mercredi 2 avril 2008

Sarko plagiaire ?

Geroges Mandel, un grand serviteur public.


La Fourberie de Clisthène.
Procès du biographe élyséen de Georges Mandel

Adrien Le Bihan

Cherche-bruit, 10€ . (19 rue de Dantzig, boîte 141, 75015 Paris – courriel : cherche-bruit@wanadoo.fr)


Les hommes politiques français croient que la publication d'une biographie est un des préalables à l'arrivée au pouvoir. Mais l'exercice est difficile et, en dehors de Dominique de Villepin, rarement le fruit d'un travail personnel. Adrien Le Bihan publie une intéressante étude sur les soucres de la biographie de Georges Mandel signée par Nicolas Sarkozy.

En voici quelques extraits :


« Le 14 janvier 2007, au parc des expositions de la Porte de Versailles, Nicolas Sarkozy claironne à des militants de son parti : «J’ai changé!» Un frisson parcourt l’échine de ses fans, mais les voici perplexes quand soudain l’orateur explique : «J’ai changé quand j’ai rencontré Mandel, ce grand Français. J’avais voulu écrire sa vie pour réparer une injustice, pour changer le regard des autres sur cette destinée tragique. C’est mon regard sur la politique qui s’en est trouvé transformé.»

Passé jusqu’alors inaperçu, le prodige du candidat métamorphosé par son ouvrage remontait à 1994.

Il est peu commun qu’un président en puissance déclare sa mue lisible dans un texte littéraire consacré à un homme politique. Ceux qui accédèrent avant lui à l’échelon le plus élevé du cursus honorum ne nous avaient pas invités à faire leur connaissance de la sorte. Il faut même remonter, si je ne me trompe, à la IIIe République pour repérer un futur président du Conseil, Paul Reynaud, biographe d’un prédécesseur récent : Waldeck-Rousseau. André Tardieu se distingua par une vie du Prince de Bülow, ancien chancelier allemand. Vers la quarantaine (l’âge approximatif de Nicolas Sarkozy lorsque parut son Georges Mandel. Le moine de la politique), Pierre Mendès France publiait Liberté, liberté chérie, récit de captivité, d’évasion et de combat dans la Résistance; Edgar Faure, La condition humaine sous la domination nazie; Guy Mollet, professeur d’anglais, un cours pratique de grammaire raisonnée de cette langue; Georges Pompidou, agrégé de lettres, des Pages choisies d’Hyppolite Taine, agrémentées de notices; François Mitterrand, ancien ministre de la France d’outre-mer, Présence française et abandon.

La biographie que Sarkozy a signée ne manque donc pas d’originalité. Pour la première fois depuis Paul Deschanel, auteur d’un Gambetta, le locataire de l’Élysée, est un biographe. Son Mandel, que nous avions sans remords négligé, il faut nous résoudre, quatorze ans après sa sortie, à l’examiner.

[...] Enumérant les auteurs qui, avant lui, traitèrent du moine de la politique, il désigne d’abord «un historien de grand talent, hier ministre, Jean-Noël Jeanneney», dont l’essai, nous prévient-il en connaisseur, «fera date» : Georges Mandel. L’homme qu’on attendait. Ensuite, Sarkozy énumère «trois proches collaborateurs et […] amis fidèles, qui ont retracé avec précision et lucidité leurs vies auprès du grand homme, Georges Wormser, Paul Coblentz, Francisque Varenne» – ce qui est faux : leurs écrits sur Mandel laissent leurs propres vies, et la sienne, de côté. «Enfin, poursuit-il, on trouve la trace d’un chercheur américain dans les années 70 et un remarquable mémoire soutenu en 1968 à la faculté de Bordeaux par Bertrand Favreau et publié en 1969.»

