vendredi 7 mai 2010

Retour à Djibouti

Des légionnaires héroïques. Le lieutenant de Montfalcon du 6e Régiment étranger d’infanterie en décembre 1940 à Homs en Syrie. 

Un de mes lecteurs réguliers m'a informé d'un rebondissement dans une affaire qui nous avait bien occupés l'an passé : la mort accidentelle en 2008 d'un légionnaire lors d'un exercice à Djibouti qui a abouti à la mise en examen du jeune lieutenant commandant la section du de cujus.

Des sources proches de l'instruction ont communiqué à la presse les résultats du rapport d'experts qui conclut à la mort du légionnaire par « coup de chaleur » en excluant toute responsabilité directe du lieutenant commandant la section.

Ces décès au cours d'exercices sont inévitables si l'on cherche à reproduire les conditions du combat. On peut seulement les réduire autant que possible en veillant à la forme physique et mentale des participants. Cela explique qu'en temps de paix, les morts de cette nature son rares.

À l’époque, l'affaire avait attiré mon attention en raison de l'attitude de la hiérarchie à l'égard du lieutenant qui commandait la section. L'institution militaire avait fait l'impossible et même un peu plus pour transformer le jeune officier en bouc émissaire.

A la notable exception de Valeurs Actuelles, les porte-voix du ministère dans les médias ont relayé à fond la bonne parole de l'Etat-Major. Jean-Dominique Merchet, journaliste spécialisé dans la chose militaire, a même commis un article de deux pages dans les colonnes de Libération démolissant le jeune homme dans un exercice d'attaque ad hominem particulièrement répugnant.

Voici ce que j'écrivais :

Pour l'Armée, la situation devient difficile à gérer. A l'appui de la version officielle, le journaliste de Libération Jean Dominique Merchet a publié le vendredi 9 janvier un long article dans lequel ont comprend qu'il a eu accès non seulement à des informations venues en droite ligne du dossier d'instruction, mais qu'on lui a ouvert en grand les portes du 2e REP où des mous du genou triés sur le volet ont avalisé la fable d'un lieutenant marginal, mal intégré, pleurant dans son coin, instable et capable de tout. Ce flingage à vue, dans lequel le point de vue de l'incriminé est expédié en deux lignes est très inhabituel et semble un exercice imposé.

De quoi je me mèle, peut-on m'objecter. Ce blog n'est-il pas en priorité consacré à des questions historiques et culturelles ?

Je ne suis pas militaire et mon expérience de la guerre se limite à un court séjour en zone d'opérations en Afrique et un autre sur un front du Moyen Orient. Pas de quoi me vanter mais assez pour savoir ce que l'on ressent sous le feu.

J'ai plutôt réagi en pensant à mes ancêtres. A ce gabier qui balançait des grenades sur l'ennemi à la bataille d'Ouessant, à ce canonnier qui a étrillé l'Anglais à la Chesapeake, à ce fusilier à pompon rouge qui a enrayé l'assaut des bataillons d'étudiants allemands dans les marais des Flandres, à celui qui s'est arc-bouté sur le Grand Couronné de Nancy pour bloquer l'avance ennemie, à ce poilu qui a tenu le coup à Verdun ou sur la Marne ou, plus récemment, à cet aviateur qui s'est battu contre la Luftwaffe en 1940 ou encore à ce marsouin qui a connu un sort tragique le long de la RC4.

C'est en ayant à l'esprit tous ces hommes dont le sang coule dans mes veines que j'ai pris la plume pour défendre l'idée que je me fais de l'armée et du rôle des officiers.

Très bref rappel des faits. Le 5 mai 2008, la 2e section de la 1re compagnie du 2e Régiment étranger de parachutistes (REP), en tournante à Djibouti, détachée auprès de la 13e DBLE, prend part à l'exercice Bour Ougoul 2008 sur le terrain désertique de l'ancien territoire des Afar et des Issas, ce petit bout d'enfer où l'Armée française fait ses classes.

Au cours de l'exercice, le légionnaire Jozef Svarusko refuse de poursuivre la progression en prétextant une douleur au genou. Il ne s'est pas fait mal en marchant et son genou semble fonctionner parfaitement. Verdict des gradés qui en ont vu d'autres : c'est un simulateur. Les sous-officiers forcent le légionnaire à reprendre la mission car il est impossible d'abandonner un homme seul au milieu du désert ni de renoncer à l'objectif fixé par le commandement. Deux cents mètres plus loin, il s'arrête une fois de plus. Il est remis en route d'autorité mais il parcourt une courte distance avant de s'arrêter à nouveau. Ce petit jeu se poursuit un certain temps et le jeune officier commandant la section intervient. Il aurait frappé à son tour le légionnaire une fois et vidé sa gourde d'eau. Visiblement, le coup de gueule du chef a de l'effet car le légionnaire poursuit avec peine l'exercice avant de s'écrouler et finalement décéder en dépit de l'arrivée des secours appelés par le chef de section.

