dimanche 5 avril 2009

Hobo, le « papy » qui rendit possible le jour J









La carrière de Hobart illustre la maxime selon laquelle la guerre est trop sérieuse pour être laissée aux militaires. Sans Churchill, Hobo aurait fini la guerre comme caporal de la Home Guard.


Les castes militaires restent souvent inertes face à l’évolution des matériels et des techniques. Les armées, surtout lorsqu’elles viennent de gagner une guerre, ont tendance à conserver les méthodes qui leur ont permis d’obtenir des victoires dans le passé sans se préoccuper de savoir si elles ont bien survécu au passage des années. L’histoire du général britannique Percy Hobart est un résumé caricatural de tout ce qu'une armée peut faire de pire à l’égard d’un brillant esprit, innovateur et iconoclaste. Heureusement pour le Royaume Uni, Churchill est intervenu pour sauver ses chars de la bêtise de l’état-major impérial. Une leçon à méditer.

Winston Churchill jeta à terre son exemplaire du Sunday Pictorial daté du 11 août 1940. Une grimace de contrariété barre son visage. Un titre barrant la une a suscité cette réaction de colère : «Nous avons gaspillé des cerveaux!». Le texte de l’article était de la même veine. Le meilleur des analystes militaires du royaume, le célèbre capitaine B.H. Liddell Hart prenait la défense d’un obscur militaire retraité, le Major General Percy Hobart, dont le portrait au magnifique béret noir des chars ornait l’article.

Pour l’écrivain militaire, le cas de cet officier illustrait la tragique capacité du Royaume Uni à «gaspiller des cerveaux».

Ancien commandant de la première blindée de l’histoire de cette arme, pionnier et théoricien de la Blitzkrieg au même titre que le général Guderian, l’auteur d’Achtung! Panzer! Paru en Allemagne en 1934 et du colonel De Gaulle avec Vers l’armée de métier, également paru en 1934 en France, les innovations techniques dans le domaine de guerre blindée qu’il avait mises au point lui valaient l’estime des militaires du monde entier et une attention tout particulière de ses adversaires potentiels, les Allemands.

Au moment où l’Angleterre devait faire face à un immense péril, le général Hobart ne se trouvait pas en première ligne. Il ne commandait pas les blindés britanniques. Il ne se trouvait même pas dans l’armée. Les journalistes du Sunday Pictorial l’avaient trouvé servant comme simple caporal dans les rangs de la Home Guard. Ces grands-pères qui attendaient l’invasion allemande de pied ferme, étaient armés de modestes pétoires et leur uniforme se limitait le plus souvent à un brassard orné des armes de la couronne.

Les mandarins de l’état major impérial n’avaient pas jugé digne d’une autre mission au théoricien britannique de la Blitzkrieg, cette nouvelle méthode de guerre qui venait pourtant d’étriller les armes de sa majesté sur le continent quelques semaines plus tôt.


En juillet 1940, le roi George VI inspecte une unité de la Home Guard à l’instruction au tir. Leur rôle est de surveiller les voies de communication et les plages.

Après avoir lu l’article, Churchill, l’homme le plus puissant du royaume, était décidé à offrir des responsabilités plus importantes à Hobart. Dans cette entreprise, le premier ministre allait mener à bien une des plus étonnantes résurrections militaires de l’histoire. Au moment où il prenait cette décision, l’Angleterre connaissait les heures les plus sombres de son histoire. Les armées allemandes se massaient sur les côtes pour entreprendre l’invasion de l’île, la Luftwaffe menait la vie dure à la Royal Air Force dans le ciel.

L’armée britannique avait été mise en déroute en France par les méthodes de guerre modernes que le général Hobart, aujourd’hui simple caporal, avait révélées au monde pour la première fois. Comment pouvait-on ignorer que les méthodes mises en œuvre pour la première fois en Grande Bretagne par Percy Hobart avaient donné la victoire à la Wehrmacht?

Le premier ministre donna l’ordre de réintégrer le caporal Hobart dans l’armée. Le chef de l’état-major impérial était prié de lui donner le commandement d’une des nouvelles divisions blindées. Aucun délai n’était accepté. Un entretien personnel devait être organisé entre le premier ministre et le caporal Percy Hobart.

Dans une maison modeste, située près d’Oxford, Percy Hobart se préparait à rejoindre ses vieux pépères de la Home Guard. Celui qui avait commandé des centaines de véhicules blindés en manœuvres, celui qui avait organisé et entraîné la VIIe armée blindée en Afrique du nord, ce penchait avec mélancolie à sa fenêtre pour apercevoir la modeste baby Austin conduite par une auxiliaire féminine revêche du Women’s Volunteer Services qui allait le conduire à son point de rassemblement.

Sur le point de franchir le seuil de sa demeure, le téléphone sonne et le caporal Hobart se trouve en grande conversation avec un des secrétaires de Churchill. On priait le «général» Hobart, expert en guerre blindée, de bien vouloir déjeuner avec le premier ministre dans les plus brefs délais à sa résidence de campagne de Chequers. Ce coup de fil allait bouleverser la vie de ce caporal de 55 ans dont le passé ombrageux détenait en partie la clef de son avenir.
Dès le début des années vingt, quand il avait été transféré au Royal tank Corps comme ingénieur militaire, Hobart avait projeté sa réflexion vers l’avenir. Il comptait parmi les très rares spécialistes au sein de chaque nation pour lesquels le char apparaissait comme l’arme décisive des combats à venir.


J.F.C. Fuller en 1919 alors qu’il sert au rang de colonel dans l’armée britannique.

Ces spécialistes de la guerre blindée s’inspiraient largement de la pensée de deux théoriciens britanniques, le capitaine B.H. Liddell Hart et J.F.C. Fuller. Le premier était le plus déterminant des deux. A cette époque, l’opinion le considérait comme le plus brillant expert du pays. Il écrivait abondamment en faveur de cette nouvelle arme et d’une nouvelle doctrine de mobilité stratégique. Ce concept reste aujourd’hui au cœur de toute pensée militaire. En revanche, au lendemain de la Première Guerre mondiale, ces idées nouvelles étaient hérétiques aux yeux de nombreux états-majors.

Liddell Hart avançait l’idée selon laquelle les chars allaient remettre à l’honneur au XXe siècle l’ancienne conception des Mongols de la plus extrême mobilité. A ses yeux, les sanglants affrontements du conflit précédent étaient terminés. Le génie militaire des grands stratèges allait enfin remplacer les inutiles boucheries des assauts frontaux de la guerre des tranchées.
Les penseurs militaires orthodoxes de cette époque ne pouvaient pas admettre sans réagit la diffusion d’idées aussi dérangeantes qui exigeaient non seulement une solide culture militaire mais aussi la capacité d’imaginer des solutions nouvelles.

