Patrick Villiers, historien spécialiste des corsaires, nous offre son analyse du cas du Ponant.
Les « pirates » du Ponant : Corsaires du premier type, gueux de mer ou corsaires barbaresques ?
La prise du navire de plaisance le Ponant nous interpelle à nouveau sur l’insécurité sur mer. La plupart des journalistes ont baptisé de « pirates » les auteurs de cette prise. C’est aller un peu vite en besogne et risquer de commettre de graves erreurs d’interprétations pour la résolution de cette crise.
La définition maritime des pirates remonte au moyen âge et peut se résumer ainsi : « gens sans foi ni loi, ne portant aucun pavillon ». L’historien peut compléter cette définition en ajoutant que chez beaucoup de pirates il y a une pulsion de mort à la « Bonny and Clyde ».
A l’évidence cette définition ne concerne en rien les capteurs du Ponant. Ils se sont emparés par surprise et sans avoir fait de morts, semble-t-il, d’un navire sans aucune protection et dont la poupe est en forme d’escalier et descendant jusqu’au niveau de l’eau. Ainsi deux chaloupes ayant sur l’eau une hauteur de moins d’un mètre se sont emparées d’un bâtiment de plaisance dont la structure est une véritable provocation à la capture. Inutile ci d’avoir des grappins et des échelles de corde pour monter à l’abordage, il a suffi de monter l’escalier face à un équipage ne possédant pas même une arme à feu.
Un tel acte n’est pas sans rappeler les corsaires de la Manche et de la mer du Nord du XVIe au XIXe siècle. Un des plus grands corsaires de Boulogne s’empara d’une dizaine de navires marchands anglais sous la révolution en allant chaque nuit de brume dans la Tamise avec une chaloupe à rames. Avec moins d’une dizaine d’hommes, il neutralisait l’équipage et appareillait au nez et à la barbe des Anglais pour se rendre à Boulogne ou Calais où la capture était jugée de bonne prise. La France était en guerre contre l’Angleterre, donc la prise était légale et vendue pour deux tiers au profit de l’armateur et d’un tiers pour l’équipage, l’Etat prenant une taxe de 10% environ. Nous sommes ici loin d’un Surcouf traversant l’Atlantique et l’océan indien pour s’emparer des Indiamen près des côtes de l’Inde.
Qui sont les capteurs du Ponant ? On sait pour l’instant peu de choses mais ils appartiennent à un pays en guerre civile et la vente de leurs prises sert, semble-t-il à financer leur guérilla contre un pouvoir central impuissant. L’analogie avec les « gueux de mer hollandais » du XVIe siècle est frappante : au nom de la lutte pour l’indépendance, on s’empare de navires marchands dont la revente finance la résistance. En moins d’une dizaine d’années, ces gueux de mer composés pour l’essentiel des marins hollandais considérés à l’époque comme les meilleurs marins du monde chassèrent la flotte de guerre espagnole de la mer du Nord.
Au XIXe siècle, les Grecs en révolte attaquèrent les navires turcs mais également européens. Le lieutenant de vaisseau Bisson, commandant une prise faite sur les insurgents grecs : le Panayoti, préféra se faire sauter plutôt que de se rendre à deux navires grecs supérieurs en nombre et en armement. En hommage à ce courage, la Marine nationale a donné son nom successivement à six navires de guerre.
On confond également les Barbaresques avec les pirates. Les Barbaresques sont des corsaires de la foi qui combattirent plus particulièrement les galères de l’ordre catholique de Malte. Chaque camp finançait sa guerre religieuse par les ventes des prises et des passagers comme esclaves. La législation et l’organisation étaient très proche de la course et chacun se battait sous un pavillon , le Croissant pour les Barbaresques. A la différence de la course qui n’a lieu qu’en temps de guerre déclarée, les guerres religieuses ne s’arrêtent jamais. Une des raisons de la prise d’Alger en 1830 fut de mettre fin aux Barbaresques basés dans le port d’Alger.
Si l’histoire est la connaissance du passé pour éclairer le présent , que conclure de l’affaire du Ponant ?
En Occident aujourd’hui, la perte d’une vie humaine est insupportable. Face à des adversaires qui n’ont pas la même conception, il faudra payer la rançon comme au temps des corsaires. Ensuite deux évidences s’imposent : la structure du navire est totalement inadaptée à une navigation ans des zones à risque. Ces navires doivent être interdits de navigation ou circuler sous escorte. Nous voici revenu à une notion bien oubliée de beaucoup au temps des missiles de croisières, des satellites et autres drones : les convois où la marine française s’illustra si brillamment. Là encore, seule l’escorte de boute en bout est efficace mais elle a un coût.
Quant au Ponant, comme le disait Molière dans les Fourberies de Scapin, « qu’allait-il faire dans cette galère ? » Il appartiendra aux organisateurs de croisière de mieux apprécier les risques d’agression maritime.
Patrick Villiers, professeur d’histoire moderne et contemporaine, université du Littoral côte d’Opale, directeur du CRHAEL, membre de l’AFUDRIS et de la SFHM.
Patrick Villiers : vilmarin@club-internet.fr
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