mardi 13 juillet 2010

Une pseudo histoire des services secrets espagnols


Peut-on écrire une histoire des services secrets alors que les archives sont fermées et que les protagonistes sont encore tenus au secret ?

Tel est le dilemme auquel doivent s'affronter les auteurs assez téméraires pour vouloir écrire une histoire d'hommes sans histoire.

Aux Etats-Unis, de nombreux auteurs ont néanmoins réussi cet exercice grâce à un très sérieux travail d'enquête, rendu plus facile par une ouverture plus grande des institutions du renseignements par une plus grande liberté de parole des acteurs des guerres de l'ombre.

En Europe, rien de tel.

Ecrire l'histoire d'un service d'espionnage revient à reconstruire une affaire criminelle trente ans après les faits grâce à des coupures de presse.

Les exemples en France des livres publiés sur les affaires criminelles les plus emblématiques, songeons au calamiteux Pull-over rouge de Gilles Perrault, rappelle les limites de l'exercice.

Le journaliste espagnol Vicente Almenara vient de démontrer à nouveau la futilité de l'effort dans son livre Los Servicios de inteligencia en España dans lequel il retrace l'histoire des officines de Franco à nos jours.

Contrairement à ce qu'affirme l'éditeur, l'auteur n'a guère mouillé la chemise pour rechercher les témoignages d'anciens des services ou des politiques qui les ont contrôlés.

A défaut d'autre chose, ce livre comble une lacune mais il ne peut prétendre à ce qu'il n'est pas, une histoire des secrvices secrets espagnols.

Synthèse de coupures de presse et d'ouvrages d'investigation publiés au cours des années antérieures, le livre de Vicente Almenara évoque un chien déguisé en loup. En quelques coups de brosse, le féroce Canis lupus redevient l'affectueux Canis lupus familiaris.

Les 1295 notes en bas de page révèlent davantage l'absence totale de sources originales à la disposition de l'auteur. Il me semble que les deux seuls entretiens qu'il a réalisés sont ceux cités in extenso en fin d'opus.

A base de coupures de presse contradictoires et d'ouvrages partiels et partiaux, comment écrire autre chose qu'une chronologie améliorée ?

D'autre part, son exploitation des sources est bien souvent étonnante. Prenons l'exemple du GRAPO, ce mouvement trerroriste d'extrême gauche qui a sévi en Espagne, l'auteur s'appuie principalement sur des sources publiées à l'époque des événements dans un but clairement politique. Inexplicablement, il ne cite à aucun moment les souvenirs de Pio Moa qui fut membre de cette organisation et qui l'a longuement décryptée. De toute évidence, il n'a pas cherché à s'entretenir avec lui ou avec d'autres rescapée de cette minable épopée. Si, corrigeons notre propos, il cite bien quelques phrases de Pio Moa, mais reprises dans l'ouvrage d'un autre auteur.

Pour les visiteurs français, un décorticage plus détaillé de ce livre est peu utile. Q'il suffise de dire qu'il présente de manière synthétique l'information publiée et disponible sur les différentes organisations qui composent au fil du temps le renseignement espagnol.

Que les lecteurs ne s'attendent pas à des révélations fracassantes, mais il permet de suivre l'évolution des modestes moyens mis en place par le franquisme aux véritables usines à gaz qui servent actuellement le gouvernement socialiste. Il rappelle les grandes affaires qui ont secoué ce petit monde, de la transition à la lutte contre l'ETA. En revanche, inutile de chercher une analyse et une mise en parallèle avec les organisations des autres pays. La grave question du manque d'indépendance des espions espagnols vis à vis du pouvoir politique n'est même pas évoquée.

Enfin, l'éditeur n'a pas été à l'auteur d'un livre qui se veut une source d'information exploitable. Non seulement il a oublié les titres courants (!) et ne s'est pas donné la peine de créer un index, mais il a accepté la bibliographie fournie par l'auteur qui est un monument d'indigence. On y trouve dans ce capharnaüm des ouvrages dont le lien avec le sujet sont pour le moins tenus comme la Véritable histoire des taxis de la Marne d'Henri Carré (Paris, 1921) mais les livres cités dans les notes en bas de page et qui constituent la source principale de l'auteur brillent par leur absence comme celui de R. Martin Villa.



vendredi 2 juillet 2010

Le crime de guerre oublié du maréchal Leclerc

Le général Leclerc photographié en Alsace quelques semaines avant l’exécution des douze blessés français de la Waffen-SS par des hommes sous ses ordres.