Des hommes imaginatifs, dotés de vision et en mesure d’appliquer concrètement ces nouveaux principes dans la réalité militaire étaient fort rares dans le Royaume Uni des années folles. Percy Hobart était un de ces hommes. Sa personnalité riche et multiple, son expérience diversifiée faisaient en sorte que la mobilité était devenue une seconde nature pour lui.
Il ne se contentait pas d’étudier l’histoire militaire, il se passionnait tout autant pour la peinture, la littérature et l’architecture religieuse. Il n’est pas étonnant qu’un tel homme ne trouvait pas à sa place dans l’institution militaire britannique.

Ce que Liddell Hart avait appelé le concept «mongol» de mobilité stratégique était devenu l’obsession de Hobart et l’objet de ses préoccupations intellectuelles. Le développement de ces concepts et leur adaptation au monde industriel caractérisé par la motorisation étaient le souci majeur de Hobart. Son imagination follement créatrice était stimulée en permanence par cette révolution dans l’art militaire qu’il pouvait visualiser. Toutefois, cette imagination était tempérée par un réalisme à toute épreuve : «Les guerres ne peuvent pas se gagner avec des rêves» avait-il l’habitude de dire. Toute son énergie quotidienne était dirigée vers la mise au point de machines de guerre aptes à mener une guerre blindée et des méthodes en mesure de conduire ces machines à la bataille et d’obtenir la victoire. Son but était de libérer la science militaire de la camisole de force dans laquelle la guerre des tranchées l’avait placée. Pour lui, le meilleur moyen d’y parvenir était de mettre à jour ces fameuses méthodes «mongoles» de faire la guerre.

Le maréchal Rommel photographié à bord d’un Fieseler Storch Fi. 156 C de liaison et d’observation d’artillerie. Il est le pur produit de l’école de pensée inaugurée par Percy Bobart.

Là où les Mongols tiraient leur subsistance du pays ennemi, Percy Hobart prévoyait que ses chars emporteraient tout ce dont ils avaient besoin. Le ravitaillement en combustible devait se faire dans les arrières de l’ennemi à la suite des percées des colonnes blindées.
Sans cesse il cherchait à réduire la cohorte des véhicules logistiques qui ralentissaient les unités conventionnelles au point de les paralyser. Les forces blindées du futur devaient être autonomes dans la mesure du possible pour s’enfoncer au cœur de l’ennemi sans craindre pour leurs arrières.

Des questions logistiques très terre à terre n’empêchaient pas Hobart se tourner son regard vers le ciel. Il avait prévu que ses chars puissent être entièrement ravitaillés par air dès que les capacités opérationnelles de l’aviation le permettraient. Ce qui est aujourd’hui devenu monnaie courante faisait l’objet alors de moqueries. Hobart envisageait de lancer ses colonnes au cœur des arrières de l’ennemi, paralysant sa chaîne de commandement et en démoralisant le moral de ses troupes. Moins de vingt ans plus tard, les panzer de Rommel ou ceux de l’US Army du général Patton allaient démontrer la validité de ces idées.

La résistance à ces idées nouvelles n’allait pas tarder à se durcir. Les tenants de l’ordre ancien se sont sentis menacés par les progrès des idées de la mobilité stratégique. «Hobo», comme était affectueusement surnommé Hobart par ses subordonnés, manifestait à l’égard des tenants de l’ordre ancien et leur résistance aux idées nouvelles le plus profond mépris. «Pourquoi transformer le terrain en bouille par des bombardements d’artillerie pour ensuite envoyer l’infanterie se noyer dedans, tout cela pour gagner quelques centaines de mètres?» s’interrogeait-il. «Les chars franchissent des kilomètres quand des fantassins avancent péniblement de quelques centaines de mètres.»

Pour dire vrai, ces idées n’étaient partagées que par une toute petite minorité de militaires. La vaste majorité des officiers étaient convaincus de la valeur des chars, mais seulement en accompagnement de l’infanterie.




Cette photographie de futurs cavaliers à l’instruction à la fin des années trente aux Pays-Bas illustre de manière cruelle les défauts tragiques de l’armée traditionnelle face à la révolution des blindés. Conservatisme et hiérarchisation rigide ont préparé la victoire allemande.


La cavalerie avait été balayée des champs de bataille par l’apparition de la mitrailleuse, mais l’esprit de la cavalerie et les cavaliers dominaient les états majors britanniques. Ces hommes considéraient les idées de Hobart comme des anathèmes. Professionnellement, ils préparaient l’armée britannique à combattre une nouvelle fois la Première Guerre mondiale.
Très à l’aise avec les idées et les concepts qu’ils avaient ramené des champs de bataille de la Somme, ils craignaient au fond d’eux mêmes qu’Hobart ait raison. Ce sont ces éléments profondément réactionnaires qui ont fermé l’accès à l’état major à tous les partisans des chars.
A cette même époque, aux États-Unis, en dépit de la mécanisation intense de la société américaine, une situation similaire prévalait dans les états-majors. Le développement d’une force blindée autonome était renvoyé aux calendes grecques.

Si Hobart et les siens manquaient d’autorité hiérarchique, ils avaient à revendre de l’énergie, de la persévérance et de l’enthousiasme. Avec l’aide influente des articles de Liddell Hart, les partisans des chars furent en mesure en 1927 d’obtenir de l’autorité militaire la création d’une formation mécanisée expérimentale. Les manœuvres eurent vite fait de démontrer que ces formations surclassaient sans rémission les formations militaires classiques, laissant leurs officiers incrédules et furieux.

Les théories de Fuller et de Liddell Hart, mises en scène par le génie pragmatique de Hobart furent accueillies avec faveur par l’opinion publique. Les tenants de l’ordre ancien ne tardèrent pas à réagir avec vigueur par une campagne énergique contre les théoriciens de la guerre blindée et leurs partisans au sein de l’armée. A tout prix, les hommes des chars devaient être tenus à l’écart du haut commandement. Le Major General J.F.C. Fuller, dont les écrits étaient lus avec avidité aux États-Unis et en Allemagne, était progressivement poussé vers la retraite et il ne lui fut jamais possible d’obtenir un commandement important. D’autres officiers de blindés furent placardés et discriminés au profit d’officiers plus conventionnels. L’étoile montante de Hobart faisait de l’ombre. Des manœuvres commencèrent pour le mettre lui aussi à l’écart. Par miracle, il réussit à survivre aux premières manœuvres et put commander à plusieurs reprises des unités blindées. Il mit au point une méthode de base pour entraîner les chars et fit appel à toutes ses relations pour obtenir que chaque char soit doté d’un appareil de radio.


