'Occitanie ou de la Corse, comme leur impact économique est dérisoire et que tout est soigneusement centré vers Paris ou le Sud- Est du pays, qu'économiquement ces régions sont sinistrées, il va de soi que le problème est moins saillant qu'en Espagne... Si ces régions acquerraient l'autonomie, elle crèveraient très vite de faim ! Dans l'état actuel des choses, on n'en est pas loin, elles sont déjà sinistrées économiquement...
Adieussatz, et portas-vos plan, comme on dit par chez moi !
Tinky :-)
Il existe, c'est vrai un mouvement en faveur de l'enseignement des langues régionales en France. Mais il est limité par la force d'inertie des institutions françaises qui ne font rien, tout au contraire, pour le soutenir. Le refus d'intégrer les écoles Diwan à l'éducation publique en est un exemple récent.
En ce qui concerne l'Espagne, je crois que vous sous-estimez la situation, notamment en catalogne, on l'enseignement de l'espagnol est marginal, comme un langue étrangère.
Ce n'est pas encore le cas au Pays Basque et le changement de gouvernement changera probablement la donne.
En revanche, je ne crois pas que le Pays Basque soit encore la région la plus riche d'Espagne. C’était vrai du temps de Franco quand la catalogne et le Pays Basque se disputaient la première place. Aujourd'hui, paradoxalement, la démocratie fait progresser davantage Madrid et Valence.
Ce n'est pas vrai que les régions périphériques de la France sont sinistrées. Ce n'est pas le cas de la Bretagne et si l'autonomie venait un jour, je crois que les résultats seraient bénéfiques.
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