Sarkozy a signalé en premier le plus récent des cinq ouvrages, celui à la fois du spécialiste et du confrère. Ceux de Georges Wormser, ancien chef de cabinet de Mandel au ministère des PTT, du journaliste Paul Coblentz et de Francisque Varenne sont mentionnés dans le désordre, comme les chevaux du tiercé, puisqu’ils furent publiés respectivement en 1967, 1946 et 1947. «La trace d’un chercheur» suggère que Sarkozy ne s’est pas soucié de la thèse de John M. Sherwood pourtant aisément accessible, car soutenue à Stanford (non pas «dans les années 70», mais en 1970). Il ne signale pas qu’il en prit indirectement connaissance grâce au livre de Jeanneney, lequel s’y réfère à plusieurs reprises. Certains avancent que par l’hommage appuyé à Georges Mandel, un clémenciste en Gironde, de Bertrand Favreau, Sarkozy se dédouanait par avance de l’accusation de plagiat. [...]

Les emprunts de Sarkozy [au livre de Bertrand Favreau ] n’ont été inventoriés que jusqu’à sa page 142. Il serait fastidieux de contrôler plus avant. Ou d’attirer l’attention sur de troublantes ressemblances, entre, par exemple, «Le château de Chazeron est de construction composite. Le corps de logis est moyenâgeux. Deux ailes y ont été ajoutées, au XVIIe siècle…» (Paul Reynaud, ancien prisonnier de cette geôle) et «La bâtisse était de construction composite. Le corps de logis datait du Moyen Âge. Deux ailes avaient été rajoutées au fil des siècles…» (Nicolas Sarkozy, biographe). En art seulement l’examen du plagiat réjouit l’esprit. Sous la plume de Stendhal, frais émoulu d’un larcin identique, il est piquant de lire : «Sterne a souvent pillé des auteurs qu’il ne citait jamais; M. Xavier de Maistre imite sans cesse Sterne, et n’en parle jamais.» On peut naviguer loin sur ces eaux-là. Mais prendre la main dans le sac un cancre qui copie sur le voisin : à quoi ça nous avance? C’est bien après la page 142, en pleine débâcle, que, pire qu’un plagiat, se dessine la fourberie de Clisthène.

*

Le bouquin entier de Sarkozy souffre et nous divertit d’une maîtrise insuffisante du français. La problématique étant l’art de poser les problèmes, «poser la problématique» […] médusera maints lecteurs. Ils se gausseront, non pas de Clemenceau se déchargeant sur son adjoint de la politique intérieure, mais du rappel «que lui-même avait fort à faire avec la guerre qu’il fallait bien mener» (comme si le Tigre avait rechigné à la besogne). Afin qu’on ne les taxe pas de purisme, ils fermeront les yeux sur une «situation […] rageante», mais s’étonneront que l’on puisse «rentrer pour la première fois au Palais Bourbon» et refermeront leurs yeux éblouis par «l’habit de lumière de l’homme politique installé», changé en torero. Ils rejetteront, j’en suis sûr, «[les] deux hommes forts de la période, Briand et Poincaré», pour avoir été trop souvent bombardés de ces euphémismes dans les journaux télévisés, où l’on répugne à appeler les dictateurs par leur nom. Il arrive aussi que Sarkozy ne traite pas courtoisement son modèle : pour éviter de répéter son nom, il l’appelle «notre homme». Sous-estimant la culture littéraire de ses lecteurs, il leur dévoile que Lamartine est un «grand poète», Guerre et Paix un chef-d’oeuvre. Pour clore le paragraphe où est décrit l’assassinat de Mandel par des miliciens, il s’inspire de Fantômas : «L’exécution avait été sauvage, brutale, hystérique. La haine suait de chacun de ces coups de feu.»

Un homme de tribune s’adresse à des électeurs, s’efforce de remuer leurs tripes. Il se vante d’avoir changé en composant son ouvrage. Celui-ci, hélas, a peu de chance d’être réparé. On ne pourrait, par endroits, que le rafistoler. Sarkozy ne s’aperçoit pas qu’il nuit, par ses négligences, par ses incorrections, au personnage qu’il célèbre. Plus il le loue, plus il augmente la distance qui le sépare de lui. Son empressement à fournir les librairies d’un bouquin défectueux confine au manque de respect. On est tenté de lui appliquer son aphorisme, incrusté d’une expression populaire qu’il croit mitterrandienne : «Il est rare que la vie publique pardonne aux imprudents qui ne savent pas laisser du temps au temps.» Sa chute finale est d’un comique irrésistible : «Il fut le dernier à ne pas croire en lui, en son influence. Quand enfin il comprit, il était déjà trop tard. Ce fut injuste. Ce fut cruel. Mais ce fut!»

