vendredi 4 avril 2008

Un beau livre chez La Martinière




Découvertes
Les derniers trésors de l'archéologie

Brian M. Fagan (dir.)
La Martinière, 260 p., ill., biblio., index, 45 e, ISBN 978-2-7324-3699-9.

Brian M. Fagan, le signataire de ce beau livre collectif, est professeur d'anthropologie à l'université de Californie et l'auteur d'une longue théorie de livres qui se succèdent à intervalles réguliers depuis 44 BP (1964). A cette date il a publié à Lusaka (à une époque lointaine quand existait encore pour quelques semaines la Rhodésie du nord), un modeste guide touristique consacré aux chutes Victoria. Ce court opus a sans doute servi de viatique pour son pèlerinage aux sources de l'histoire humaine et l'a initié aux joies rémunératrices de la vulgarisation tous azimuts.

Rien n'échappe au zèle pédagogique de notre universitaire à mortier, de l'archéologie décryptée pour les ignorants, à l'art de mouiller son ancre expliqué aux apprentis yachtmen, en passant par la civilisation aztèque de A à Z à laquelle, pourtant, il ne semble entraver que pouic.

Quatre de ses livres ont été traduits en français (et non deux, comme l'assure imprudemment son éditeur), ce qui est un juste hommage à de réels talents de vulgarisateur. Il est plus facile de trouver un universitaire toqué confondant profondeur et obscurité qu'un homme de l'art conjuguant connaissance et limpidité.

Une des clef du succès éditorial de Brian M. Fagan réside, certes, dans son habilité à satisfaire les besoins des médias, mais aussi par son enrochement dans l'établissement universitaire et par son refus de céder aux sirènes de l'archéologie alternative, pourtant si en vogue dans les maisons d'édition.

On retrouve ces apétents ingrédients dans la version française de l'ouvrage publié l'an passé au Royaume-Uni, et aux Etats-Unis, que les éditions de La Martinière nous proposent sous le titre Découvertes, les derniers trésors de l'archéologie.

Contrairement à ce grand éditeur parisien qui avait confié voici quelques mois un ouvrage de vulgarisation militaire à des traducteurs spécialisés dans le jardinage et les romans policiers, cette fois la mise en français a été assurée par un ancien élève de l'École normale supérieure, agrégé de lettres, qui est déjà le traducteur de nombreux volumes d'histoire et même d'archéologie. Collaborateur de La Martinière depuis 1995, il a assuré la traduction dans cette maison de vingt-huit ouvrages; de très bons, comme le Sexe à Rome ou de très mauvais, comme les Cinquante meilleurs romans du XXe siècle.


Le sexe à Rome, un sujet vendeur.

Destiné à un public cultivé, le contenu du livre est agréable à lire et fourmille d'informations. La mise en page est élégante et les illustrations sont abondantes et choisies avec soin. Les légendes, bien renseignées, ne sont pas les parents pauvres de la maquette.

Mais là où l'âne est attaché, il faut qu'il broute. Les sujets choisis, comme l'équipe d'auteurs retenue pour les traiter, reflètent bien l'anglocentrisme habituel de l'édition insulaire et la relative frilosité intellectuelle du signataire.

Le premier point est caricatural. On considère qu'il existe deux grands types de sujets en archéologie. Ceux qui relèvent d'un intérêt mondial, comme Atapuerca ou Florès, et les sujets régionaux, comme Boxgrove ou Boscombe. Il est bien naturel que les sujets de la Perfide Albion se passionnent pour le sort des défuntés de Drieffield Terrace, dans le Yorkshire, mais ces macchabées d'outre-Manche seront moins attractifs pour lecteur français ou allemand que la reconstitution des traits de Toutankhamon.

Les défuntés de Drieffield Terrace.

Si l'acheteur de droits étrangers de La Martinière avait simplement jeté ne serait-ce qu'un regard distrait sur le sommaire, il se serait rendu compte que, pour trois sujets français, nous en avons douze insulaires. A elle seule la Grande Bretagne compte plus d'articles que le continent tout entier. Or, l'hominisation laissé plus de traces de ce côté-ci du Channel que dans les îles, déjà réputées pour leur climat peu hospitalier.


L'île de Bretagne se taille la part du lion.

Si certains sujets répondent davantage à un besoin marketing qu'à un intérêt scientifique (le site de Jamestown en Virginie et la pléthore de sites anglais) dans la plupart des cas le choix est très heureux, comme par exemple Atapuerca en Espagne ou Dmanisi en Géorgie, deux grands lieux de la préhistoire européenne ou le grand kourgane de Ryzhanovka en Ukraine.




Le HMS Bounty arrivant à la terre de l'arbre à pain.

En revanche, pourquoi consacrer autant de pages à l'exploration de l'épave de l'HMS Pandora, le navire envoyé à la recherche des mutins de l'HMS Bounty ? On n'a nullement besoin de l'archéologique pour connaître la vie des marins du XVIIIe siècle. Dans les archives se trouvent des milliers de dossiers dans lesquels est détaillé le contenu des navires et la minutie de l'alimentation d'un équipage dont on connaît le moindre membre. Il aurait été bien plus intéressant de montrer la découverte de l'épave du galion San Diego, relevé en 1992 par Frank Goddio au large de Manille.

De même, le coordinateur de l'édition n'est pas allé bien loin pour choisir ses auteurs. Certes, on compte un ou deux français, particulièrement incontournables, mais pourquoi a-t-il demandé à un roast-beef pur sang (mais parfaitement compétent) d'écrire les articles consacrés à la Géorgie ou à Atapuerca alors que les chercheurs responsables de ces découvertes sont disponibles et fort bien disposés à collaborer à des péans à leur gloire ? David Lordikipanidze ou Eudald Carbonell auraient été ravis d'ajouter une ligne de plus à leurs interminables bibliographies.