Pour vous donner envie d'acheter et de lire l'ouvrage aux éditions Grancher d'Eric Lefèvre (né en 1949, spécialiste de l’histoire militaire de la Seconde Guerre mondiale, il a publié une quinzaine d’ouvrages) et du journaliste Olivier Pigoreau, je vous invite à lire cet article publié voici quelques années dans les colonnes d'Aventures de l'histoire par Eric Lefèvre.

Un crime de guerre commis par une figure légendaire de la France gaulliste.


Rendez-vous tragique à Bad-Reichenhall


L’exécution par la 2e DB de douze soldats de la division « Charlemagne », le jour même de la capitulation allemande de 1945, constitue un épisode bien mineur d’un conflit qui a coûté tant de millions de morts. Elle suscite pourtant la gêne car elle est associée à la figure légendaire du futur maréchal Leclerc. Cette exécution est devenue le symbole d’une guerre civile dont l’issue dépendait de l’affrontement d’armées étrangères. Le fait que des Français en uniforme américain furent amenés à fusiller des Français en uniforme allemand n’en est-il pas la tragique illustration ? Cette affaire a également suscité bien des interrogations. Qu’en est-il à ce jour ?

A Bad Reichenhall, près de son PC, le général Leclerc interroge les douze Français en uniforme allemand. La tension est vive, les propos échangés acerbes.

En ce 7 ou 8 mai 1945, vers 17 h, trois pelotons d’exécution abattent l’un après l’autre trois groupes de quatre Français en uniforme allemand, à une ou deux exceptions près celui des Waffen-SS. Chacun de ces pelotons a été fourni par une section de combat – celles des sous-lieutenants Florentin, Bell et Morvan – de la 4e compagnie du ler bataillon du Régiment de marche du Tchad (RMT), corps organique de la 2e DB. Une compagnie formée à partir d’un escadron porté FFI recruté à Paris en 1944. Pour l’exécution a été choisie une petite clairière jouxtant le chemin de Kugelbach, sur le territoire de la commune de Karlstein, limitrophe de la petite ville de Bad-Reichenhall, en Haute-Bavière, non loin de l’Oberzalberg.
Ces douze Français appartiennent à la 33e Waffen-Grenadier-Division der SS « Charlemagne » (française n°l) et tous ou presque au régiment de circonstance du SS-Obersturmbannführer Hersche. Il est parti cinq semaines plus tôt du camp de Wildflecken, en Franconie, pour rejoindre le reliquat de la division rassemblé dans le Mecklembourg après avoir échappé au chaudron de Poméranie, où les unités françaises ont été décimées. Intégrant lui-même quantité de rescapés de ces combats, quelquefois blessés, ce régiment de 1 200 hommes a dû finalement prendre le chemin du Sud. A la suite de quelques nouveaux combats livrés par nécessité contre les troupes américaines, il a été dispersé en Bavière, la plus grande partie de ses unités parvenant à gagner à pied la province de Salzbourg, voire à franchir le Brenner. Les douze hommes se sont-ils trouvés séparés des éléments étoffés du régiment Hersche qui, après s’être battus à Moosburg, rattachés à la SS-Grenadier-Division « Nibelungen », seront faits prisonniers près de Lofer, à 20 km au sud-ouest de Bad-Reichenhall ? C’est le cas indiscutable de la majorité d’entre eux.
Avant de tomber sous ces balles fratricides en chantant la Marseillaise, sinon en criant « Vive la France ! », dans une atmosphère très pénible quoique de grande dignité, ils ont tous – à une seule exception – été confessés sur les lieux mêmes par l’aumônier d’une autre unité de la 2e DB, le groupe d’artillerie Xl/64e RADB. Ce prêtre, le sous-lieutenant Maxime Gaume (1911-1995), spécialement désigné pour les assister, leur a donné la communion et a recueilli les lettres, écrites sur l’heure au crayon, que neuf d’entre eux souhaitaient adresser à leurs familles. Toutefois, on lui conseillera d’attendre pour les envoyer et il ne les postera pas avant février 1946.

