mercredi 28 novembre 2007

Quand Libé aime la Belgique

La Une de Libé ce matin.


Les journalistes de Libé, tels Tintin partant en reportage en Amérique, se sont déplacés en masse à Bruxelles à la rencontre des Belges. De toute évidence le courant est bien passé entre la population d'explorateurs parisiens et les indigènes bruxellois, retranchés derrière leurs chariots des communes à facilités, repoussant les hordes flamandes à coups de « Non ! » tonitruants à chaque fois que les bouseux flamingants réclament un aménagement de l'Etat.
Ce numéro spécial de Libé est très révélateur de la vision sélective de la gauche française quand il s'agit des affaires des Pays-Bas méridionaux. Non seulement le nombre de Flamands interrogés est très faible, mais on cherche en vain une présentation des arguments de la Flandre. Pourtant, comment comprendre la situation si on ne présente que les points de vue d'une des cinq parties ? Je dis cinq car je compte, par ordre alphabétique, les Allemands, les Flamands, las Wallons, les Wallons germanophones et puis les Belges (c'est à dire tous ceux qui ne se reconnaissent pas dans une des catégories précédentes).
Il est aussi frappant que des pans entiers du ressentiment flamand, sans lequel on ne comprend pas l'animadversion de cette population à l'égard de la Belgique, passent à la trappe. A juste titre Jean Quatremer, correspondant du quotidien bobo à Bruxelles, rappelle qu'avant 1830 il n'existe pas de réel antagonisme entre les deux parties de cette région des Pays-Bas. Les élites méridionales parlent toutes le français littéraire tant à Anvers qu'à Liège et les populations locales un patois roman d'un côté et germanique de l'autre. Les élites bourgeoises, aux idées libérales très progressistes, font le choix d'unifier le pays autour du français, antidote à l'influence de l'Eglise comme de la tentation néerlandaise plus au nord.
Ces bourgeois éclairés n'avaient pas prévu le mouvement nationalitaire qui allait mettre le feu à l'Europe et abattre les vieilles structures et condamner à terme la Belgique.
C'est vrai, comme le souligne Philippe De Boeck, rédacteur en chef politique du journal de gauche De Morgen, que le nationalisme flamand a fait ses choux gras du français comme langue des officiers durant la Première Guerre mondiale et des difficultés de compréhension avec les soldats flamands. Mais pourquoi ne dit-il pas un mot de la répression d'après la Seconde Guerre mondiale ? Quand près d'un Flamand sur dix était frappé d'interdictions professionnelles diverses, chassé de la fonction publique, interdit d'enseigner ou même d'ouvrir un compte en banque ? Pourquoi ce journaliste du Morgen ne rappelle-t-il pas que contrairement à la France, il n'y a pas eu de loi d'amnistie en Belgique ? Les Flamands marginalisés ont dû se refaire une vie dans l'industrie ou le commerce, apportant un coup de fouet à la vie économique de la Flandre.
S'ils avaient pris la peine d'interroger quelques Flamands, les journalistes de Libération auraient sans doute pu comprendre la force de ce ressentiment, découvrir que les Belges payent aujourd'hui la facture de la vengeance ethnique de l'après-guerre. Il est trop tard aujourd'hui pour revenir en arrière, amnistier les derniers inciviques, restaurer la mémoire des fusillés pour l'exemple.
Mais voilà, il aurait fallu sortir des frontières de Bruxelles et ne pas se contenter de Flamands qui ne sont pas représentatifs de la Flandre. Ainsi, pourquoi consacrer deux pages à parler de couples de Flamands et de Wallons au lieu d'expliquer les raisons du faible nombre de mariages mixtes ? Seulement 1 % des unions en Belgique se nouent entre les communautés, soit moins que de mariages interaciaux aux Etats-Unis.
Les lecteurs de Libé en savent désormais beaucoup plus sur la tribu des bobos bruxellois qui aiment à se dire « belges », mais il ne savent toujours rien des raisons qui poussent nombre de Flamands (et pas seulement les militants du Vlaams Belang) à crier : Belgie Barst ! («Crève Belgique »).