C’est à l’aide de schémas de ce type que Percy Hobart tentait de faire comprendre aux officiers d’infanterie quels étaient les avantages de la mise en œuvre massive de grandes unités de blindés pour percer le front adverse et semer la confusion dans les arrières de l’ennemi.

Comme la majorité des choses pour lesquelles il s’est battu, les systèmes de communication sont indispensables aux armées d’aujourd’hui. Sans une liaison radio ou autre, un char serait de bien peu d’usage sur un champ de bataille moderne.

Hobart se dépensa sans compter pour convaincre ses supérieurs de l’intérêt d’un équipement radio à bord de chaque char. Lorsque ces précieux appareils sont enfin arrivés au régiment, Hobart était aussi heureux qu’un enfant qui avait reçu le cadeau de Noël de ses rêves. «La conduite des opérations est un élément aussi important que la puissance de feu, le blindage ou la mobilité» disait-il à ses officiers.

Avec les radios, une nouvelle dimension put être ajoutée aux tactiques des blindés. L’équipement moderne d’un char était désormais à sa disposition. Il lui restait à bien apprendre à s’en servir.

Hobart entreprit de mettre au point des méthodes de commandement qui allaient bouleverser le monde. Il balaya d’un revers de main les principes en vogue de son temps. Il voulait que chaque homme de la brigade, du général au simple troufion sache exactement quels étaient les objectifs à atteindre et les méthodes pour y parvenir. «Je ne veux pas d’automates sous mes ordres», expliquait-il.

Il s’efforça d’expliquer tous ceux qui étaient sous ses ordres quels étaient les principes tactiques et stratégiques qu’il voulait appliquer dans le cadre d’une guerre moderne. Sans être un orateur né, Hobart possédait le talent de s’adresser à son auditoire avec une éloquence virile qui avait le don de susciter l’enthousiasme de ses soldats. Il parvenait à sensibiliser ses hommes sur les aspects les plus pratiques des questions militaires. Poussant cette logique plus loin, Hobart appliqua ses principes avec les civils chargés de la conception et de la fabrication de ses blindés.

Quand il obtint finalement ses radios, il fit venir la jeune scientifique qui allait mettre au point ses appareils, la fit s’installer derrière lui dans la tourelle d’un char et il lui montra comment des centaines de véhicules blindés dépendaient du résultat final de son travail.
Après le départ de cette jeune femme, très impressionnée par son expérience à bord d’un char, Hobart se tourna vers son adjoint et lui dit : «Quel horrible et fastidieux travail que celui de cette femme. Mais maintenant elle sait ce que nous deviendrions sans elle.»
L’enthousiasme et l’adhésion suscités par les méthodes de Hobart ont atteint leur zénith en 1934 quand la 1st Tank Brigade, formée en 1934 fut la première unité de chars au monde à suivre les méthodes d’emploi modernes.

En dépit de ses opinions hétérodoxes, Hobart était monté au grade de brigadier et reçut le commandement de cette unité. Il insuffla en peu de temps à cette jeune unité un esprit de corps sans équivalent dans l’armée britannique. Il avait enfin sous ses ordres la formation blindée en mesure de prouver la validité de ses théories sur la mobilité stratégique.


Hobart ne perdit pas de temps. Dans une série de simulations brillamment conduites, il prouva sa capacité à pénétrer ses véloces unités blindées dans les arrières de l’ennemi et à y semer la confusion, précipitant sa défaite. Il porta sa révolution encore plus loin. Il démontra à ses supérieurs que les unités blindées peuvent se déplacer et combattre la nuit. Cette innovation, soufflée par les théoriciens comme Fuller, obligea les militaires à réviser leurs concepts tactiques et stratégiques car Hobart plaçait encore davantage les unités conventionnelles à la merci des chars.

Il mit en place les fondements de la coopération entre l’aviation et les chars, concept toujours d’actualité.

Il menait la vie dure à la 1st Tank Brigade. Il savait bien que les tenants de l’ordre ancien l’attendaient au tournant et il ne pouvait se permettre aucune erreur. L’antagonisme à l’égard des chars restait très fort au sein de l’état major et à chaque manœuvre, Hobart se demandait si ce n’était pas la dernière qu’il avait l’opportunité de commander.

Les efforts démesurés de Hobart furent déterminants pour la mise au point des principes de la Blitzkrieg que les ennemis du Royaume Uni allaient mettre à profit et porter le royaume au bord de la défaite. Le haut commandement britannique s’enferra dans une opposition tout à fait irrationnelle à l’égard des techniques militaires mises au point par Hobart. Par une sorte de détachement intellectuel pervers, la majorité des responsables britanniques ne croyaient pas qu’il serait possible de transposer les effets dévastateurs des méthodes mises au point par Hobart du terrain de manœuvres au champ de bataille.

Ces points de vue suscitaient la colère de Hobart : «A quoi cela sert que nous nous crevions la paillasse dans des exercices quand toutes les leçons que nous en tirons sont ignorées par ceux qui nous commandent?»

L’amour du cheval semblait jouer un certain rôle dans le scepticisme généralisé à l’égard des blindés. La mise à la retraite de ce valeureux compagnon d’armes était retardée par des motifs purement sentimentaux. Les cavaliers s’opposèrent aux chars pour des raisons émotionnelles et ils trouvèrent en Hobart un adversaire teigneux et agressif. Malheureusement, les cavaliers avaient un poids au sein du commandement infiniment supérieur à celui des hommes des chars. Les cavaliers non seulement dominaient les cercles militaires, mais ils avaient des correspondants dans les milieux politiques influents. Un exemple caricatural illustre leur influence. En 1936, le secrétaire à la Guerre Alfred Duff Cooper fit des excuses publiques à la cavalerie pour la mécanisation de huit de leurs régiments!

Le generaloberst Heinz Guderian a tiré les leçons de la défaite de 1918 et s’est inspiré des travaux britanniques, dont ceux de Percy Hobart, pour élaborer la doctrine allemande des blindés.