Le caractère tragique de leur situation se lit dans le regard des vaincus qui seront fusillés quelques heures plus tard par des compatriotes. De gauche à droite : le lieutenant Krotoff, le sous-lieutenant Briffaut (au premier plan, en uniforme de la Wehrmacht) et le sous-lieutenant Daffas (regardant le photographe).

Il restera marqué par cette tragédie sa vie durant. Sur ordre, les cadavres furent laissés sur place, tels qu’ils étaient tombés. Le père Gaume interviendra quand même auprès des troupes américaines pour les faire enterrer. Des tombes individuelles, surmontées de croix de bois, seront creusées quelques jours plus tard dans la clairière, puis, dit-on, bénies par un aumônier américain. Malheureusement, quand on exhumera les douze fusillés le 2 juin 1949 pour les transporter dans une tombe commune du cimetière communal Sankt-Zeno de Bad-Reichenhall, seuls les trois officiers pourront être identifiés, deux des croix seulement portant un nom selon le maire de Bad-Reichenhall (l’âge indiqué s’applique à la date du décès) :
— le W-Obersturmführer (lieutenant) Serge Krotoff, 33 ans, domicilié à Paris ;
— le W-Untersturmführer (sous-lieutenant) Raymond Daffas, 37 ans, de Paris également (1) ;
— le W-Untersturmführer Paul Briffaut, 26 ans, de Nice (démobilisé en décembre 1944, en conservant son uniforme de la Wehrmacht précédemment porté dans la LVF).
Un quatrième fusillé, puis un cinquième seront ultérieurement identifiés grâce aux lettres adressées à leurs familles :
— le W-Grenadier Raymond Payras, 22 ans, de Touget (Gers) ;
— le W-Unterscharführer (sergent) Jean Robert, 30 ans, de Nantes.
Parmi les sept autres, restés jusqu’à maintenant inconnus, l’on trouve semble-t-il un seul sous-officier.
Ce sont là les faits avérés. A tous autres égards, quoi que l’on ait pu affirmer ou écrire jusqu’à maintenant sur cette affaire – et l’on ne s’en est pas privé, quitte à déformer les faits de part et d’autre, à faire montre d’une imagination incontrôlée ! – l’on manque de certitudes, l’on est parfois réduit aux hypothèses. C’est bien sûr, comme souvent, le lot de sources contradictoires, aggravées par un inévitable aspect passionnel.



Pour l’exécution voulue selon toute vraisemblance par Leclerc (médaillon), a été choisie cette petite clairière jouxtant le chemin de Kugelbach, sur le territoire de la commune de Karlstein, limitrophe de la petite ville de Bad-Reichenhall, non loin de l’Oberzalberg.


Quand et comment les douze hommes sont-ils devenus les prisonniers de la 2e DB ?

Signalons, pour mémoire, que selon un enquêteur allemand officieux, les douze hommes, d’abord rassemblés dans un hôpital, se seraient rendus le 6 mai à des unités américaines ne pouvant qu’appartenir à la 3e division d’infanterie US. Internés avec des prisonniers allemands dans la caserne des chasseurs de montagne de Bad-Reichenhall, ils s’en seraient échappés en apprenant la présence de troupes de Leclerc dans la ville et, dénoncés par des paysans, auraient été capturés dans un petit bois proche par des unités non identifiées de la 2e DB, a priori la veille de leur exécution.
Pour le père Gaume, par contre, ils se sont rendus aux Américains (2) le matin même du drame et ont immédiatement été remis à l’EM de la division, qui, selon lui encore, s’en est trouvé bien embarrassé. La teneur de la lettre que l’un des trois officiers fusillés a rédigée pour sa femme l’après-midi de l’exécution, dans la clairière même – « Je me suis rendu ce matin aux Américains » – confirme cette dernière version et ne peut que clore ce premier débat.

Une exécution des plus sommaires ?