4 commentaires:

Anonyme a dit…

Je m'étonne que vous n'ayez pas un seul mot sur le commentaire d'Alain Duhamel « Capitale de l'Europe des Confettis » qui cumule les poncifs et les erreurs. Peut-être étiez-vous à Sciens-Po ensemble ?

Anonyme a dit…

Les interdictions professionnelles frappant les inciviques flamands étaient (et sont) nombreuses. Je cite :

Ils ne peuvent plus être fonctionnaires, être jurés, experts ou témoins, faire partie d'un conseil de famille, etc. ni exercer les métiers d'enseignant, de journaliste (presse écrite et radiodiffusée), d'acteur de théâtre ou de cinéma ni occuper des postes de direction dans une entreprise commerciale, une banque, une association professionnelle, une association sans but lucratif de caractère culturel, sportif ou philanthropique. Plus tard, les restrictions seront encore plus drastiques, prenant même une tournure ridicule par leur mesquinerie: suppression des indemnités pour les invalides de 1914-18 condamnés pour collaboration, interdiction de s'inscrire dans une université, de recevoir des allocations familiales, d'avoir un compte-chèque postal ou un raccord téléphonique et... de posséder des pigeons voyageurs.

Anonyme a dit…

Voici un exemple de la mémoire historique des Flamands que les francophones ignorent à desseins, et dans ce cas, les Français.

Un page dramatique de la Débâcle de 1940...

En Belgique, des personnes suspectées d'appartenir à la Cinquième colonne sont arrêtées pendant les mois qui précèdent l'offensive allemande du 10 mais 1940.

La liste comprenait les Allemands et Autrichiens résidents en Belgique ou y ayant trouvé refuge en raison de leurs opinions anti-nazies, certains étaient juifs; des Italiens antifascistes, des anciens des Brigades Internationales ; des communistes ; des nationalistes flamands ; des rexistes ; également nombre de personnes dont la tête ne plaisait pas au voisin.

En tout quelques milliers de personnes bénéficièrent de ces mesures préventives.

Les prisons belges étant pleines à craquer d'une part et l'avance des troupes allemandes étant plus rapide que prévu d'autre part, il fut décidé de transférer "les suspects" vers des camps d'internement français.

Le 15 mai, l'administration pénitentiaire de la prison de Bruges, submergée par l'incarcération de "suspects" décide d'en transférer une partie vers la France. 79 personnes sont embarquées dans un convoi de trois autocars:

20 ou 21 Belges, 18 Juifs de nationalité inconnue, 14 Allemands, 6 Néerlandais, 3 Luxembourgeois, 9 Italiens, 2 Suisses, 1 Français Alsacien que l'on pourrait à première vue croire victimes d'un accent allemand, 1 Espagnol, 1 Danois, 1 Canadien Robert Bell, entraîneur de l'équipe nationale allemande de hockey sur glace, incarcéré en mars 1940 pour manque de papiers en règle et suspecté d'être un espion, 1 Autrichien, 1 Tchèque. Tous, bien entendu, ne sont pas innocents. Le groupe compte notamment Léon Degrelle en personne, le chef de Rex.

Les trois autocars et les 78 détenus partis de Bruges gagnent Dunkerque via Ostende à la frontière franco-belge. Là, Léon Degrelle est reconnu, tiré du car et passé à tabac par des militaires français. Le convoi repartira sans lui, et sous les huées et les jets de pierre atteindra la prison de Béthune où, après un interrogatoire d'identité sommaire pour l'établissement d'une liste, les 77 suspects seront remis, dans des conditions restées peu claires, à la Sûreté française. Ils resteront détenus à Béthune jusqu'au 19 mai, puis de nouveau évacués devant l'avance allemande. Au moment du départ, on joindra au lot un jeune Belge vivant en France et ayant refusé d'être mobilisé dans l'armée de la IIIème République.

Sous la protection de la Sûreté française, le convoi atteindra Abbeville dans la nuit du 19 au 20 mai vers minuit et les suspects seront, faute de mieux, enfermés dans la cave du kiosque de musique de la Porte du Bois. Pour Abbeville, la journée du 20 mai est un jour sombre. Les Allemands sont aux portes de la ville. Pour les dernières unités présentes dans la ville en flammes, le "décrochage" s'impose mais que faire des prisonniers ?