Dans son pays, en dépit des résultats spectaculaires de sa brigade, les blindés étaient relégués derrière la cavalerie traditionnelle. En revanche, partout ailleurs, ses travaux faisaient l’objet d’études attentives. Un colonel allemand nommé Heinz Guderian se plongea dans les travaux de Hobart et chercha à les adapter à la situation allemande. Chaque compte rendu, les rapports et les observations de Hobart étaient analysés en détail par Guderian. Ces études ont formé la base des nouvelles divisions blindées allemandes, les fameuses Panzer Divisionen qui ont formé le fer de lance de la Wehrmacht. La 1st Tank Brigade de Hobart était le guide pratique de Guderian et il avait trouvé les réponses aux questions que se posaient les Allemands. Il a même suggéré l’adoption du règlement anglais de 1927 par l’armée allemande. Pour être juste, Guderian eut lui aussi des difficultés avec les conservateurs de sa hiérarchie, mais il leur accorda peu d’attention. Quand ils parlaient des limitations des chars, je n’écoutais pas. «C’est la vieille école et déjà de l’histoire ancienne. J’ai mis ma foi dans Hobart, le nouvel homme.»
On raconte qu’à la fin de certaines manœuvres des blindés allemands réalisées avant-guerre, le général Guderian avait offert un toast à Hobart.

Hélas pour lui, le dynamique pionnier des blindés anglais était considérablement moins populaire dans son pays qu’en Allemagne.

Un conservatisme hors de propos se tournait de plus en plus hostile à l’égard des blindés et de leurs théoriciens. Pour ne rien arranger, la situation internationale et la prémonition des désastres à venir, transformait Hobart en un avocat désespéré de ses méthodes, sa vérité, qu’il savait validée par la pratique.

La véhémence de ses propos, son agressivité à l’égard de ceux qui ne partageaient pas ses idées, le désignaient pour une mise à l’écart. Une mort professionnelle «Un homme sans ennemis ne vaut rien» avait-il l’habitude de dire.

A la fin des années trente, il avait plus d’ennemis au ministère de la Guerre que tous les officiers britanniques réunis. Il avait été impliqué dans d’après discussions avec toutes les huiles de l’état major. Tous les grands patrons de l’armée, du chef de l’état major impérial vers le bas avaient subi le feu des critiques de Hobart et de son implacable logique. La confrontation incessante avec ses supérieurs ne pouvait conduire Hobart que vers une impasse.
Les efforts déployés pour le faire modérer ses arguments ne rencontrèrent aucun succès. Le théoricien Liddell Hart, très préoccupé par les tribulations de son poulain, l’invita à dîner en compagnie du général Tim Pile, un autre farouche partisan des chars. Leur seul but était de non seulement sauver Hobart de lui même, mais aussi de sauver l’idée même de guerre blindée, que l’affrontement de Hobo avec l’état major mettait en péril.

Dans l’atmosphère détendue d’un club très british, Liddell Hart et Pile dessillèrent les yeux de Hobart. Ses méthodes pour emporter le morceau allaient aboutir aux résultats contraires à ceux qu’il escomptait. A l’instar de toutes les fortes personnalités, Hobart pouvait passer d’un extrême à l’autre dans sa manière de se comporter. La force de son caractère était tempérée par un charme irrésistible.

«Il s’est excusé de la plus aimable façon, se souvint Liddell Hart, et il promit de ne plus recommencer. Hélas, moins d’une semaine plus tard, le chef de l’état major impérial s’est plaint à moi que Hobo s’était à nouveau montré d’une agressivité insupportable à son égard. J’ai immédiatement grondé Hobo pour sa conduite, mais il m’a répondu qu’il n’avait pas eu conscience d’être agressif avec quiconque.»



Cette photographie étonnante, prise le 26 juin 1950, réunit (à gauche) Heinz Guderian et le théoricien britannique des blindés Liddell Hart (à droite). Le maître à penser et le tacticien.

Dans un pareil climat d’affrontement et de controverse, il n’est guère étonnant que la formation de la première division blindée ait pris du retard. Les Allemands en alignaient déjà quatre et en mettaient sur pied d’autres. Les craintes et les prédictions les plus pessimistes de Hobart se matérialisaient. Il était le choix le plus évident pour commander cette nouvelle unité. Le ministre de la guerre, l’énergique et consciencieux Leslie Hore-Belisha, était déterminé à nommer Hobart à ce poste. Les conservateurs du War Office firent une brillante démonstration de guérilla bureaucratique et de résistance professionnelle. En dépit de ses efforts, le ministre fut incapable de nommer Hobart au commandement qu’il convoitait. Plus tard, dans ses souvenirs, Hore-Belisha se souviendra : «De toute mon expérience ministérielle, je n’ai jamais rencontré une telle obstruction délibérée que dans mes efforts pour nommer Hobart à la tête de la nouvelle division blindée.» Un cavalier spécialisé dans la préparation des instructeurs en équitation fut l’homme proposé par le War Office pour ce commandement vital. Cette proposition illustre bien l’incompréhension de la hiérarchie militaire britannique à la veille du déclenchement de la Seconde Guerre mondiale. Dans un compromis de dernière minute avec les pontes de l’état-major, Hobart reçut la responsabilité de l’entraînement militaire. Par ce stratagème, Hore-Belisha espérait que l’énergie de Hobart et son enthousiasme, sa connaissance de la guerre blindée puisse se diffuser dans toute l’armée grâce à de nouvelles méthodes d’entraînement.

Le génie des blindés se trouvait désormais au cœur du dispositif ennemi. Il était le dernier homme des blindés nommé à un poste d’importance. Par de subtiles manœuvres, les bureaucrates du War Office vidèrent progressivement ses responsabilités de toute substance. Les pressions se multipliaient sur Hore-Belisha pour expulser définitivement Hobart de l’armée.

La crise de Munich fournit les circonstances permettant enfin de se débarrasser de lui. Il fut embarqué sur un avion en partance pour Le Caire et il reçut la mission de mettre sur pied la deuxième division blindée britannique. Avec le départ de Hobo pour le delta du Nil, les défenseurs de la nouvelle stratégie disparaissaient complètement du paysage londonien. Dans ses écrits Liddell Hart n’est pas tendre : «Ces décisions de la haute hiérarchie militaire allaient coûter très cher au Royaume Uni en vies humaines et en prestige. Le conservatisme était à nouveau bien à l’abri au sein de l’armée britannique.»

