mercredi 19 novembre 2008

Maos à la ramasse

Le 25 février 1972: Jean-Antoine Tramoni (au centre), vigile aux usines Renault, va tirer sur l'ouvrier maoïste Pierre Overney (à gauche, de dos). Christophe Schimmel, 18 ans à l'époque, photographie la scène.


Il a été de bon ton de se gausser des gauchistes recyclés dans le marketing et la presse, passant du col Mao au Rotary. Il faut croire que cette solution d'embourgeoisement à toute allure convenait mieux à ces fils de la bourgeoisie transformés pour un temps en révolutionnaires.

Contrairement à leurs frères ennemis de l'extrême-droite, les petits soldats de la guerre des classes, séduits par la dictature du prolétariat et rêvant de plonger la France dans des années de plomb à l'italienne, n'ont pas survécu à l'effondrement de leurs rêves. Sans doute ravagé par la mauvaise conscience, Libération, le journal officiel des bobos a publié le portrait de Christophe Schimmel, un de ces militants désenchantés, passé sans transition de la grande bourgeoisie à la guerre subversive. Un texte intéressant même si très indulgent.

L'exemple de ce jeune paumé n'est pas sans rappeler ses frères de l'extrême-gauche argentine qui se sont donnés corps et âme à la guérilla contre le gouvernement péroniste au début des années 1970. Je me souviens que la lecture des noms de la soixantaine de morts communistes tués lors de l'attaque de la caserne de Monte Chingolo révélait une absence quasi totale d'ouvriers et une présence massive de fils de la bourgeoisie citadine, facilement identifiable à leurs noms patronymiques.


Tombés pour les maos
Quarante ans après Mai 68, que sont devenus les «soldats perdus» de la Gauche prolétarienne (GP) ? Quelle a été la trajectoire de ceux qui ne se sont pas remis de la dissolution en 1973 de cette organisation maoïste née dans le sillage des événements de Mai, et qui fut à l’origine du journal que vous avez entre les mains ? Le parcours de Christophe Schimmel en donne une idée.

Partons d’une image : celle qui montre Jean-Antoine Tramoni, agent de sécurité chez Renault, tirer de sang-froid sur l’ouvrier maoïste Pierre Overney. C’était le 25 février 1972, à 14 h 30, à l’usine de Boulogne-Billancourt. Christophe Schimmel, 18 ans à l’époque, était devant les grilles de l’avenue Émile-Zola avec d’autres militants de la Gauche prolétarienne. Photographe, il a capté toute la scène avec son Seagull, mauvaise copie chinoise de Rolleiflex.

Ses images, reprises par la télé et tous les journaux, vont avoir un impact énorme : elles démentent la thèse officielle de la légitime défense. La mort de «Pierrot» Overney est un assassinat. Le mouvement maoïste tient son premier martyr. Avec trois conséquences. Un : pour éviter d’autres morts et une spirale de la violence (plus quelques autres différends), les dirigeants de la GP décideront l’année suivante la dissolution de l’organisation. Deux : l’Agence de presse libération (APL), qui diffuse les photos, verra sa notoriété bondir instantanément. La petite agence militante pourra donner naissance, une grosse année plus tard, au quotidien Libération. Trois : la vie du photographe militant basculera. Aujourd’hui replié dans le Lot, sans emploi, dépressif, cet homme de 54 ans vit dans l’amertume : «Ces photos, on a fini par me les reprocher. Elles rappellent ce qui s’est passé, et que beaucoup ont préféré oublier.»

De déconvenues en overdoses

Schimmel fait partie de ceux qui n’ont pas supporté que l’on siffle la fin du rêve. Combien furent-ils ? Peut-être 200 ou 300, sur un total d’un millier, mais personne n’a de chiffres précis : cette histoire-là reste à écrire. Certains ont dérivé vers le mouvement autonome, d’autres vers une marginalité faite de braquages et/ou de drogue.

D’autres encore ont mis fin à leurs jours. Schimmel a fait plusieurs tentatives de suicide dans les années 1970. Il affirme que quinze des trente-cinq jeunes qu’il a recrutés pour la GP (il était alors un des éléments actifs du «mouvement de la jeunesse») sont décédés dans des circonstances tragiques dans les années suivant la fin du mouvement maoïste : suicides, overdoses, et même attaque en solo du commissariat d’Argenteuil à coups de cocktails Molotov pour l’un d’eux. C’est parmi les plus jeunes et les ouvriers que les dégâts auraient été les plus manifestes. Sans être nécessairement représentatif, le parcours de Schimmel donne une idée de cette errance. Christophe entre à la GP en 1969 à l’âge de 15 ans. Sa mère, Cécile Hallé, est une grande bourgeoise délurée qui a transformé son immense appartement de la rue de Rennes en salon foutraque où se croisent Sartre, Clavel, Fromanger, et les futurs dirigeants de la GP. A la demande de l’organisation, Christophe abandonne le lycée (classe de seconde à Montaigne) pour se consacrer à la révolution. Il n’a aucune culture politique mais une forte envie d’action.

