Liquider les traîtres
La Face cachée du PCF, 1941 – 1943
de Jean-Marc Berlière et Franck Liaigre
Robert Laffont, 510 p., 22 e, ISBN 9782221107560.
L’écrivain et journaliste Christian Authier, publie dans les colonnes de Marianne un intéressant point de vue sur la « Môquetmania ».
Contre la « Môquetmania »
Merci Bernard. Il aura fallu la décision de Bernard Laporte de faire lire à ses joueurs avant le match France - Argentine la lettre de Guy Môquet pour qu'enfin beaucoup sentent que l'on avait basculé dans l'indécence et le grotesque. Bien. Mais, encore un effort, camarades. Le ver de l'instrumentalisation de l'histoire par la communication politique n'était-il pas déjà dans le joli fruit de la « résurrection » de Môquet par Nicolas Sarkozy ? Lecture de la lettre le jour de l'intronisation du Président puis chaque 22 octobre dans toutes les écoles de France : cela ne méritait-il pas débat ? Certes, il y en eut. Des historiens et des enseignants exprimèrent leurs réserves, voire leur franche hostilité à ce qui apparaissait à certains comme une récupération. Mais ces oppositions ne furent guère audibles. La môquetmania battait son plein et l'on n'avait pas trop envie de passer pour un mauvais Français.
Avec Guy Môquet brandi, comme Jaurès, par le candidat Sarkozy durant la campagne, le futur Président pratiquait « l'ouverture ». Pourquoi avoir choisi Môquet parmi ceux tombés face à l'occupant nazi et ses alliés hexagonaux ? Parce qu'il avait été glorifié par Aragon et le PCF, que son nom appartenait au roman national, que sa dernière lettre est bouleversante. La « marque » Môquet, déposée à une station de métro, était porteuse. Il suffisait de lui redonner un petit coup de jeune.
Sur le fond, qu'apporte la lecture de cette lettre aux écoliers ? En quoi éclaire-t-elle le pacte germano-soviétique ? Le vote des pleins pouvoirs à Pétain par le Parlement ? la marginalité des premiers résistants ? Il faudra bien d'autres lectures pour comprendre cette époque. Celle, par exemple, du Sang des communistes de Jean-Marc Berlière et Franck Liaigre. Gilles Perrault livrait dans Marianne en octobre 2004 un article à la fois louangeur et critique de cet ouvrage rendant « un juste hommage aux jeunes communistes des Bataillons. » On pouvait lire également sous la plume de Perrault : « Les auteurs rappellent que Môquet fut arrêté pendant le lugubre été 1940, époque où le Parti, triste marionnette dont les fils étaient tirés à Moscou par le Komintern, c'est-à-dire par Staline, recevait l'ordre de sortir de la clandestinité. Résistant, Guy Môquet ? L'archive, la sacro-sainte archive démontre le contraire : les tracts qu'il distribuait lors de son arrestation n'appelaient nullement à résister, ils continuaient de dénoncer imperturbablement le caractère impérialiste de la guerre. » Voilà qui ne cadre guère avec l'actuelle canonisation laïque de Môquet par le pouvoir pour lequel l'Histoire semble se réduire à un discours officiel, à des symboles, à un marketing politique vintage distillé par une sorte de ministère de la Vérité qui n'aurait pas oublié le précepte orwellien : « Qui détient le passé détient l'avenir. »
Reproduction des deux pages de l'édition de l'Humanité du 1er juillet 1940.
Les communistes réclament des sanctions contre ceux
qui ont voulu faire la guerre à Hitler.
L’historien Stéphane Courtois a choisi les colonnes du Figaro pour publier une recension de l'essai de Jean-Marc Berlière et Franck Liaigre consacré à la sanguinaire police politique au sein du Parti communiste français durant la Seconde Guerre mondiale.
De la Résistance à l'assassinat politique
Depuis 1944, la Résistance a été - des gaullistes aux communistes - le socle de toute légitimité politique ; et elle a mobilisé la mémoire nationale et nourri un imaginaire tant nationaliste que révolutionnaire. Les résistants ont multiplié des récits qui ont été considérés comme textes sacrés par l'opinion et la plupart des historiens. Ce privilège du témoin s'est maintenu pendant six décennies, une loi de 1979 ayant imposé ce délai à l'ouverture des archives de l'État. Et il a, au fil des ans, encouragé le développement de légendes résistantialistes, colportées - souvent jusqu'à la boursouflure - par nombre d'auteurs et que, faute d'accès aux documents représentant une réelle preuve, il était impossible de vérifier.