Le capitaine Marcel Dingeon, de l'état-major de la place, un architecte mobilisé choisit une solution expéditive: les fusiller tous! Dingeon donne ordre verbal au sergent-chef François Mollet et sa section de la 5ème compagnie du 28ème Régiment Régional, des territoriaux rappelés d'âge déjà mûr. Quelques soldats d'une unité du Train se joindront à eux. La tuerie commence. Par groupe de 4 ou de 2, les malheureux civils sont extraits de leur cachot et abattus froidement. Le lieutenant René Caron, supérieur direct de Mollet, instituteur dans le civil, qui passait justement par là, participe à la fête.

Le sergent chef Mollet est mal à l'aise. Il retourne voir le chef Dingeon. "Fusillez les tous" répond Dingeon. Pour en finir au plus vite, un soldat français lance une grenade dans la cave du kiosque. Elle n'explose pas. 21 exécutions ont déjà eu lieu, interrompu de temps en temps par les bombardements allemands. Le lieutenant Jean Leclabart du 28e RR qui passait par là, demande l'ordre d'exécution. Comme personne ne peut montrer un tel ordre, il fait arrêter le massacre.

Parmi les victimes : Joris Van Severen, chef du Verdinaso et son secrétaire, Jan Rijckoort ; un Canadien, entraîneur de hockey sur glace, arrêté au mauvais endroit et au mauvais moment parce que ses papiers n'étaient pas en ordre ; un frère bénédictin d'origine allemande ; une vieille dame ; Lucien Monami, conseiller communal de St-Gilles ; un marchand d'endives, conducteur de son véhicule réquisitionné pour transporter les "suspects" et qui, par ironie du sort, le partagea par erreur ; 4 italiens antifascistes réfugiés en Belgique et qui croyaient échapper aux Allemands...!

Balbino Katz a dit…

Trois commentaires sur un post du blog, c'est du jamais vu! En effet, j'ai oublié Alain Duhamel. Toutes mes excuses. J'ai lu son papier et il n'est pas tip-top. Je le relirai pour en critiquer l'analyse historique.
Je voudrais citer les commentaires parus dans le Soir d'un obsevateur iconoclaste de la querelle entre les Flamands et les Wallons : Daniel Cohn-Bendit.

De Mai 68 au Parlement européen, Daniel Cohn-Bendit, c'est quarante ans d'expérience politique. Mais lorsqu'il parle de politique belge, c'est au registre des pathologies mentales qu'emprunte le leader des Verts : « Ce qui se passe chez vous est fou. » Il a répété ce diagnostic plusieurs fois mardi matin, face à la rédaction. Parfois en jouant à la mouche du coche, toujours prompt à décocher des « formules »…

Cohn-Bendit, comme les milieux européens de la place bruxelloise, regarde la Belgique d'un ½il un coup incrédule, un coup amusé, un coup atterré. Comme une bête curieuse. « Le président de la Commission, Barroso, et les autres ne se tracassent pas face à cette menace de séparation. Ils n'y croient pas. Avec le franc belge, sans Europe, sans euro, la Belgique aurait explosé. Aujourd'hui, ce ne serait pas un problème qu'elle explose. De toute façon, le poids de la Belgique en Europe, c'est zéro. C'est méchant à dire, mais le poids du Luxembourg dans l'UE, c'est Jean-Claude Junker. Le poids de la Belgique dans l'UE, c'est Verhofstadt. C'est l'homme qui fait ce poids. » Et de rappeler que la partition de la Tchécoslovaquie n'a pas entraîné de cataclysme en Europe.