Première déconvenue : à l’été 1970, il n’est pas désigné parmi les dirigeants du «mouvement de la jeunesse» - aux côtés d’Antoine de Gaudemar (ancien directeur de la rédaction de Libération) et Frédéric Joignot (aujourd’hui reporter au Monde et créateur de la revue Ravages) - car les lycéens veulent… des lycéens à leur tête. En outre, des témoins de l’époque se souviennent de Schimmel comme d’un «chien fou», «vif argent», «fragile», avec lequel le dialogue était difficile.

Il met alors son talent de photographe - hérité de sa mère, qui fait des photos pour l’école des Beaux-Arts - au service de l’APL, tout en participant aux réunions de l’organisation, où le fondateur Benny Lévy définit les «stratégies de lutte». Impression des tracts la nuit, baston aux portes de Renault le jour, distribution du bulletin ronéoté de l’agence. «Je ne sortais pas, je ne buvais pas, je ne fréquentais aucune fille : j’étais destiné à la révolution.»

En mai 1972, le voici à Thionville (Moselle) avec l’équipe de l’APL pour soutenir la grève des caissières des Nouvelles Galeries. Dans une camionnette Ford jaune, les professionnels viennent mettre leurs compétences au service des travailleurs pour faire un journal de lutte. «Les idées justes viennent du peuple», a dit Mao. Ainsi est réalisé le numéro 2 de Pirate, préfiguration de Libé sur huit pages agrafées, au format demi-A4. «C’était la première vraie lutte dans une grande surface,se souvient Schimmel. L’ambiance était plus VLR [Vive la révolution, mouvement gauchiste nettement moins orthodoxe que la GP, ndlr] que marxiste-léniniste. Ça baisait dans tous les coins, une partouze permanente.» C’est ainsi que Christophe rencontre Lydie. A Thionville, il y a aussi Antoine de Gaudemar, Jean-René Huleu, Christian Poitevin, qui n’en ont pas tous gardé le souvenir d’une atmosphère aussi débridée.

Quelque temps plus tard, Schimmel est invité à un séminaire de la GP près d’Avignon.«C’était un traquenard. Je me suis retrouvé obligé de faire mon autocritique, face à des gens comme Benny Lévy ou Joseph Tournel[ancien mineur, dont on apprendra plus tard qu’il était un indic], parce j’avais une liaison. J’ai servi d’exemple, de jeune intellectuel à châtier. On devait mourir pour la révolution, pas nouer des liens avec les vendeuses.»

Quelques semaines plus tard, le retour à Paris est difficile. On fait comprendre à Schimmel qu’on ne veut pas de lui dans l’aventure Libération. Pas assez pro. Le service photo lui demande de faire ses preuves, «alors que j’avais créé la photo à l’APL et que j’avais fait les clichés d’Overney !»

Par ailleurs, la mère de Christophe, Cécile Hallé, se fâche très fort avec la GP et Libé : elle vient de vendre son immense appartement pour payer des locaux au journal, or celui-ci n’en veut pas et Cécile se retrouve le bec dans l’eau. En soutien, Maurice Clavel, un des fondateurs de l’APL, envoie une lettre de démission : «Cette compagne de la première heure nous a sacrifié son job, ses jours, ses nuits, sa santé et, je le crains bien, sa maison.» Discrètement, le philosophe offrira à Cécile les droits d’auteur de deux de ses livres pour la tirer de ce mauvais pas.

Christophe rompt et arrête la photo. «Je me suis retrouvé sans travail, avec un enfant, sans ressources, totalement abandonné.» Errance, fréquentation des milieux autonomes, petits casses. «J’étais resté maoïste, alors que les autres avaient tiré un trait là-dessus. Et j’étais si jeune : la GP avait été ma seule famille depuis l’âge de 15 ans.»

Tourner la page

En 1975, Gilles Luneau, un ancien de la GP, récupère Schimmel, qu’il fait travailler avec lui dans un magasin de photos en Bretagne. «Je lui avais demandé un peu de matériel, il est arrivé un jour avec une voiture pleine à ras bord, se souvient Luneau, aujourd’hui journaliste et écrivain. Il était toujours plein d’enthousiasme, le cœur sur la main.»

