samedi 15 mars 2008

Regarder mourir le dollar

La sécurité d'une monnaie n'est pas forcément dans le billet.


Paul Craig Roberts fut assistant du ministre des Finances durant le premier mandat du président Reagan. Il a été rédacteur adjoint au Wall Street Journal. Il a tenu de nombreuses postes universitaires, dont une chaire de professeur à la fondation William E. Simon, au Center for Strategic International Studies, à l'université de Georgetown, et a été chargé de recherche supérieure à la Hoover Institution et à l'université de Stanford. Il a été décoré de la légion d'Honneur par le président François Mitterrand. Il est auteur de Supply-Side Revolution : An Insider's Account of Policymaking in Washington, de Alienation and the Soviet Economy et de Meltdown: Inside the Soviet Economy, et est coauteur avec Lawrence M. Stratton de The Tyranny of Good Intentions : How Prosecutors and Bureaucrats Are Trampling the Constitution in the Name of Justice. Il livre dans ce court texte quelques impressions sur le sort de la devise américaine.

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Toute ma vie, j'ai regardé mourir le dollar.
Je pense parfois que je lui survivrai.


​​​​Quand j'étais jeune homme, l'or était à 35 dollars l'once. Aujourd'hui une pièce d'or d'une once [1], comme la Canadian Maple Leaf, coûte plus de 1.000 dollars.

​​​​Notre monnaie était en argent. Nos pièces de 10, 25 et 50 cents [2] avaient un pouvoir d'achat. Même la pièce de 5 cents permettait d'acheter une barre de friandise, un cône de crème glacée ou une boisson gazeuse, et un penny permettait d'acheter du chewing-gum ou des bonbons. Si un gosse pouvait collecter cinq bouteilles de boissons gazeuses jetées sur un chantier de construction, les 2 cents de consigne des bouteilles suffisaient pour le film du samedi après-midi. L'essence valait 32 cents le gallon [3]. La valeur d'un dollar suffisait le samedi soir.

​​​​Nos pièces de monnaie contenait 90% d'argent. Parfois, les gens fondaient des pièces pour faire des cuillères en argent, connues sous le nom de Coin Silver, qui peuvent encore être trouvées chez les antiquaires. A l'exception du demi dollar à taux d'argent réduit (40%) de Kennedy qui a eu cours jusqu'en 1970, 1964 fut la dernière année de la monnaie d'argent aux États-Unis. Le penny de cuivre a disparu en 1982. En tant qu'adjoint au ministre des Finances, je me suis opposée à la disparition de la dernière commodity money [4] des États-Unis, mais je n'ai pu empêcher celle du penny de cuivre.

Durant la Seconde Guerre Mondiale (1941-1945), le nickel [5] a été détourné de la monnaie pour la guerre, et l'hôtel de la monnaie des États-Unis émettait en temps de guerre un nickel d'argent (35%).

​​​​Il n'est pas facile de trouver des objets à acheter aujourd'hui aux États-Unis avec des pièces de monnaie, mais les pièces d'argent de même valeur nominale ont toujours du pouvoir d'achat. La pièce de 10 cents de ma jeunesse contient la valeur de 1,42 dollar d'argent au prix actuel de ce métal. La pièce de 25 cents a une valeur de 3,55 dollars, et celle de 50 cents contient pour 7,10 dollars d'argent. Le dollar d'argent vaut 15,2 fois sa valeur nominale. Ce n'est que la valeur de l'argent des pièces de monnaie, qui pourraient valoir beaucoup plus en fonction de leur état et de leur rareté. L'argent du nickel des temps de guerre vaut 1,10 dollar, soit 22 fois sa valeur nominale. Même le penny de cuivre vaut 2,5 cents.

​​​​Quand j'étais jeune homme, j'aimais les voyages en Europe. Quatre marks allemand ou francs suisses étaient changés contre un dollar. L'euro, qui équivaut aujourd'hui au mark ou au franc suisse, coûte 1,55 dollar.

​​​​Les gens qui n'ont pas accumulé beaucoup d'expérience ont une faible idée du pouvoir corrosif de l'inflation « acceptable. » Contrairement à l'or et à l'argent, la monnaie fiduciaire n'a aucune valeur intrinsèque. Quand l'argent est créé plus vite que les biens et les services, cela fait monter les prix en faisant ainsi baisser la valeur de l'argent. Quand les monnaies échangées librement sont imprimées à l'excès ou en inflation, le déficit budgétaire et le déficit commercial repoussent leur taux de change établi, le prix des importations monte tandis que la valeur de change de la monnaie diminue.

​​​​Aujourd'hui, les États-Unis, fortement tributaire des importations, sont à la merci d'une double inflation, celle de la création monétaire intérieure et celle de la baisse de la valeur de change du dollar.

​​​​Le taux d'inflation aux États-Unis est environ deux fois plus élevé que celui indiqué dans le rapport du gouvernement. Afin d'empêcher l'augmentation des paiements de la Sécurité sociale, le gouvernement a modifié sa façon de mesurer l'inflation. Dans l'ancienne méthode, le taux d'inflation mesurait le coût nominal d'un standard de vie défini. Si le prix du steak montait, le taux d'inflation montait avec. Aujourd'hui, si le prix du steak augmente, le gouvernement présume que les gens l'échange contre des hamburgers. L'inflation ne monte pas. À la place, c'est l'étalon du niveau de vie qui descend.

​​​​Ce n'est là qu'un des nombreux moyens par lequel le gouvernement nous embobine.

​​​​Avec la valeur de l'euro en dollar passant à travers le plafond, les vacances en Europe sont beaucoup plus coûteuses aujourd'hui que par le passé. Grâce à la Chine, jusqu'ici les Étasuniens ont été protégés des effets du déclin de la valeur du dollar. Notre plus grand déficit commercial est avec la Chine. Les prix des biens chinois n'ont pas augmenté, parce que la Chine maintient sa monnaie arrimée au dollar. Quand le dollar descend, la monnaie chinoise le suit, empêchant ainsi la hausse des prix.

​​​​La démission de l'amiral William Fallon, commandant militaire des États-Unis au Moyen-Orient, est sans doute le signe d'une attaque du régime Bush contre l'Iran. Fallon avait déclaré qu'il n'y aurait pas d'attaque étasunienne contre l'Iran durant son mandat. Comme Fallon n'avait aucune raison de démissionner, il n'est pas tiré par les cheveux de conclure que Bush a éliminé un obstacle à la guerre avec l'Iran.

​​​​Les États-Unis sont déjà très sollicitées, tant militairement qu'économiquement. Une attaque contre l'Iran serait susceptible d'être la goutte qui fait déborder le vase.

1- Une once = 28,35 grammes
​​​​2- Cent = penny, centime ou centième de dollar.
​​​​3- Un gallon = 3,785 litres aux USA.
​​​​4- Commodity money désigne les pièces de monnaie possédant une valeur intrinsèque, due à leur matière.
​​​​5- Le Nickel est une pièce de 5 cents.




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