Ce délai est aujourd'hui forclos et l'on assiste à une révolution documentaire qui inaugure la renaissance des études sur la Résistance et fait voler en éclats les légendes. En 2004 déjà, Jean-Marc Berlière et Franck Liaigre ont publié un ouvrage remarquablement documenté sur les débuts de la lutte armée du Parti communiste français, de l'été 1941 au début 1942. Un lancement qui se solde par un triple échec : 7 soldats allemands tués, 30 combattants arrêtés et condamnés à mort et 218 otages fusillés - dont le désormais célèbre Guy Môquet, arrêté début octobre 1940, alors que le PCF n'était encore guère résistant. Avec Liquider les traîtres - et grâce aux riches archives de la Préfecture de police de Paris, qui recèlent également les archives internes du PCF clandestin, saisies lors des arrestations -, les mêmes auteurs éclairent tout un pan, très mal connu parce que très secret, de l'histoire du PCF en résistance : celle du « détachement Valmy ». Harcelé par Moscou qui exigeait une intensification de la lutte armée en France, Jacques Duclos, le chef du parti clandestin, chargea ce groupe - bras armé de la commission des cadres, organe central de l'appareil - d'organiser à Paris, entre août et octobre 1942, des attentats spectaculaires contre l'occupant. Le plus fameux fut l'attentat contre le cinéma Rex qui tua trois Allemands et en blessa une vingtaine. Mais le « Valmy » avait d'autres activités moins avouables : il était en réalité la police intérieure du parti, et ses membres se considéraient comme une « GPU », du nom de la police politique de Staline. Ainsi, de juillet 1941 à juillet 1942, le « Valmy » s'est consacré à des assassinats ciblés visant en priorité d'ex-dirigeants communistes qui, après le pacte entre Hitler et Staline d'août 1939, s'estimaient trahis dans leur engagement antifasciste et avaient quitté le parti. Le premier, abattu dans le dos, fut Marcel Gitton, ex-membre du bureau politique. S'il visa des collaborationnistes - comme Clément, rédacteur en chef du journal de Doriot -, le « Valmy » commit aussi nombre de « bavures », coûtant la vie à des Français innocents. Deux cas sont particulièrement troublants : celui de Georges Déziré, cadre communiste important accusé à la légère de travailler pour la police, assommé à coups de briques et abattu à coups de revolver, et que Duclos, après guerre, lava de tout soupçon ; et celui de Mathilde Dardant, une jeune femme agent de liaison de Benoît Frachon - numéro deux du parti clandestin -, assassinée sur ordre de la direction, semble-t-il pour raisons « sentimentales », et dont le corps fut abandonné, nu, dans les bois.
Fanatisme idéologique
Le « Valmy » a été un de ces noyaux formés par le PCF et prêts, par fanatisme idéologique et discipline bolchevique, à suivre aveuglément les ordres, y compris les plus infâmes. Le fonctionnement et la mentalité de ce groupe soulignent ce qui, au coeur de l'appareil communiste, constituait sa dimension proprement totalitaire. Cette histoire du « Valmy » éclaire, en miroir, celle des deux brigades spéciales des Renseignements généraux chargées de traquer les « terroristes ». Formées de policiers républicains, elles recherchaient déjà les communistes en 1939-1940, quand le PCF prônait le défaitisme en pleine guerre contre Hitler, et poursuivirent ce travail quand, à partir de l'été 1941, le PCF entra en résistance ouverte à l'occupant. Les auteurs nous en détaillent l'organisation, nous brossent le portrait et les motivations de leurs chefs, nous décrivent leurs méthodes de travail - de la filature la plus sophistiquée aux tortures physiques et psychologiques les plus efficaces - et nous narrent la fin de la partie : lors de la libération de Paris, une préfecture où la cave du préfet de police a été pillée, où l'état d'ébriété est général et où le communiste Arthur Airaud a pris le commandement, s'emparant de nombre d'archives pour le compte du parti et engageant une épuration expéditive.