Autre saillie iconoclaste : « Le seul problème [si la Belgique se sépare] sera de voir ce qui se passera au niveau des équipes de football. Il faut dire aux Flamands et aux Wallons que, vu du sud de la France, tout cela n'a pas d'importance. »

Daniel Cohn-Bendit renvoie donc Flamands et francophones dos à dos, n'en déplaise à ceux qui rejettent toute la faute sur le Nord. « Ils ne peuvent avoir le beurre et l'argent du beurre. » Les Wallons ne peuvent pas se contenter de regarder la Flandre « en se disant qu'ils n'en ont rien à foutre, sinon compter sur elle pour payer leurs pensions ». Quant aux Flamands, « ils devraient cesser de réagir comme il y a trente ans. Aujourd'hui, ils ont le pouvoir, mais ils se posent toujours en victimes. Avec cette idée de revanche. Faire payer au nom de l'histoire, ça fait partie de la bêtise humaine. Mais elle est vraie aussi. Regardez l'ex-Yougoslavie : on y a fait la guerre au nom d'événements qui dataient de plusieurs siècles. »

Dans le champ de chardons qu'est le landernau politique belge, une épine a le don de hérisser notre hôte : « Ces menus dans les restaurants de Hal où les plats sont annoncés en néerlandais et en anglais, mais où le français est interdit… Je ne comprends pas comment des actions ne sont pas menées devant la Cour européenne. On se croirait en Turquie où l'usage de trois lettres kurdes est interdit ! Faites-le savoir ! C'est dingue ! »

Dany-le-Vert poursuit : « Pour continuer dans la folie : le bruit. » En l'occurrence celui des avions qui décollent de Bruxelles-National. « Fixer les normes de bruit aux niveaux flamand, wallon et bruxellois est idiot. Les normes de bruit seront européennes ou ne seront pas. Ici, cela ne sert qu'à imposer une dynamique de la division. »

L'enfant terrible de Mai 68 constate ainsi que, depuis 1994, année de son entrée au Parlement européen, « le processus de désintégration de ce pays est frappant. C'est un séparatisme rampant. C'est ce qui me fait dire qu'en Belgique, la séparation ne se décidera pas, comme ça, un jour. Si elle s'impose, c'est parce qu'elle se sera insinuée, pas à pas. Mais si les francophones les mettent devant leurs responsabilités, les nationalistes flamands finiront par accepter un compromis : parce qu'ils n'oseront pas décider la séparation. En campagne, avant la formation d'un gouvernement, c'est facile de jouer les séparatistes. Lorsqu'il s'agira de la décider, c'est autre chose. Vous savez, la logique nationaliste est désintégratrice du bien-être qui existe en Flandre. Mais c'est à eux de le découvrir. Il faut que les gens aillent au bout de leur logique. Ce que l'on voit à Hal est une maladie très grave, qui ne se soigne pas par la raison. Il faut y voir une maladie psychologique très profonde. Vous ne responsabiliserez les gens qu'en les laissant aller jusqu'au bout de leurs fantasmes, de leur folie, de leurs erreurs. »

Bouillant, Cohn-Bendit amorce une nouvelle démonstration : « 80 % des Flamands sont séparatistes. » Une journaliste l'interrompt, sèchement : « C'est faux. C'est ce genre de déclarations qui attise la crise. »

L'eurodéputé ne se démonte pas : « Je dis que 80 % des électeurs flamands votent pour des partis sécessionnistes qui jouent avec le feu : la Liste Dedecker, le Vlaams Belang, la NV-A. Quant au CD&V, si un parti se met avec un parti sécessionniste pour gagner des élections, c'est que ce n'est pas contradictoire avec ce qu'il pense. La preuve, c'est qu'aujourd'hui, on en est là. »

La fin de la Belgique, donc ? « Si on leur mettait le miroir – ”C'est oui ou non ?” –, les Flamands diraient non. Mais ils ont une tentation morbide d'aller de plus en plus loin dans la séparation. Si vous commencez par séparer les allocations familiales, pourquoi cela s'arrêtera-t-il ? En fonction de qui, de quoi ? Depuis les années 70, vous avancez comme ça. Vous gardez la Belgique mais vous faites toujours moins de Belgique. Vous devez donc forcer les Flamands à se décider ! »

De l'autre côté de la frontière linguistique, il faut en finir avec « l'élitisme des francophones qui disent ne pas s'intéresser au flamand ». Une journaliste intervient, relayant un avis répandu dans l'opinion wallonne et francophone : « La langue flamande ne nous sert à rien. Pourquoi l'apprendre ? » Cohn-Bendit riposte, sans pitié : « Si vous en êtes là, séparez-vous tout de suite. Le flamand, c'est la langue de la communauté majoritaire de votre pays, tout de même… »