L’on avance généralement que cette exécution présentait un caractère des plus sommaires. Mais l’on a aussi écrit qu’elle était consécutive à une décision de justice. Or, non seulement la justice militaire divisionnaire du commandant Henriquet était restée avec la base à Dießen, au sud-ouest de Munich, à 125 kilomètres de là, mais encore, le tribunal militaire constituant son organe aurait-il eu le pouvoir de prononcer des condamnations à mort immédiatement exécutoires à l’encontre de prisonniers de guerre, il est vrai avant tout considérés comme traîtres en vertu des nouveaux textes entrés en vigueur en France ?
Près de son PC à Bad-Reichenhall même, le jour même de l’exécution, le général Leclerc, commandant la 2e DB, s’est entretenu avec les prisonniers, comme en témoignent les photos prises par un reporter du service cinéma des armées présent sur place. Il est attesté que les propos échangés furent vifs, le général reprochant aux pitoyables vaincus de porter l’uniforme allemand, l’un d’eux lui rétorquant qu’il se trouvait bien lui-même en uniforme américain… Peut-être était-il particulièrement excédé ce jour-là, tant par l’ordre impératif d’évacuer la région, donné par ses supérieurs américains, que par leurs remontrances – faites notamment par le Major-General Frank W. Milburn (3), commandant le XXIe corps US auquel était rattachée la 2e DB – quant aux pillages immodérés imputables aux troupes françaises. Et puis le caractère passionné de ce croisé, engagé corps et âme dans une impitoyable guerre civile dès 1940 en A-EF, ne pouvait qu’être aiguillonné à la vue de ces compatriotes en tenue ennemie, les tout premiers que ses hommes et lui rencontraient depuis leur arrivée en Allemagne, moins de quinze jours auparavant. Ignorait-il que le gouvernement du maréchal Pétain avait légalement autorisé leur enrôlement ? Une circonstance nécessairement aggravante à ses yeux, sans nul doute.
Payés pour savoir de quelle façon l’épuration s’était déroulée en France à l’été et à l’automne précédents, les soldats de la 2e DB étaient de toutes façons prêts, dans leur majorité, à considérer comme normale toute solution extrême.

La date de l’exécution : le 7 ou le 8 mai ?


Rappelons qu’avant que des éléments de la 2e DB n’y parviennent, Bad-Reichenhall, située dans le secteur tenu par la 352e Volksgrenadierdivision (zbV) allemande du Generalmajor O.E. Schmidt, a d’abord été atteinte et traversée par le 7e Rl de la 3e DI US le 4 mai.
L’on sait, grâce à l’étude minutieuse des journaux de marche de la 2e DB, que des unités de cette division cantonnent d’une façon permanente dans la ville cinq jours durant, du 5 mai 1945 après-midi au 10 mai après-midi, les unités présentes se relayant jusqu’au 8 pour aller visiter le Berghof, la propriété d’Adolf Hitler où les hommes de Leclerc sont arrivés les premiers, à seulement une vingtaine de kilomètres.
Le père Gaume écrira aux familles des fusillés que l’exécution a eu lieu le mardi 8 mai, jour qui marque l’annonce au monde, à 15 h, de la capitulation sans conditions signée la veille, les hostilités ne prenant fin qu’à 23 h 01, heure d’Europe centrale. Cette capitulation ne sera ratifiée que le 9 mai à 0 h 15 à Berlin. Le rapport du 6 décembre 1948 d’une nouvelle enquête effectuée sur la demande du maire par le Polizei-Oberkommissar Aigner auprès des témoins allemands confirme la date du 8, qui sera finalement inscrite sur la tombe commune et la plaque du monument aux morts de Bad-Reichenhall.
Pourtant, si l’on en croit les documents joints aux JMO de la 2e DB, ce jour-là, à l’heure indiquée par tous les témoins, 17 h, le gros du l/RMT (chef de bataillon Fosse), et notamment la 4e compagnie qui procéda aux exécutions, a évacué la ville depuis la fin de la matinée, conformément aux ordres du XXIe corps d’armée US ! Ces derniers visaient toutes les autres unités de la 2e DB cantonnées soit dans la région de Berchtesgaden, soit à Bad-Reichenhall et ses alentours (dans le second cas, outre le l/RMT, le QG divisionnaire sans ses services restés à Dießen, la 97e compagnie de QG, la compagnie mixte de transmissions 97/84, le groupe d’artillerie Xl/64e RADB, la batterie hors rang et la 1re batterie du 22e groupe colonial de forces terrestres antiaériennes). La journée du 8 est d’ailleurs marquée par une intense activité, totalement mobilisatrice, près de mille véhicules de la 2e DB traversant la ville, la quittant ou s’y arrêtant. Les départs s’échelonneront jusqu’au 10.
Le lundi 7 mai, en revanche, le l/RMT, cantonné du 6 au 8 à Bayerisch Gmain – commune limitrophe – reste disponible toute la journée, chargé de la sécurité de la ville de Bad-Reichenhall et prenant à cette fin ses ordres du 3e bureau divisionnaire (chef d’escadron Mirambeau puis lieutenant-colonel Le Comte).
De surcroît, l’on sait parfaitement dans la journée du 7 que la capitulation allemande a été signée à Reims dans la nuit, à 2 h 41. L’EM de Leclerc l’apprend par télégramme dès le matin et Radio-Flensburg l’annonce dans l’après-midi à toute l’Allemagne par la voix du comte von Krosigk. Ajoutons que le groupe d’armées G allemand avait déjà capitulé, les hostilités ayant pris fin dans sa zone d’action le 6 mai à midi.
Par suite de ces divers constats, à moins que le départ de la 4/RMT n’ait été différé sans trace écrite, il y a tout lieu de croire que l’affaire s’est déroulée le 7 mai (4). Sans doute y a-t-il eu alors confusion dans les mémoires des témoins et acteurs liant celle-ci au jour de la capitulation, du fait que seul le 8 mai est resté pour l’Histoire la date officielle de la fin de la guerre.

