mardi 8 avril 2008

Allumez le feu !

La flamme olympique a été mise en scène pour la première fois à Berlin en 1936.

Les tribulations récentes de la flamme olympique dans son parcours urbain dans les pays occidentaux a remis en mémoire les origines méconnues de cette pratique.

Dans les colonnes de l'Independent, un des meilleurs quotidiens de la gauche bien pensante européenne, le journaliste Andy Smith pousse le bouchon un peu loin en réduisant la flamme olympique à un vulgaire rituel nazi.

A juste titre elle rappelle que l'idée de confier à des relais de sportifs le transport de la flamme entre Olympie et le lieu des jeux est le fruit de l'imagination fertile de Carl Diem, chargé par le gouvernement allemand, avant l'arrivée de Hitler au pouvoir, d'organiser les Jeux à Berlin.

Carl Diem en compagnie de son épouse lors des jeux de 1960.

Il eut notamment l'idée de confier l'allumage de ce feux sacré sur le site des temples d'Olympie à la force des rayons du soleil, concentrée à l'aide de miroirs mus par la blanche main de prêtresses antiques.

L'arrivée de la flamme à Berlin en 1936.

Depuis cette date, les intellectuels de gauche qui détestent le sport en général et les Jeux olympiques en particulier, ne manquent pas une occasion de dénoncer cette compétition internationale, exhibition selon eux d'une vision du monde élististe et raciste.

La cinéaste Leni Riefenstahl fut chargée de tourner Olympia, le film des jeux de Berlin 1936. On la voit ici après la guerre en reportage au Soudan.

On a un bon exemple de cette mentatilté sectaire avec l'ouvrage de John M. Hoberman : l'Universalisme olympique et la question de l'apartheid dont on trouve ici une recension très favorable aux idées de l'auteur.

Extrait :

Cette interprétation des Jeux de Berlin cache mal le fait que la combinaison puissante du sport de Coubertin — la compétition internationale, le rituel païen et le culte du corps — avait longtemps fait appel aux mâles allemands enclins au sport pour qui le nationalisme völkisch [populaire] et la perspective militaire de l’aile droite étaient tout à fait compatibles avec le service dévoué au mouvement olympique et au régime nazi. La carrière olympique de Carl Diem, qui s’étira sur un demi-siècle, des Jeux de Stockholm en 1912 jusqu’à sa mort en 1962, est un cas d’espèce. Les prises de position de Diem comme humaniste allemand et internationaliste olympique étaient en parfait accord avec un profond et ardent désir de l’imperium allemand promis par Hitler, comprenant un mouvement olympique administré par les nazis (41). Disciple dévoué de Coubertin, Diem a servi le régime nazi du début à la fin du Troisième Reich. L’ami de Diem, Walter von Reichenau, avait voyagé avec lui aux États-Unis en 1913 pour étudier le sport américain. Comme l’un des généraux les plus puissant d’Hitler, et célèbre pour ses prouesses sportives, von Reichenau devint membre du CIO en 1938. Comme général et commandant en chef de la Sixième Armée allemande « pendant la campagne russe de 1941, il devait donner un ordre de mission d’une triste notoriété trouvant des excuses pour le prodigieux massacre de Juifs que les SS effectuèrent à Kiev (42) ». Il est tout à fait possible que sa mort en 1942 épargna au CIO la honte de voir l’un de ses membres mis en jugement à Nuremberg. Karl Ritter von Halt, membre du CIO de 1929 à 1964, fut le dernier « Reichssportführer » d’Hitler et membre des SA (43). Lorsque les Jeux olympiques d’hiver se tinrent à Oslo en 1952, les Norvégiens ne voulurent même pas le laisser entrer dans le pays.

Les amateurs éclairés peuvent refaire le parcours de la flamme sur cette version du jeu Monopoly publiée en Allemagne en 1936.

Ces antécédents montrent le contexte historique plus vaste dans lequel le mouvement olympique demeura une expression de cette « idée de l’Europe » qui, de 1940 à 1945, pris la forme d’un « Nouvel Ordre » nazi en Europe. Comme le faisaient de semblables serviteurs de l’empire nazi pour la littérature ou la musique, Carl Diem travailla à amener « la réorientation du sport européen (44) » à l’intérieur du nouvel imperium. Après 1945, il poursuivit tout simplement sa mission à l’intérieur du contexte plus vaste d’un mouvement olympique alors au-delà du contrôle d’Hitler.

En dépit des recherches pionnières (45), largement inconnues en dehors de l’Allemagne, de l’historien ouest-allemand Hans-Joachim Teichler, l’axe franco-allemand qui contrôlait le mouvement olympique durant la plus grande partie des années 1930 reste peu compris. Coubertin lui-même était au centre de cette relation, courtisé et trompé par les opérateurs allemands, y compris Carl Diem, déjà sincèrement attiré par sa propre idée de la nouvelle Allemagne et le spectacle de l’Olympiade de Berlin. Ce fut le ministère des Affaires étrangères de Hitler qui proposa Coubertin pour le Prix Nobel de la paix, le gouvernement d’Hitler qui lui donna 10 000 reichsmarks, et Hitler lui-même qui reçut une lettre de remerciements de Coubertin (46).