Vous pouvez retrouver sur ce blog des posts assez détaillés qui reprennent l'affaire telle que peut la connaître un observateur qui ne dispose pas d'autres sources que ce qu'il peut trouver dans la presse et sur le net. Les liens sont en fin de post.

Il suffit de savoir que le jeune lieutenant a été emprisonné quelque temps à la Santé et qu'il a été chassé ignominieusement de l'Armée par décret présidentiel.

L'institution pensait avoir réglé l'affaire en passant la patate chaude à la justice. Grave erreur.

L'ex-officier n'a pas voulu se laisser sacrifier sans se défendre. Grâce à une étude pointue du dossier et à l'intelligence de ses avocats, les failles nombreuses sont apparues et tout récemment, Dominique Merchet (qui semble avoir procédé sur ce dossier à un périlleux exercice de rétropédalage) a rendu compte des conclusions du rapport d'experts qui concluent que la mort du légionnaire était due à un coup de chaleur.

Mort d'un légionnaire à Djibouti en 2008 : les experts concluent à un coup de chaleur

Le légionnaire Jozef Svarusko, dit "Talas", mort au cours d'un exercice à Djibouti, le 5 mai 2008, est décédé dun "coup de chaleur". C'est ce que confirme un rapport d'expertise, en date du 9 décembre 2009, rédigé par quatre médecins pour le compte de la juge d'instruction du Tribunal aux armées de Paris, et dont ce blog a eu connaissance.

Les "traumatismes superficiels" constatés lors de l'autopsie de la victime, âgée de 25 ans, ne sont "en aucun cas susceptibles d'avoir entrainé la mort ou même d'avoir participé au processus de décès" concluent les experts. Les coups ne sont donc pas responsables de la mort du légionnaire.

On sait que quatre gradés, dont le lieutenant Médérick Bertaud, sont mis en examen dans cette affaire pour "actes de torture et de barbarie ayant entrainé la mort sans intention de la donner". Un sergent et un caporal-chef sont en fuite, sans doute rentrés en Amérique latine, dont ils étaient originaires.

Comme nous le racontions à l'époque, avec de nombreux détails, le comportement du lieutenant, jeune chef de section au 2ème REP, est au coeur de l'enquête judicaire. Cet officier reconnait avoir vidé la gourde et les deux bouteilles d'eau du légionnaire, qui peinait à suivre la colonne progressant dans une zone très aride, par forte chaleur. L'officier reconnait également avoir donné un coup de poing au jeune slovaque; suffisamment fort pour que la victime vacille, sans toutefois tomber. Le rapport des experts parle d'une "ecchymose sur la région frontale gauche". L'officier a également insulté le légionnaire qui refusait de poursuivre en ces termes : "Relève-toi, sale merde !" Un comportement qui fait dire au chef d'état-major de l'armée de terre que le lieutenant Bertaud "n'a pas sa place chez nous".

Mais il est clair aujourd'hui que ce ne sont pas les coups qui ont provoqué la mort du légionnaire. Le fait d'être privé d'eau pendant plus d'une heure a-t-il provoqué le coup de chaleur ? Le rapport des experts n'en dit rien. En revanche, "le diagnostic porté avec certitude" indique que "l'arrêt cardio-circulatoire est sruvenu de façon brutale. (...) Ce coup de chaleur est secondaire (consécutif, ndlr) à un exercice intense chez un malade en surpoids et mal entrainé".

Cette conclusion est grave. Talas est présenté comme un "malade en surpoids et mal entrainé". Il est clair qu'il n'avait rien à faire dans une compagnie de combat d'un régiment parachutiste. Qui plus est au cours d'un exercice dans le désert. Tous ses camarades trouvaient que "Talas ne suivait pas". Il y a eu manifestement un problème de sélection puis d'orientation de ce jeune slovaque. Le comportement de son officier est inexcusable, mais la faute est sans doute plus collective - c'est en partie celle de l'institution. Car le légionnaire Talas n'aurait jamais dû être là où il était ce jour-là.

Dominique Merchet oublie quelque chose d'important : le rapport de la Gendarmerie établit que le légionnaire a pu boire toutes les demi-heures.

Le lieutenant, qui a suivi en cela ses sous-officiers, a cherché par tous les moyens à motiver un homme malade et trop gros pour être affecté à une unité de combat.

L'officier n'est pas un gentil organisateur en mesure de tout arrêter si un vacancier à bobo au genou. Le lieutenant avait une mission à remplir en utilisant les moyens mis à sa disposition par le commandement : matériels en état de fonctionner, hommes en état de marche et armes bien pourvues en munitions.