Découvrir un responsable ?


Il est habituellement suggéré, sinon affirmé, même par des anciens de la 2e DB, que c’est le général Leclerc en personne qui aurait pris d’autorité, ou du moins provoqué la décision de faire fusiller les douze prisonniers, sommairement ou dans des formes plus ou moins légales. Le capitaine Georges Fouquet, l’aumônier divisionnaire, devra admettre, quitte à en faire porter la responsabilité par un officier dont il ne se remémore plus le nom, que la décision a de toutes façons été prise à l’état-major de la 2e DB, ce que confirme le père Gaume. Il ressort du témoignage particulièrement fiable d’un simple soldat de la 97e compagnie de QG, qui adressera des photos à l’une des familles, que personne ne l’ignorait alors !
Le fait qu’un aumônier ait été spécialement désigné pour assister les « condamnés » semble l’attester, connaissant les convictions religieuses affichées du commandant de la 2e DB. D’autant que le père Gaume – il l’a affirmé – fut investi de cette mission par le père Fouquet, de l’état-major.



Il semble par ailleurs établi qu’un contact radio a été assuré préalablement avec Paris au sujet des douze hommes (5), suivi, selon certains, d’une réponse évasive permettant toutes les interprétations. Selon l’aspirant Yves C. (mort en 2000), par contre, alors chef du peloton de protection de QG à qui leur garde aurait été confiée la veille de l’exécution, ordre aurait alors été donné de Paris de les rapatrier en France pour les juger (6). Le lendemain, toujours selon le même, des hommes du RMT, munis d’un ordre de transport du 3e bureau, auraient pris en charge les prisonniers. Leur exécution aurait finalement été décidée par le commandant de la 4e compagnie, le lieutenant Maurice Ferrano (1909-1981), un vieux dur à cuire, compagnon de la Libération depuis 1942 et récemment fait chevalier de la Légion d’honneur, qui se serait ensuite fait sérieusement « laver la tête » par le général Leclerc. Hélas ! S’il est certain que le lieutenant Ferrano organisa l’exécution sur place et désigna les pelotons, la version de l’aspirant C. contredit singulièrement les témoignages les plus solides sur les points essentiels. Elle doit néanmoins être versée au dossier, car elle est la seule à vouloir décharger le commandant de la 2e DB de toute responsabilité.

Eric Lefèvre


La plaque apposée en 1963, photographiée par l’auteur en 1972, au cimetière Sankt-Zeno. Le nom de Payras, oublié à l’origine, a été rajouté.