Corrigeons le tir. Ce reproche ne peut être adressé de bonne foi à l'éditeur d'origine, lequel a fait un effort louable pour s'adjoindre des auteurs étrangers. L'éditeur français aurait dû franciser quelques articles pour rendre l'ouvrage un peu moins anglocentré.

La bibliographie des collaborateurs fait partie des parents pauvres de l'ouvrage. Il est probable que que le preux traducteur n'a guère veillé à la chandelle pour en assurer la francisation. Deux exemples : Michel Brunet est cité à l'occasion de l'article paru dans la revue Nature en 2002 sur la découverte de Toumaï. En revanche, la bibliographie ignore les ouvrages français de ce chercheur dont D'Abel à Toumaï publié en 2006 à Paris chez Odile Jacob. Autre curiosité, un des rares ouvrages cités en français ne figure même pas au catalogue de la BNF. Autre erreur, la bibliographie cite un ouvrage de Franck Goddio l'Egypte engloutie qui aurait été publié (avec un titre en français ?) à Londres en 2002. La British Library consultée répond que cette année là l'archéologue français a publié, en anglais, Lost at sea : the strange route of the Lena Shoal junk. Cherchez l'erreur.

La frilosité de Brian M. Fagan se révèle dans le choix des sujets. Rien de controversé à l'horizon. Cette vision pasteurisée de l'archéologie va probablement favoriser la vente de l'ouvrage dans les écoles publiques, mais laissera bien des lecteurs sur leur faim. Par exemple, rien sur l'archéologie du sous-continent indien, rien sur l'occupation par les hommes du continent Américain. Quid de l'homme de Kennewick, des traces d'occupation sur la côte Est des Etats-Unis ou du site chilien de Monteverde ? Un peu trop hot et spicy pour le palais sénescent du vieux Fagan ?

Au fil des articles, courts et distrayants le lecteur repère de rares erreurs qui n'auraient probablement pas échappé à l'oeil avisé d'un correcteur, si l'éditeur avait jugé bon de consacrer une part minime du budget à cette nécessaire lecture technique. En voici deux à titre d'exemple.

Voici la preuve que le HL de HL Hunley correspond à Horatio L. Hunley.

En lisant l'article consacré à un sous-marin sudiste HL Hunley ayant coulé USS Housatonic, je me suis interrogé longuement sur la signification des deux lettres HL précédant le nom du sous-marin au lieu des CSS (Confederated States Ship) auxquelles je m'attendais. Les noms des navires de guerre sont, dans de nombreuses marines, précédés de quelques lettres qui en précisent le statut. Ainsi le « HMS » des navires britanniques correspond à His ou Her Majesty's Ship ou le USS américain à « United States Ship ». Dans le cas de bateaux civils, on peut aussi trouver les lettres SS (Steam Ship) ou MV (Motor Vessel).


La tombe de l'équipage du CSS HL Hunley.


Comme le Hunley était un bâtiment à propulsion musculaire j'ai cherché les termes commençant par Human. Par exemple Human Legs. Mais après vérification, les matelots actionnaient une vis sans fin à l'aide de leurs bras et non avec leurs jambes. Fausse piste. A court d'idées je me suis plongé dans ma documentation et j'ai découvert l'erreur du traducteur. Le HL n'est pas le préfixe précédant le nom, mais une partie intégrante du nom, soit les prénoms de l'ingénieur Hunley qui a conçu ce sous-marin. La désignation correcte de ce navire est donc CSS HL Hunley.


Une monnaie en or retrouvée dans l'épave du sous-marin.


Autre curiosité, dans l'article concernant le Londres saxon, le traducteur a choisi Bretagne pour rendre probablement le terme Britain. Or, si pour le temps de Jules César ce choix est pertinent, il ne l'est plus à cette époque où deux Bretagnes existent, celles que les géographes appelaient Britania Major (l'île de Bretagne) et Britania Minor (la Bretagne continentale). Le traducteur aurait été avisé de corriger l'anglocentrisme de l'auteur en choisissant « île de Bretagne » au lieu de « Bretagne » tout court.

Regrettons que la bibliographie en fin d'ouvrage soit inexploitable pour le lecteur qui n'est pas anglophone. L'éditeur aurait été avisé d'en demander la francisation à un archéologue. Par exemple, dans la partie « La bière et le vin dans l'Antiquité », ne pas mentionner les travaux du CNRS dans ce domaine est très dommageable.

Il serait triste de ne retenir de ce beau livre que la miscellanée d'étourderies que je viens de relever car cet exercice peut se renouveler avec succès pour tout livre. Ce qui fait la valeur de ce beau volume est le talent de l'auteur à rendre simple et vivante une science complexe et de plus en plus technologique. Il rappelle, par exemple, que l'on a engrangé davantage de découvertes archéologiques ces quinze dernières années qu'au cours du siècle précédent. Rien d'étonnant à cela, précise-t-il, la poignée d'archéologues parcourant le monde à dos de mulet a été remplacée par une armée d'archéologues professionnels se déplaçant en avion.

Passionnant tour du monde de l'actualité de l'archéologie, Découvertes sera d'une lecture profitable et amène pour tous ceux qui s'intéressent à l'histoire de l'humanité dans sa version tous publics. Encourageons simplement l'éditeur, qui compte parmi les meilleurs, à faire un effort supplémentaire pour faire d'un bon parcours éditorial un véritable sans faute.

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