Les moyens que le lieutenant a choisis pour faire bouger son traînard, il n'en disposait pas de beaucoup d'autres, ne me semblent pas en contradiction avec le niveau d'exigence d'une unité d'élite. Je l'ai vu faire en Afrique (un tout autre contexte et une toute autre armée, je le concède).

Des soldats qui n'étaient pas des mous du genou.

Il est probable que l'idée que je me fais d'une unité d'élite (et selon toute vraisemblance ce jeune lieutenant aussi) n'est plus valable aujourd'hui. Il est possible aussi que la société toute entière ait subi un amollissement général.

Je me souviens que scout randonneur de 18 ans, voici une trentaine d'années, au cours d'un raid particulièrement rude dans les Vosges, j'ai connu quelques moments de faiblesse qui ont ralenti la progression de mon groupe. Notre chef de patrouille, un rude gaillard, m'a secoué, tant verbalement que physiquement, et cela m'a motivé suffisamment pour que je me resaisisse et reprenne la progression.

Ce que le jeune officier a fait durant l'exercice relève d'un mauvais théâtre qui a certainement pu heurter l'amour-propre du légionnaire mais guère plus.

Les causes de la mort du fantassin sont à rechercher ailleurs.

Nous l'avions écrit ici même. En toute logique, s'il tient compte des conclusions du rapport d'experts, le magistrat instructeur devra se poser des questions sur la chaîne de commandement responsable de l'affectation du légionnaire inapte au combat dans une unité… de combat !

Voici ce que j'écrivais voici un an :
D'après des rumeurs qui circulent parmi les militaires d'active, la hiérarchie a voulu sacrifier la peau de ce lieutenant pour que ne soit pas mise en cause la responsabilité du capitaine et celle du responsable sur place, à Djibouti.

Bref, la patate chaude a été relancée par les défenseurs du lieutenant dans le camp de l'Armée. Une question taraude tous ceux qui s'intéressent à cette affaire : que se passe-t-il au sein de la 13e DBLA pour qu'ils aient voulu étouffer leurs dysfonctionnements en sacrifiant un bouc émissaire ?

Le vent commence à tourner et il ne souffle plus dans la direction augurée par les huiles de l'état-major. J'en veux pour preuve l'évolution du journaliste de Libération Dominique Merchet qui, sans se couper de ses sources privilégiées, cherche à préserver sa crédibilité. Son dernier post est éclairant.

Polémique sur la mort d'un légionnaire à Djibouti : au delà des passions (actualisé)

La mort du légionnaire Talas lors d'un exercice à Djibouti, le 5 mars 2008, et l'enquête judiciaire qui s'en suit, suscitent de nombreuses réactions souvent passionnées. Que peut-on en penser ?

1) Un homme est mort et c'est l'essentiel. Un jeune slovaque s'était engagé dans la Légion étrangère et, à ce titre, servait la France. Il est mort bêtement au cours d'un exercice. Ne l'oublions pas. Certains le passent un peu vite par pertes et profits, préferant, par corporatisme, s'indigner du sort d'un jeune officier frais émoulu de Saint-Cyr.

2) Un jeune officier (…) voit sa carrière brisée (il a été radié de l'armée de terre) et a connu la prison dans l'attente de son procès. C'est déjà beaucoup. Son comportement a-t-il entrainé la mort du légionnaire ? Nous n'en savons rien et c'est même pour cela qu'il y aura un procès, avec une instruction, des experts et des avocats de part et d'autres ! Laissons la justice trancher. En attendant, une chose est sûre : son comportement n'a pas été honorable. Un officier - c'est en tout cas l'idée qu'on s'en fait - ne doit pas insulter, frapper et priver d'eau l'un de ses hommes.

3) Ce drame est né de la rencontre de deux hommes, qui n'avaient peut-être pas leur place dans cette section du 2ème REP. Tous les témoignages le confirment : Talas n'était pas au niveau, il ne suivait pas. Quand au lieutenant, son comportement n'était pas celui que l'armée de terre attend de ses jeunes chefs de section. Le problème est donc le suivant : que faisaient-ils là tous les deux ? Ce n'est pas remettre en cause l'armée de terre que de s'interroger. Ont-ils été bien sélectionnés, bien formés, bien orientés ? Si l'on répond par l'affirmative, comment expliquer les faits ? Faut-il rejeter l'entière responsabilité sur le lieutenant Bertaud ? Ce serait une autre forme de corporatisme, aussi détestable que la première que d'affirme r: l'institution est par nature innocente et il n'y a que des brebis galeuses.