1. Tôt reconnu par d’anciens officiers de la « Charlemagne » sur les photos prises, mais identifié par erreur comme Robert Stoffart sur la tombe commune du cimetière Sankt-Zeno ayant accueilli les corps en 1949, puis Robert Doffat sur la plaque posée sur le monument aux morts de la Première Guerre du même cimetière, près duquel les restes des fusillés ont été transportés en 1963.
2. Vraisemblablement au 9th Field Artillery Battalion de la 3e division d’infanterie US, cantonné à Bad-Reichenhall à partir du 5 mai. Ce sont probablement des éléments de ce groupe d’artillerie qui les enterreront.
3. Il est venu en personne au QG de Leclerc le 8 mai à 10 heures en compagnie de deux autres généraux. Son chef d’état-major s’était déjà présenté la veille.
4. La lettre de l’un des fusillés déjà citée n’est pas datée et ne permet donc pas de trancher cet autre débat.
5. La liaison radio directe avec Paris était assurée dès le 6 mai par la CMT 97/84 au moyen d’un poste SCR-193, puis d’un SCR-199.
6. A cette date, en vertu de textes rétroactifs, ils étaient justiciables des cours de justice départementales, inculpés de trahison, d’intelligence avec l’ennemi ou d’atteinte à la sûreté extérieure de l’Etat.


Voici la présentation de l'ouvrage par l'éditeur :


Le 8 mai 1945, alors que les armes se sont tues dans une Europe dévastée par cinq années de guerre, douze Français portant uniforme allemand sont fusillés sans jugement à Bad Reichenhall, en Allemagne, par d'autres Français, engagés dans la 2e division blindée du général Leclerc. Qui donna l’ordre ? Comment se sont déroulés les faits ? Qui sont ces fusillés ? Comment s'étaient-ils retrouvés là ? Qu'ont-ils dit à Leclerc lorsque celui-ci les a interrogés quelques heures avant l'exécution ? Soixante-cinq ans après les faits, ces questions et bien d'autres restaient sans réponse. Denis Lalanne avait fait des événements de Bad Reichenhall, le cœur de son roman Le Devoir de Français, adapté à la télévision en 1978. Jean-François Deniau évoquait les faits dans son roman Un héros très discret, adapté au cinéma par Jacques Audiard en 1995. Les auteurs passionnés par la Seconde Guerre mondiale ont fouillé cette période difficile pour comprendre comment cette exécution avait pu avoir lieu. Bad Reichenhall nous parle de cette guerre civile qui mit aux prises les enfants d’un même peuple dans une lutte sans pitié. Elle nous parle de notre histoire.

Ce livre donne les clefs de trois ans d’enquête sur une des énigmes les plus délicates et tragiques de la Seconde Guerre mondiale.

Éric Lefèvre est un spécialiste de la Seconde Guerre Mondiale et des Français engagés dans l’armée allemande.

Olivier Pigoreau est journaliste, il s’agit de son premier ouvrage.

150x240 - 300 pages - cahier photo noir et blanc 8 pages

Bravo Merchet


Je n'en reviens pas. Le spécialiste en questions militaires de Libération ose parler d'un livre qui dérange.

Courageux, décapant, il m'étonne. Je finis pas croire que son traitement de l'affaire du légionnaire décédé accidentellement à Djibouti relève de l'erreur de parcours.

Son post, consacré à la parution de l'ouvrage d'Eric Lefèvre et d'Eric Pigoreau sur Bad Reichenhall, est un modèle du genre. Comment aborder honnêtement des faits qui dérangent. Je me souviens d'une conservation avec un journaliste du Figaro, dont je tais le nom volontairement, préparant un grand article à la gloire du Maréchal en question, qui m'a dit froidement que ce crime de guerre n'en était pas car les victimes étaient de mauvais Français.

Fermez le ban et lisez Libération.


Bad Reichenhall : un livre revient sur un "épisode tragique" de la 2ème DB de Leclerc

Le 8 mai 1945, douze Waffen SS français sont fusillés par d'autres soldats français, appartenant à la 2ème DB du général Leclerc. L'affaire se passe non loin de Bad Reichenhall, une bourgade bavaroise au sud de l'autoroute Munich-Salzbourg. L'affaire est connue des spécialistes, mais elle l'est peu et mal, en général rapidement évoquée dans les biographies de Leclerc. Pour la première fois, un livre très bien documenté est entièrement consacré à cet "épisode tragique". Il va faire grincer des dents. Ce fut le cas des miennes...