Quelques rares unités mécanisées et motorisées, dotées d’un équipement obsolète, c’est tout ce qu’allait trouver Hobart en Égypte pour servir de base à sa future division blindée. Une triste perspective en soi, mais l’état d’esprit démoralisé et de mauvaise volonté du commandement en Égypte se révélait comme un adversaire encore plus formidable. A la tête de l’armée en Égypte se trouvait un des officiers les plus acharnés dans la défense des doctrines éprouvées durant la Première Guerre mondiale. Non seulement les deux hommes s’étaient détestés et affrontés sur le plan professionnel, mais une sourde opposition sociale les séparait. Le commandant en chef était imbu des valeurs de classe portées par l’armée de sa majesté et il ne supportait pas l’idée que Hobart se soit marié en 1928 avec une femme divorcée.
De nos jours, ces événements familiaux ne rentrent pas en ligne de compte mais à l’époque, certains officiers considéraient cette conduite comme une transgression suffisamment grave de l’éthique militaire pour justifier des menaces de sanctions professionnelles sur Hobart de la part de son commandant en chef.

L’arrivée de Hobart en Égypte fut suivie d’une brève entrevue entre les deux hommes. «Je ne sais pas pourquoi vous êtes là, Hobart. Aboya le commandant en chef. Ce que je sais, ce que je ne veux pas de vous ici.»







Photographiés au Caire, debout de gauche à droite : Tedder, Brooke, Harwood et Casey. Assis, Smuts, Churchill, Auchinlek et Wavell. Paradoxalement réunis, Wavell, l’homme qui a chassé Hobart de l’armée, Churchill celui qui l’a fait revenir et Brooke qui allait lui confier son commandement le plus important.

Dans cette atmosphère empoisonnée, Hobart s’est mis au travail pour bâtir la division blindée de ses rêves. Il n’existait pratiquement aucune communication entre son bureau et l’état major au Caire. Personne ne manifestait de la sympathie pour ce qu’il tentait de faire et il recevait aucune offre de coopération ni aucun matériel. Ces conditions éprouvantes ne font qu’accroître le mérite de Hobart dans ce qu’il est convenu d’appeler le miracle de la 7th division blindée.
Les troupes accoutumées à la tranquille vie de garnison coloniale se sont trouvées avec un rude maître d’école. Poussées dans le désert nuit et jour pour des exercices mille fois répétés, au lieu de se révolter, elles ne tardèrent pas à partager l’esprit guerrier de leur chef. Il leur infusa son moral d’acier, le même qu’il avait su communiquer à la 1st Tank Brigade. Mois après mois, il réussit à transformer un agrégat disparate d’unité en une machine de guerre aux réflexes bien rodés.

Prenant pour emblème la gerboise (rat du désert), ils devinrent rapidement connus sous le sobriquet de «rats du désert». Ils prouveront au monde qu’ils étaient la meilleure unité blindée britannique durant la campagne d’Afrique du nord.

Le Lieutenant-General Sir Richard O’Connor, commandant de la Western Desert Force en 1940 avait déclaré que la 7th Armoured Division «était la division la mieux entraînée que je n’ai jamais vue».

Les duels verbaux épuisants et démoralisants qui l’avaient opposé au War Office devenaient désormais quelque chose du passé au fur et à mesure qu’il prenait toute la dimension de cette tâche.

Lorsque la guerre fut déclarée en septembre 1939, il commandait une superbe force blindée, très mobile et dotée d’une puissance de feu impressionnante. Amaigri, durci, à 54 ans Hobart était prêt au combat.

Trois mois plus tard, il était mis à la retraite d’office.

Ce coup fatal est venu des mains du général Sir Archibald Wavell qui prit cette décision au vu d’un rapport négatif sur Hobart rédigé par le général qui le haïssait et qui avait juré de lui faire payer professionnellement ses incartades avec l’éthique sociale militaire. Normalement, Hobart était imperméable aux coups qui lui étaient portés. Cette fois, malgré tout, il vacilla en ressentant de tout son être cette mise à l’écart brutale et totale.



Un char léger allemand PzKpfw I en 1936. Ces blindés légers ont permis aux Allemands de se familiariser avec les chars.

Lady Hobart se souviendra longtemps de cette mise à l’écart comme le seul moment de leur vie où le général aura montré un certain désespoir. «C’était un homme abattu» déclara-t-elle quelques années plus tard. «Tout homme ne possédant pas sa solidité aurait succombé à pareille blessure. D’autant plus que ce coup fut porté alors que rien ne l’avait annoncé.»
Le général Wavell, doté lui aussi d’un sens inné de la mobilité, se révélera incapable quelques années plus tard d’expliquer les raisons de cette malheureuse décision. Le départ d’un génie des blindés de son commandement au front allait avoir des conséquences incalculables pour la fortune des armes britanniques.

Liddell Hart reprocha personnellement à Wavell sa décision au détriment de Hobart et lui fit clairement comprendre sa réprobation face à une décision aux conséquences aussi déplorables. «Les explications de Wavell étaient plutôt vaseuses» écrira plus tard Liddell Hart.

Wavell se gagnera des lauriers en partant en campagne contre les Italiens et en leur infligeant une cruelle défaite grâce à la valeureuse 7th division blindée formée par Hobart, se moquant de la supériorité italienne en hommes et en matériel.

Par un des tours que joue parfois la destinée, Liddell Hart avait préparé en 1937 pour le ministre Hore-Belisha une liste des généraux britanniques pouvant le jour venu devenir de grands chefs de guerre. Deux noms se détachaient nettement du lot : Wavell et Hobart.
Le sort de l’armée britannique en Afrique du nord reposa après le départ de Hobart entre les mains d’officiers qui n’avaient qu’une maîtrise incomplète des grandes unités blindées modernes. L’emprise des conservateurs était si forte que ce n’est qu’à la fin de 1942 que les premiers officiers de blindés parviendront à des commandements de division. Ces préjugés persistants à l’encontre des officiers de chars se reflétaient dans les résultats sur le terrain.
En dépit de son infériorité numérique mais doté d’un réel génie dans l’utilisation des forces blindées, Rommel a accumulé les victoires et a repoussé dans des conditions humiliantes les successifs généraux britanniques envoyés à sa rencontre. Les troupes sur le terrain ainsi que le public britannique ont commencé à s’interroger pour savoir sir l’armée britannique avaient entendu parler des chars avant Rommel.

Les forces britanniques, constamment déçues par leurs chars, commencèrent à les regarder avec suspicion. Quand Hobart arriva en Angleterre, il soumit un appel contre sa démission forcée au roi. Mais cet appel ne fut jamais transmis par le War Office. Les ennemis de Hobart avaient réussi à éliminer pour toujours Hobo et n’avaient aucune envie d’attirer l’attention du roi sur son cas.


Une fourragère de l’armée française dans une rue de la banlieue parisienne. Dans la foule, des militants communistes manifestent leur opposition à la guerre contre l’Allemagne nazie.

Voilà pourquoi le général Hobart avait abandonné son brillant uniforme et ses médailles pour revêtir le brassard de la Home Guard dans le silence de sa salle à manger.