Mais l’Olympiade de Berlin doit seulement être entendue comme l’épisode le plus dramatique à l’intérieur d’un système politique plus vaste poursuivi pendant les années trente par des agents nazis comme Otto Abetz, plus tard ambassadeur d’Allemagne en France occupée, en association avec des fascistes français et d’autres éléments d’extrême droite qui attendaient avec impatience un Nouvel Ordre en Europe. Pour ce réseau franco-allemand, l’Olympiade de Berlin était à la fois l’accomplissement politique et esthétique d’une Internationale fasciste naissante et la meilleure façon de se faire une place parmi les célébrités en Europe. Au moment de sa mort en 1937, Coubertin avait atteint le statut d’icône pour le Comité France-Allemagne, un groupe précurseur représenté par Abetz (47). Un an plus tard, le Comité et ses homologues allemands inaugurèrent un buste de Coubertin à un « congrés culturel » tenu à Baden-Baden (48). Cette cérémonie couronna une décennie d’efforts de la part d’Otto Abetz et d’autres pour servir leur propre forme de « réconciliation franco-allemande » dans l’intérêt de la politique étrangère allemande. Cette campagne « fraternelle » parrainait les fêtes bilatérales d’étudiants et les réunions d’anciens combattants (49). L’attachement au sport et « le culte du muscle (50) » devinrent les caractéristiques définissant ce mouvement et le fascisme français lui-même. Qui plus est, ce modèle sportif avait attiré une caste internationale d’adhérents vers le mouvement olympique dès le tournant du siècle. Bien qu’il eut l’intuition du potentiel charismatique de la haute performance sportive, Coubertin ne pouvait pas prévoir les conséquences de cet auto-recrutement, y compris la cooptation du mouvement olympique par les symphatisants nazis tel Carl Diem, sa propre approbation publique (et rendue publique) des « Jeux olympiques nazis », et le recrutement d’un américain germanophile nommé Avery Brundage — ami de Carl Diem et de Karl Ritter von Halt — dans l’appareil de propagande nazi (51).

L’Olympiade de Berlin démontra que quatre décennies de recrutement dans le mouvement olympique avaient préservé la pensée eurocentrique au sujet de la race à l’intérieur du CIO. À cet égard, la dimension multiraciale des Jeux de Berlin, avec les victoires de Jesse Owens en vedette, fut et demeure profondément trompeuse. Aucune évaluation du mouvement olympique durant les années trente ne peut oublier l’accueil enthousiaste accordé à l’olympisme par des internationalistes proches des nazis comme Carl Diem, Otto Abetz et Avery Brundage, qui tous étaient en bons termes avec le mouvement nazi. De plus, toute évaluation des politiques raciales du mouvement olympique après la Seconde Guerre mondiale doit tenir compte de la préhistoire des vingt années d’Avery Brundage à la présidence du CIO (1952-1972) et de la réapparition de son ami Carl Diem comme gardien de la flamme olympique à l’Académie olympique en Grèce. Les fonctions de direction de telles personnes à l’intérieur du mouvement olympique après 1945 démontrent que les groupes d’affinités des membres qui planifièrent et soutinrent l’Olympiade de Berlin restèrent intacts — et furent acceptés par d’autres membres olympiques — pendant de longues années après l’événement. Le seul fait que les associations nazies ne furent pas disqualifiées après 1945 à l’intérieur du cercle fermé du CIO en dit long sur les opinions raciales tacites des personnes chargées de l’administration de ce mouvement multiracial. Et ce furent les attitudes raciales essentiellement colonialistes de ces groupes d’affinités qui préservèrent l’adhésion sud-africaine au mouvement olympique jusqu’en 1970.
Le but de cette narration a été d’éclairer les origines historiques du conservatisme racial à l’intérieur du CIO. Mais il est également approprié de se demander si, à cet égard, le fonctionnement du mouvement olympique a été typique ou atypique des mouvements internationalistes occidentaux en général, et c’est ici qu’une méthodologie comparative peut nous aider à comprendre le mouvement olympique mieux qu’il n’a été compris précédemment. Comme nous l’avons vu, les mouvements olympique et scout traitent la question des races de manière étonnamment analogue, la même observation s’applique aux relations avec l’Allemagne nazie, bien que Baden-Powell semble avoir éprouvé des doutes sur Hitler que, en un certain sens, Coubertin n’avait pas mais aurait pu avoir s’il avait vécu plus longtemps (52). Même le mouvement espéranto, qui est d’origine européenne mais non colonialiste, fit des arrangements analogues pour concilier ses membres allemands et l’horizon politique de l’État nazi. La différence est que cette politique de conciliation rencontra une résistance significative à l’intérieur du mouvement espéranto lui-même, provenant d’une faction supra-nationaliste qui n’avait jamais eu son équivalent olympique (53). Encore aujourd’hui, contrairement au mouvement olympique, le mouvement espéranto a seulement une poignée de membres enregistrés en Afrique noire (54). Ce furent l’antiracialisme et l’anticolonialisme (anticapitaliste) de la Seconde Internationale socialiste (1889-1914) qui représentèrent la réelle alternative à l’internationalisme colonialiste, et nous devrions nous souvenir des Olympiades socialistes des années 1920 et 1930 comme des alternatives analogues à l’olympisme « bourgeois ». En dernière analyse, cependant, nous devons admettre qu’un eurocentrisme souvent invisible, et par conséquent puissant, a réglé les prémisses comme les pratiques de la plupart des internationalismes occidentaux, et particulièrement ceux qui proviennent de la période du tournant du siècle.

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