Disons le d'entrée : les préférences des deux auteurs ne sont pas, loin s'en faut, celles du "pacha" de ce blog, admirateur inconditionnel de l'épopée de la France libre. Eric Lefèvre fut un proche collaborateur de l'écrivain d'extrême-droite Jean Mabire et Olivier Pigoreau est un jeune journaliste passionné par le PPF de Doriot. Ils n'aiment visiblement guère les Gaullistes de la France libre et sont plus attirés par le destin des 15.000 Français qui revêtirent volontairement l'uniforme nazi. Mais, pour y avoir consacré deux ans d'enquête, ils connaissent l'épisode de Bad Reichenhall mieux que quiconque. Et les faits sont là, assurémment dérangeants.

Au pied du nid d'aigle d'Hitler, les combats ont cessé la veille. La guerre est finie. Le PC de Leclerc est installé à Bad Reichenhall. Des soldats américains, qui les avaient fait prisonniers, viennent déposer douze hommes, des Waffen SS, dans la rue où est installé l'état-major de la 2ème DB. Stupeur chez les Français : ces SS sont, eux aussi, français - issus de la Division Charlemagne ! Leclerc passe les voir quelques minutes et une altercation a lieu. Alors qu'il leur demande s'ils n'ont pas honte de porter l'uniforme allemand, l'un des prisonniers fait remarquer au libérateur de Paris qu'il porte bien, lui, l'uniforme américain. C'en est trop. Leur destin est scellé. Dans l'après-midi du 8 mai, ils sont fusillés par la 4ème compagnie du Régiment de marche du Tchad (RMT), dans une clairière proche de Bad Reichenhall. Les corps sont abandonnés là et ne seront inhumés que trois jours plus tard par l'armée américaine.

Qui sont-ils ? Seuls cinq des douze ont pu être identifiés. Leur vie, chaotique et misérable, est longuement racontée dans le livre : tous sont des volontaires, parfois issus de la LVF, qui voulaient combattre le "bolchevisme" au nom de "l'Europe nouvelle". Dans quel cadre juridique ont-ils été fusillés ? Apparamment, cela n'a pas été une question trop longtemps débattue. S'agit-il d'une méprise, de la mauvaise compréhension d'un ordre ? Les auteurs n'y croient pas et il pointe la responsabilité directe du général Leclerc. D'autres historiens contesteront sans doute leur interprétation, mais ils devront le faire à partir des éléments avancés dans ce livre.

Après guerre, cette affaire a fait l'objet de plusieurs enquêtes, dont une confiée à la Gendarmerie nationale. Enquêtes enterrées pour ne pas porter atteinte à la mémoire de Leclerc, concluent les auteurs. Les circonstances de la mort du Maréchal en 1947 sont évoquées, notamment parce qu'un "scénario", auquel les auteurs n'adhèrent pas, expliquerait l'accident de l'avion de Leclerc par un sabotage d'un proche d'un SS français fusillé à Reichenhall...

L'endroit de la fusillade est devenu un lieu de pélérinage pour les nostalgiques du IIIème Reich ; on apprend ainsi que Franz Schonhuber, leader (aujourd'hui décédé) des Republikaner allemands, un temps allié du Front national, en fut l'un des plus actifs promoteurs.

On accusera sans doute les auteurs de ressortir une histoire nauséabonde à des fins politiques. Peu importe : l'historien ou le journaliste ne doit pas se demander quelle cause sert tel ou tel fait qu'il relate- et qu'il faudrait, c'est selon, exposer ou bien taire - , mais uniquement de savoir si les choses sont vraies ou fausses. Et, en l'occurrence, elles semblent vraies.

L'image de Leclerc en ressort-elle salie, abîmée ? Philippe de Hauteclocque n'était pas un saint. C'était un homme, avec ses faiblesses - ses péchés, aurait dit ce grand chrétien - au premier chef desquels la colère et pas mal d'orgueil. Ce que montre surtout ce livre, c'est d'abord que la guerre n'est jamais une jolie chose, même si la cause pour laquelle on la fait est, sans l'ombre d'un doute, la bonne.