Puis c’est Christian Poitevin qui lui trouve des petits boulots à Marseille. Schimmel reste en contact avec les milieux autonomes. La suite de son itinéraire est chaotique : divers jobs dans l’audiovisuel à Paris, un long parcours avec le PS où il devient numéro 2 du service d’ordre, installation dans le Lot, création d’un garage associatif. Et toujours l’esprit de lutte : il a fait récemment deux grèves de la faim pour protester contre la menace de fermeture de lignes et gares SNCF, il s’est présenté aux dernières législatives soutenu par un collectif antilibéral.

L’an dernier, des déboires familiaux l’ont mené à la dépression. Il vivote aujourd’hui sans maison ni salaire, avec toujours «une profonde douleur au fond de moi».«J’avais réussi à la contenir pendant des années, mais le 40e anniversaire de Mai 1968 a ravivé tout cela.» Enfin, il y a un sentiment de culpabilité : «Tous ces types que nous avons entraînés là-dedans, et qui sont morts. Nous sommes responsables.»

Schimmel n’est pas le seul à avoir vu tomber ses camarades autour de lui. L’écrivain Sorj Chalandon, ancien de la GP et qui fut de l’aventure Libé dès 1973, a perdu quatre proches : «Yves et Jean-Yves se sont pendus, Jean-Denis s’est tiré un coup de fusil à pompe dans la tête, Jean-Marc a été abattu lors d’une altercation dans un bistrot de Stains.» Mais, contrairement à Christophe, Sorj ne fait pas le procès des dirigeants de la GP. «Nous avons connu cette époque et cette ambiance incroyables, entre maquis et scouts de France. Et puis nous avons été rejetés et ramenés à notre solitude, c’est ainsi.» Chalandon avait intégré le «mouvement de la jeunesse» en 1971, à l’âge de 19 ans. «Certains s’en sont mieux tirés que d’autres. On m’a dit : "Toi, tu as de la chance, tu peux écrire." Il est vrai que si Libé n’avait pas existé, pour certains c’était peut-être la prison ou le suicide.»

Le mouvement mao a-t-il permis à quelques têtes brûlées, en les canalisant dans des luttes, de vivre quelques années de plus ou, au contraire, a-t-il abrégé ces vies ? Sorj Chalandon se garde de trancher, notant toutefois : «Je ne connais pas de chefs maos qui se soient suicidés.»

Gilles Luneau se souvient : «On croyait qu’on allait changer le monde, on était drogué à la pureté. Après, certains sont devenus voyous, camés ou religieux. Mais je ne garde aucune amertume. Au contraire, je me nourris toujours de cette époque-là. Il ne faut pas y repenser avec aigreur.» Schimmel n’aurait pas su tourner la page.

Ceux, lycéens ou ouvriers, qui se sont construits avec la Gauche prolétarienne ont dû ensuite se reconstruire. «Tout le monde s’est retrouvé largué dans la nature, les plus vieux s’en sont mieux sortis que les plus jeunes, se souvient Antoine de Gaudemar, qui lui-même a vécu deux ans en communauté à Villemomble après l’éclatement de la GP. Christophe était très jeune et vulnérable, je me sentais un peu en position de grand frère. Peut-être n’était-il pas assez armé pour faire face à ça.»

Christophe Schimmel a lui-même voté pour la dissolution de la Gauche prolétarienne : «Je l’ai fait la mort dans l’âme. Mais on était dans un état de délabrement total, on faisait faire des conneries aux jeunes. Et puis nous n’avions pas les moyens de passer à la lutte armée.» Mais Schimmel reproche aux dirigeants de la GP d’avoir laissé tomber tous ceux qu’ils avaient entraînés dans l’aventure, puis d’avoir réécrit l’histoire en ne retenant que ses bons côtés. Critique parallèle à celle qu’a faite Morgan Sportès, au printemps dernier, dans son ouvrage Ils ont tué Pierre Overney (Grasset), que Schimmel trouve «pas fausses» mais «sous-estimant la sincérité de l’engagement militant»et «cédant trop à la théorie du complot».

Il aurait fallu savoir tourner la page.«Hélas pour moi, il y avait ces photos de 1972, j’étais une mémoire de ce qui s’était passé», constate Christophe Schimmel, qui assure n’avoir jamais touché un centime pour ces clichés.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Ángel López-Amo, EL PRINCIPIO ARISTOCRÁTICO.
www.empresaspoliticas.blogspot.com

Atentamente,
Jerónimo Molina Cano