Il rejoignit son affectation sans rien trahir de sa déception à sa femme et à sa famille. Un effort délibéré avait été déployé pour briser le moral de Hobart ainsi que pour mettre un point final à sa carrière militaire. Un homme autre que lui n’aurait pas manqué de s’apitoyer sur son sort. Mais Hobo était d’une autre trempe : «Puisque je ne peux pas faire ce que je veux, je dois faire ce que je peux», dit-il à sa femme. Il s’adonna avec sérieux à ses devoirs de caporal de la Home Guard. Avec le passage du temps, il se persuadait que son heure allait venir et que la roue de la fortune allait tourner en sa faveur. Ce qu’il n’avait pas prévu était que cette roue allait se métamorphoser dans les chenilles des panzer allemands.

Six mois après le départ humiliant de Hobart d’Égypte, les chars de Guderian balayaient l’armée britannique de France dans une des défaites les plus humiliantes de l’histoire militaire. Le capable et visionnaire commandant allemand avait appliqué à la perfection les principes imaginés et mis en pratique pour la première fois par Hobart. Jamais il n’y eut de moment plus urgent pour remettre à plat les affaires militaires que les semaines qui ont suivi le désastre de la campagne de France et le miracle de Dunkerque qui avait sauvé l’armée défaite de la capture.
Il peut sembler incroyable de constater que les événements tragiques du front français n’ont altéré en rien les certitudes des conservateurs au sein de l’armée britannique. Leur tragique incompréhension des événements se poursuivait sans altération. L’écrasement des unités sur le modèle de la Première Guerre mondiale leur semblait le résultat d’un extraordinaire coup de chance de la Wehrmacht alors même que les résultats des manœuvres conduites par Hobart les années précédentes auraient dû leur annoncer clairement cette évolution des techniques militaires.


Un char français Hotchkiss H-35 photographié en Norvège entouré de soldats français, polonais et britanniques. Mieux utilisé, en formations cohérentes, il aurait constitué un danger réel pour les blindés allemands.

Winston Churchill n’était guère satisfait par cet état de la situation. Il n’avait aucune sympathie pour le jusqu’au-boutisme dans l’erreur de l’état major. Lors de la Première Guerre mondiale, Churchill avait dû lui aussi se battre pour que les chars aient leur chance. Entre les deux guerres, il avait suivi de près l’évolution de la doctrine concernant les chars. Le contre-emploi de Hobart avait scandalisé l’homme politique alors dans l’opposition. Devenu premier ministre et ministre de la Défense, il était désormais l’homme le plus puissant au Royaume Uni. Et pourtant, remettre au travail le meilleur spécialiste britannique des chars et général des blindés allait lui demander toute l’énergie et la force de persuasion dont il était capable ainsi qu’une bonne dose d’éloquence.


Un char lourd français B1-bis armé d’un puissant canon de 75 mm capable de détruire tous les blindés allemands, y compris le Panzer IV. Les Allemands vont réutiliser ces machines sous le nom de PsKpfw B1-bis 740 (f).



Le 19 octobre 1940, Hobart était toujours sans emploi. Sa nomination était bloquée quelque part dans les bureaux du War Office. Un dossier fut remis à Churchill contenant la liste des raisons pour lesquelles le père de la Blitzkrieg ne devait pas recevoir un commandement et encore moins celui d’une division blindée. On avançait notamment son mauvais caractère et son étroitesse d’esprit. Churchill répondit aux mauvais coucheurs du War Office dans une lettre qui illustre bien son état d’esprit.

19 octobre 1940, le premier ministre au général Dill, 
chef de l’état major impérial.
«J’ai été très heureux d’apprendre la semaine dernière que vous proposiez de confier une division blindée au général Hobart. J’ai la meilleure opinion de cet officier et les préjugés à son encontre chez certains me laissent froid. De tels préjugés sont monnaie courante à l’encontre de personnes animées par une forte personnalité et défendant des points de vue originaux. Dans son cas, les analyses du général Hobart n’ont été que tragiquement confirmées par les événements. L’incapacité manifestée par l’état major de concevoir des plans de chars convenables avant la guerre nous a privés de tous les fruits de son invention. Ces fruits ont été volés et mis à profit par l’ennemi avec des conséquences terribles. Nous devrions, donc, nous rappeler que cet officier possédait au fond de lui la science des chars et la capacité de concevoir leur emploi dans le futur. J’ai lu avec le plus grand soin votre note et le résumé des arguments en faveur et en contre le général Hobart. Nous sommes en guerre maintenant. Nous luttons pour notre survie. Et nous ne pouvons plus limiter les nominations à des postes de responsabilité au sein de l’armée aux seuls officiers qui n’ont jamais encouru le déplaisir de leurs pairs. Le catalogue des défauts et des qualités du général Hobart est le même que celui de tout autre grand capitaine de l’histoire de l’armée britannique.»

«Il est temps désormais de mettre à l’épreuve des hommes de caractère et de conviction et ne plus se reposer exclusivement sur ceux qui ont été jugés aptes selon les standards conventionnels.»

Cinq jours plus tard, le général Dill, chef de l’état major impérial depuis le 26 mai 1940, revient à la charge et tente de convaincre Churchill de l’impérieuse nécessité de laisser Hobart là où il est : caporal dans les rangs de la Home Guard. Le premier ministre lui répond vertement : «Souvenez-vous. Ce n’est pas seulement avec de bons garçons que l’on gagne des guerres; mais aussi avec des sales types.»

Avec ce coup de pouce, l’étoile de Hobart retrouva une petite place dans le firmament des officiers britanniques. Il mit sur pied et entraîna la 11th Armoured Division destinée à se battre en Afrique du nord. Tout en apposant sa marque personnelle sur la division, il étudiait les conditions du désastre imposé aux Britanniques par Rommel. Il était sûr de pouvoir battre le renard du désert si seulement on lui laissait une chance de le faire.



Une formation de chars légers allemands en manœuvres en 1936. Nombre d’observateurs n’ont pas toujours pris au sérieux ces curieuses petites machines. Pourtant elles allaient donner naissance aux puissantes divisions blindées allemandes

Mais en septembre 1942, à la veille du départ de la 11th Division, les bureaucrates du War Office réussirent à nouveau un mauvais coup contre Hobart.