4) Un journaliste n'est pas un juge. Je donne des éléments sur une affaire dont nous ne nous pouvons espérer avoir tous les éléments que lors du procès. Lorsque nous donnons des informations, nous le faisons avec un seul souci : leur véracité et leur exactitude. Quant à l'effet qu'elles produisent, si on ne peut l'ignorer, il ne devrait jamais dicter la décision de les communiquer ou non.

PS : je propose un cessez-le-feu dans le débat (sic) sur les vertus des Saint-Cyriens. Un peu de calme et de tenue fera du bien à tout le monde. Pour être clair, et jusqu'à nouvel ordre : les commentaires agressifs sur ce sujet ne seront plus mis en ligne.


L'an dernier, un des lecteursde Dominque Merchet, répondant au pseudonyme d'Alouette, en réagissant à l'article douteux que Merchet avait consacré à la personnalité de l'officier mis en cause, écrivait le lundi 12 janvier 2009 un commentaire révélateur sur le délicat exercice d'équilibriste auquel est soumis le journaliste.:

Lire entre les lignes
Excellent article. À première vue, il épouse la thèse de l’armée (« le châtiment d’un lieutenant tortionnaire »). À y regarder de plus près, il multiplie entre les lignes les avertissements au lecteur :
1) Il signale dès sa deuxième phrase que l’armée est désireuse de communiquer sur l’affaire (pas d’omerta militaire, bien au contraire).
2) Il ne dissimule pas que ses informations proviennent de la hiérarchie militaire, dont chacun se doute bien qu’elle n’est pas devenue tout à coup un modèle de transparence et de sincérité.
3) Il rappelle, par l’adverbe « vraisemblablement » (se non e vero e ben trovato ?), que la relation entre la privation d’eau, l’éventuel coup de chaleur et l’hémorragie interne dont est mort le légionnaire S. n’est à ce jour qu’une hypothèse – une hypothèse sur laquelle repose tout le reste de l’affaire.
4) Il laisse comprendre en évoquant des détails futiles (dégradation de véhicule, chaussures pas réglementaires) que l’armée a quelque peine à dresser un portrait du lieutenant B. en tortionnaire.
5) Il confirme le lâchage du lieutenant B. par l’armée en citant in fine une phrase quasi-courtelinesque du chef d’état-major (on lâche pas… mais on lâche quand même), qui pourrait figurer dans un florilège de littérature antimilitariste. Il la ponctue même d’un « fermez le ban » qu’on peut prendre pour ironique.
6) Il évoque nettement une pression exercée par l’armée sur la justice en faveur d’une mise en examen du lieutenant B. et de trois autres légionnaires.
7) Il avance même un début d’explication à l’attitude de l’armée : elle aurait voulu faire un exemple pour prévenir de futures bavures en Afghanistan.
M. Merchet, qui est un journaliste de talent, n’a sûrement pas semé tous ces signes de piste par hasard. Soucieux de ne pas s’aliéner ses sources militaires, il a rendu compte de leur version de l’affaire. Mais honnête envers ses lecteurs, il leur a aussi donné assez de clés pour la décrypter.
Le magistrat en charge de l'instructeur est bien au fait de la chose militaire.
Dans quelques mois, le magistrat instructeur va rendre une décision concernant le jeune inculpé. Je m'incline à penser que son affaire sera requalifiée pour prendre en compte les conclusions du rapport d'experts qui l'exonère de toute responsabilité directe dans la mort du légionnaire.

En attendant, en raison de l'incurie du commandement, deux vies ont été brisées. La première, celle du légionnaire inapte qui n'aurait jamais dû être affecté à la section en vue d'un exercice très dur. La seconde, celle d'un jeune homme, idéaliste, qui avait destiné sa vie au service des armes de la France.

Mais, qui sait, ce jeune homme possède peut-être les ressources nécessaires pour renaître à une nouvelle vie. Espérons qu'il ait fait le bon choix, celui de tourner la page.






Pour en savoir plus :

1 • La légion sur la sellette

2 •L'ex-chef de corps des mous du genou mis en cause

5 • Libération flingue à vue

1 commentaire:

Kebel-touseg a dit…

Ce journaliste dit qu' "un journaliste n'est pas un juge", mais il ne se contente pas lui-même de relater les faits objectivement, comme tout journaliste est sensé le faire, il porte un jugement. On sent très bien dans ses écrits pour qui va la préférence. Peur de la censure et du politiquement correct ? Il ne semble même pas prendre en compte les témoignages et autres faits, voulant rester conforme à sa première opinion. Il ne faut pas tordre les faits pour les faire coller à son idée, mais tordre son idée pour la faire coller aux faits, sinon, on n'est d'autre qu'un inspecteur Caponi, c'est confus Léonce, tout ça c'est confus.