Dans les colonnes du Monde, Thomas Wieder recense l'ouvrage de Jean-Marc Berlière et de Franck Liaigre. A lire en parallèle avec celle de Stéphane Courtois.
Quand le PCF faisait la police dans ses rangs
Au vu du titre, on pourrait craindre le pire. Vouloir aujourd'hui faire la lumière sur la "face cachée" du Parti communiste sous l'Occupation fleure, à première vue, le "coup" éditorial. Les historiens ont corrigé depuis longtemps l'image héroïque d'un parti qui se présenta, à la Libération, comme le principal, sinon le premier fer de lance, de la lutte armée contre Vichy et les Allemands. Nul n'ignore plus que le PCF, lié au pacte germano-soviétique de 1939, attendit l'attaque de l'URSS par l'Allemagne, en juin 1941, pour basculer dans la Résistance (ce qui n'empêcha pas certains militants, obéissant à leur conscience plutôt qu'à la direction du parti, d'entrer en dissidence avant cette date).
Quelle est donc cette Face cachée que Jean-Marc Berlière et Franck Liaigre entendent révéler dans ce livre ? Fin 1941, L'Humanité, publiée alors sous le manteau, lance un avertissement : les "traîtres", y lit-on, seront "abattus comme des chiens". Pour accomplir cette besogne, les dirigeants du PCF font appel à une trentaine de militants connus pour leur fidélité et leur sang-froid. En référence aux patriotes de 1792, on donne à leur groupe le nom de Valmy.
Les membres du "détachement Valmy" seront impliqués dans quelques affaires célèbres. Ce sont eux qui, en septembre 1941, tirèrent à bout portant sur Marcel Gitton, un ancien cadre du PCF rallié à la politique de collaboration. Eux aussi qui furent chargés de tuer leur camarade Georges Déziré, en mars 1942, dans la cave d'une villa des bords de Seine. Figure du communisme normand, Georges Déziré était soupçonné - à tort, comme le reconnaîtra la direction du PCF en 1948 - d'avoir "balancé" à la police des noms de résistants...
Au total, une vingtaine de personnes auraient ainsi été exécutées par ces militants placés sous le contrôle de Jacques Duclos, devenu le principal chef du parti après le départ de Maurice Thorez pour l'URSS en 1939. Françaises ou allemandes, les cibles étaient généralement tuées par balles dans des lieux discrets. Quelques attentats à la bombe furent aussi perpétrés dans des cinémas ou des gares de la région parisienne. Plusieurs personnalités gravitant dans les cercles collaborationnistes furent inquiétées : des journalistes en vue, comme Pierre-Antoine Cousteau ou Jacques Benoist-Méchin, mais aussi des politiques, comme l'ancien communiste Jacques Doriot, le chef du Parti populaire français.
L'histoire du "détachement Valmy", dans ses grandes lignes du moins, était connue depuis longtemps. Mais Jean-Marc Berlière et Franck Liaigre, qui ont dépouillé une masse d'archives considérable (notamment à la Préfecture de police de Paris), en donnent ici le récit le plus exhaustif qui ait été publié à ce jour. Rectifiant certaines erreurs contenues dans les témoignages déposés après-guerre, ils apportent aussi des précisions inédites, tant sur le fonctionnement des instances dirigeantes du PCF clandestin que sur la façon dont la police française procéda à sa répression. Celle-ci fut sans pitié. Dès l'automne 1942, un an à peine après ses premières actions, le "détachement Valmy" fut démantelé. Certains de ses membres furent torturés à mort, d'autres déportés. Jean-Marc Berlière, qui est incontestablement le meilleur historien de la police, décrit la chute du réseau dans ses moindres détails - comptes rendus de filatures, de perquisitions et d'interrogatoires à l'appui.
Autant que La Face cachée du PCF, c'est donc l'une des pages les plus sombres de l'histoire de la police française qui est racontée dans ce livre. Et en particulier celle de ces redoutables "brigades spéciales", auxquelles la direction des Renseignements Généraux accorda de gros moyens pour traquer les résistants communistes.
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