Comme on ne pouvait plus mettre en cause ses idées, ils eurent l’astuce d’invoquer des raisons de santé et notamment ses 56 ans. Ils eurent moins de chance en choisissant un mauvais moment pour faire leur mauvais coup un mois noir pour les armes britanniques. A peine trois mois plus tôt, Rommel avait repoussé la puissante VIII Army de Tobrouk à El Alamein. Ces revers avaient été infligés aux Britanniques par un ennemi bien inférieur en nombre et en moyens, mais supérieurement doté en mobilité stratégique. Ces défaites avaient suscité la colère de Churchill. En outre, le premier ministre avait personnellement visité et inspecté la nouvelle 11th Armoured Division de Hobart et avait pu constater que cet officier était en pleine possession de ses facultés. Le 4 septembre 1942, la réaction de Churchill à cette dernière tentative fut à la mesure de sa frustration.

«Le premier ministre 
au secrétaire d’état à la guerre : Je ne vois rien dans ces rapports [du bureau médical sur le général Hobart] qui pourrait justifier le départ de cet officier du commandement de sa division. Le général Hobart bénéficie d’une exceptionnelle réputation, non seulement dans son service, mais aussi dans de nombreux cercles en dehors de l’armée. C’est un homme doté de capacités mentales exceptionnelles, avec une grande force de caractère bien qu’il ne travaille pas toujours très facilement avec d’autres personnes. C’est bien dommage que nous n’en ayons pas davantage comme lui à notre service. La persécution dont il est l’objet me choque profondément. Je suis convaincu que lorsque je l’ai transféré de son poste de caporal dans la Home Guard à celui de commandant d’une des nouvelles divisions blindées, j’avais insisté pour qu’il contrôle l’entier développement des chars et reçoive un siège au conseil de l’armée, nombre des erreurs dont nous avons tant souffert n’auraient pas eu lieu. Les hauts commandements de l’armée ne sont pas un club. C’est mon devoir de m’assurer que les hommes exceptionnellement capables, même s’ils ne sont pas très populaires parmi leurs congénères, ne sont pas empêchés d’entrer au service de la Couronne.»

Malgré tout, au dernier moment, Hobart fut remplacé à la tête de 11th Armoured Division à la veille de son départ pour l’Afrique du nord. Sous le commandement du Major-General G.P. B. «Pip» Roberts, un des poulains de Hobart de grand talent, la 11th devint une des meilleures divisions blindées britanniques durant toute la guerre en Europe. Hobart mit sur pied et entraîna deux des meilleures divisions blindées de la guerre, mais un défi encore plus grand l’attendait. Un emploi bien plus important que celui du commandement d’une division au feu.
La future invasion de l’Europe et la campagne contre l’Allemagne allaient demander toute une variété de nouveaux types de chars et de véhicules blindés. On allait avoir besoin de chars pour franchir des fossés et des rivières, nettoyer des champs de mines, servir de lance-flammes, détruire des points d’appui fortifiés, débarquer sur les plages avec les vagues d’assaut, traverser les rivières, etc. Comme ces chars n’existaient pas, ils devaient être imaginés, conçus et testés, tout comme les méthodes pour les mettre en œuvre. Des hommes devraient être entraînés à la conduite de ces nouvelles et étranges machines.

Les difficultés pour concevoir et développer ces engins étaient extraordinaires. Ce n’était pas un travail à confier à un instructeur d’équitation; Le nouveau chef de l’état major impérial, le général Alan Brooke ne comptait pas avant-guerre parmi les fervents admirateurs de Hobart. Toutefois, il avait assez de bon sens pour se rendre compte qu’il n’y avait qu’un seul homme dans le pays pour mener à bien la tâche de mettre sur pied une unité blindée spécialisée dans l’optique de l’invasion de l’Europe.




Appliquant à la lettre les principes théoriques de Fuller et de Liddell Hart mis en musique par Percy Hobart, les Allemands s’enfoncent dans les arrières du front français.

Le général Alan Brooke convoqua Hobart à son bureau et l’homme des blindés s’attendait à un nouveau coup tordu de la part de la hiérarchie. C’est avec suspicion puis avec étonnement et finalement avec ahurissement qu’il écouta les propositions de l’état-major. La future unité allait bientôt être connue sous le nom de 79th (Experimental) Armoured Division. Après deux décennies de frustration, de déception et de mise à l’écart, Hobart suspectait la présence d’un piège dans d’aussi belles paroles. L’ancien caporal de la Home Guard demanda un temps de réflexion avant d’accepter la proposition. Hobart se mit à la recherche de son mentor Liddell Hart pour lui demander son point de vue sur cette proposition.

Le général trouva le théoricien dans la maison de campagne d’amis à Stoke Hammond, dans les environs de Londres. De toute urgence, Hobo prit son ami par le bras pour l’entraîner dans le jardin pour s’entretenir avec lui. Parcourant les allées dans tous les sens, bravant durant plus d’une heure la température glaciale et le vent polaire, discutant les mérites de cette future unité pour mettre en musique les talents de Hobo Hobart. Les deux hommes étaient tellement pris par leurs échanges que de loin ils semblaient se disputer. L’épouse de Liddell Hart, regardait avec une nervosité croissante les deux hommes dans le jardin, craignant un esclandre. Après un débat passionné, Liddell Hart réussit à convaincre un Hobart chafouin qu’il avait une opportunité unique à saisir et qu’il n’allait plus jamais en trouver une semblable. La 79th devait devenir la plus importante division blindée dans le monde et la première à être entièrement blindée. Les dernières résistances de Hobart finirent par céder. Il accepta la proposition.

L’énergie, le savoir-faire et l’allant de Hobart devinrent des éléments clef dans la mise sur pied de la 79th. On manquait de temps. Il n’y avait pratiquement aucune expérience antérieure sur laquelle s’appuyer. Ce qui plaçait une responsabilité accrue sur les épaules de Hobart dont l’expérience, la perspicacité et l’intuition militaire allaient se révéler indispensables.
Les essais étaient sans fin. Le talent de Hobart pour générer l’enthousiasme pour une idée nouvelle trouvait ici toute sa place. Le 79th (Experimental) Armoured Division choisit une tête de taureau rouge et ne tarda pas à partager les mêmes qualités de confiance en soi, d’élan et d’enthousiasme qu’avaient connu auparavant les autres unités mises sur pied par Hobart. Le général travaillait dans l’urgence et dans l’excitation. Il n’y avait plus de grosses huiles de l’état major pour chercher la petite bête dans ses travaux et pour lui mettre des bâtons dans les roues. Bien au contraire. Les bureaux mettaient tout en œuvre, remuaient ciel et terre pour lui fournir ce dont il avait besoin.