On me rétorquera, à sa décharge, que Sarkozy pourrait n’être pas l’auteur de cette biographie. Le bruit court que nombre de responsables politiques, d’acteurs de cinéma, de chanteurs, d’animateurs de télévision, engagent des plumes (on disait autrefois des nègres) qui rédigent essais, mémoires, livres, rapports et parfois romans à leur place. De Gaulle, en 1938, refusa à Pétain de le servir ainsi. Ce fut de sa part un acte de résistance de publier sous son nom La France et son armée.

Néanmoins, outre que Sarkozy ne vise pas, nous le verrons, à imiter de Gaulle, plutôt à se débarrasser de lui, la pratique de nos jours passe pour normale. Une confidence étourdie, à l’avant-dernière page, éveille le soupçon : «À l’issue de ce récit, on reste confondu par le nombre d’occasions ratées, de rendez-vous manqués, d’opportunités abandonnées.» L’auteur découvrirait en son entier, pour la première fois, l’ouvrage qu’il signe (comme si sa main droite ignorait le labeur de sa main gauche), il ne s’exprimerait pas autrement. Mais puisqu’il le signe, et que la postérité s’en servira pour déchiffrer son caractère et ses intentions, laissons-le lui. Il ne l’a pas volé.

*
L'arche de la France républicaine, le Massilia.

[Sarkozy affirme que Mandel, arrivé au Maroc à bord du Massilia le 24 juin 1940, déposa] le lendemain à l’agence Havas un extraordinaire (selon lui, «un véritable») «appel de Casablanca» dans lequel les Français auraient lu, si les journaux sous la dictature de Pétain et des Allemands l’avaient imprimé : «En accord avec les alliés britanniques et dans cette heure de détresse nationale, j’ai pris le pouvoir. L’armée coloniale et la flotte poursuivront la guerre à mes côtés jusqu’à la victoire.» Mais, regrette Sarkozy, «la déclaration […] ne fut jamais diffusée… La Résidence générale avait pris des dispositions en ce sens.»

Où donc a-t-il pêché cet appel de Casablanca, dont l’apparition insolite [une semaine après celui du général de Gaulle] et les accents césariens exigeaient une enquête approfondie? Quelles sont ses sources? À partir de cet endroit, et jusqu’à la fin du chapitre intitulé «Le calvaire du « Massilia »», aucune note en bas de page ne nous jette sur la moindre piste. La maigrichonne bibliographie de Sarkozy, sur ce point délicat, reste obstinément muette et nous savons de reste que, ne se voulant pas historien, il n’a point effectué de recherches personnelles.

[…]

Un jour peut-être saurons-nous si le scénariste du téléfilm [Le Dernier Été, « d’après l’œuvre de Nicolas Sarkozy »] sursauta, épouvanté, en s’apercevant que Mandel n’avait jamais lancé d’appel de Casablanca et s’il en avertit le biographe. Le supplément enregistré sur le DVD nous les montre devisant comme de vieux copains, habitués à partager les mots et les trouvailles. Sarkozy avait annoncé, au début de son ouvrage, vouloir exhumer une vie du grenier de notre histoire. Question du scénariste : «Comment diable êtes-vous allé exhumer Georges Mandel?» Réponse : «Vous qui êtes un historien reconnu, vous l’avez dit : vous avez employé le terme exhumer.» Et ainsi de suite. On en déduit, jusqu’à plus ample informé, que le scénariste avait eu carte blanche pour se débarrasser non seulement de l’appel de Casablanca, mais de tout son contexte, réduisant l’épisode marocain à ce raccourci spectaculaire : «La tentative pour gagner l’Afrique du Nord s’acheva par un fiasco total.»

Ceci n'est pas l'appel de Georges Mandel.

L’ouvrage est disponible dans les librairies : Gallimard (15 boulevard Raspail 75006), Jean Touzot (38 rue Saint-Sulpice 75006), La Hune (170 boulevard Saint-Germain 75006), Librairie de Paris (7 place de Clichy 75017).

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