Ike et Monty se serrent la main en novembre 1944 à l’arrière du front des Flandres. Avec l’appui convaincu de l’américain et celui plus prudent de son beau-frère, Hobart put disposer des matériels dont il avait besoin pour organiser la 79th Armoured Division.

Le maréchal Montgomery, le vainqueur de Rommel, était le beau-frère de Hobart. En dépit de son admiration pour son encombrante relation de famille, Monty était resté prudent à l’égard des chars tant que ces petites machines étaient restées impopulaires au sein du War Office. Le héros d’El Alamein mettait désormais tout son prestige au service du travail de Hobart et se fit le défenseur de la 79th auprès du général Einsenhower, le commandant en chef allié. Ce dernier ne tarda pas à reconnaître les exceptionnelles qualités des Hobart pour la mise au point des blindés spécialisés dont il avait besoin pour vaincre les formidables armées allemandes. Son intervention lui permit un meilleur accès aux industries de guerre américaines dont Hobart avait tant besoin. Des coups de pouce de ce calibre et l’appui ferme de Einsenhower brisèrent les dernières poches de résistance. Hobart allait pouvoir monter sa «ménagerie» comme il l’entendait.

Liddell Hart appela la 79th division : «la clef tactique pour la victoire». Non seulement cette unité se battait en tant que telle, mais elle distribuait des éléments parmi les unités alliées selon leurs besoins. C’est sans doute pour cette raison que la division a moins de titres de gloire que d’autres. Mais il est indubitable que les pages de gloire des autres divisions auraient été moins nombreuses sans l’aide des funnies («marrants») de la 79th.

Au moment où les troupes alliées parvenaient au Rhin, la 79th ne comptait pas moins de huit brigades et dix-sept régiments, avec quatre fois plus de blindés et de véhicules à chenilles que la moyenne des autres divisions. Cette vaste ménagerie de métal forte de près de deux mille blindés de tous types se distribuait parfois le long d’une ligne de front de 150 km dans la mesure où l’US Army ne comptait pas d’unité spécialisée comparable, la 79th venait fréquemment en soutien des troupes américaines. Ce fut la seule unité britannique à le faire. Cette situation convenait bien à Hobart. Il aimait les Américains et ceux-ci le lui rendaient bien. Il était direct, franc et énergique. Il savait de quoi il parlait et comprenait la psychologie des Américains comme peu de chefs britanniques savaient le faire. Il n’hésitait pas à réprimander vertement tout officier ou soldat surpris à tenir des propos critiques à l’égard de l’alliance anglo-américaine dont il était un fervent partisan.

A un moment donné, il eut même un adjoint américain, George Thomson, un rejeton d’un magnat du pétrole de New York qui servait au sein de l’armée britannique. La fervente admiration de Hobart pour des qualités américaines comme le savoir-faire et le goût de la mécanique n’était pas affecté. Il avait une appréhension intime des commandants américains et de leurs opinions. Ses connaissances en histoire américaine surpassaient souvent celle de ses congénères de l’US Army. Il avait une excellente opinion des généraux américains. La franchisse et le naturel de ces derniers lui convenaient grandement. Avec le commandant de la IX armée américaine, le général W. H. «Big Bill» Simpson, la relation était excellente. Simpson fut abasourdi lorsque Hobo lui dit qu’il était le plus ancien major-general en service actif d’Europe. Le général américain disait de l’étonnant Anglais : «il est l’officier britannique de haut rang le plus remarquable que j’ai pu rencontrer durant la guerre. En ne faisant attention qu’à la finesse de son esprit à son port, il était impossible de deviner son âge.»

Vigoureux, mentalement actif, Hobart fut au charbon avec sa ménagerie d’acier jusqu’au dernier jour d’une guerre d’où il avait failli d’être exclu. La cause des chars n’avait plus besoin d’être défendue. Les bases du développement futur de l’arme blindée étaient posées par les expériences de la 79th division.


En haut : une charge de démolition « Jones Onion » montée sur un char Churchill. Dans certains cas, la charge pouvait dépasser les 800 kg d’explosifs.

Dans son rapport, le général Eisenhower écrivait :
«En dehors du facteur de surprise tactique, les pertes relativement légères que nous avons eu à souffrir sur les plages (en dehors de Omaha), étaient le fait principalement des inventions mécaniques que nous avons mis en œuvre et à l’effet dévastateur des masses de blindés que nous avons fait débarquer avec les premières vagues d’assaut. Il est douteux que les vagues d’assaut aient pu fermement s’établir sans l’aide de ces armes.»

Hobart a fait probablement plus que tout autre pour développer à la fois les chars de combat et les engins blindés spécialisés. Si la 79th division à la tête de taureau rouge n’avait pas été un tel succès, il est possible que les progrès de l’arme blindée se seraient arrêtés comme ils l’ont fait après la Première Guerre mondiale. Les chars font désormais partie intégrante d’une armée de l’âge nucléaire.

Percy Hobart fut fait chevalier par le roi Georges VI et il reçut la Legion of Merit, décoration dont il était très fier. Quand finalement il se résigna à quitter l’armée après la guerre, il le fit entourer de l’admiration générale. Les leçons de la guerre avaient balayé ses critiques.
A sa mort en 1957, Percy Hobart fut reconnu comme un des artisans de la victoire alliée. Avoir servi sous les ordres de Hobo durant les années cinquante et soixante fut considéré comme un atout dans la promotion d’un officier britannique.



Un char Sherman Crab équipé du rouleau de déminage. L’utilisation massive de ces engins par les Britanniques leur a permis de débarquer et d’occuper leurs positions prévues sur les plages normandes avec moins de pertes que les Américains qui n’en avaient pas voulu.

Une leçon pour l’histoire

La résurrection de Hobart de simple caporal de la Home Guard, mis à l’écart, humilié et persécuté, à celui d’un des plus importants commandants alliés de la Seconde Guerre mondiale demeure une des histoires personnelles les plus étonnantes de ce conflit. Elle ne plaide pas en faveur de la hiérarchie militaire britannique.

Il reste curieux de constater que le nom de Percy Hobart est pratiquement inconnu du grand public. A titre d’exemple, son nom ne figure pas dans le Dictionnaire de la Seconde Guerre mondiale des éditions Larousse. Espérons que cet article contribue à corriger cette injustice.
Selon Liddell Hart, placé aux commandes d’une force importante, Hobart se serait révélé en mesure d’affronter et de vaincre ce que les Allemands avaient de meilleur à lui opposer.
Pour se résumer, le théoricien écrivait : «Hobart était un des rares soldats que j’aie connu que l’on pourrait à juste titre qualifier de génie militaire.» 

6 commentaires:

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