Les plus curieux trouveront les raisons de mon déplaisir sur les posts de ce blog qui lui son consacrés.
En revanche, je dois à l'honnêteté d'écrire que ses analyses sur les questions militaires révèlent une grande compétence et il m'arrive d'être en accord avec lui.
Ce qu'il a écrit sur l'avenir immédiat de la défense en France est frappé au sceau du bon sens.
Mon opinion : replions-nous, mais en bon ordre !
A la guerre, le repli n'est certes pas la manoeuvre le plus glorieuse ni la plus enthousiasmante. Mais elle est parfois indispensable, tous les grands capitaines le savent. Comme ils savent que, de toutes les manoeuvres, elle est la plus difficile à conduire. Car, en la matière, toute erreur se paye par la déroute.
Au plan militaire, la France est aujourd'hui contrainte au repli. L'état des finances publiques dicte sa loi. Quelles que soient les incantations et sauf (mauvaise) surprise stratégique de taille, notre pays ne consacrera pas à sa défense plus de 1,5 à 2% de son produit intérieur brut (PIB) et ce, à terme prévisible. C'est peu, comparé au 4% des années 70, mais c'est ainsi. Quel dirigeant politique, quel parti susceptible de gouverner la France propose d'augmenter significativement les dépenses militaires ? Aucun. Il faut donc faire avec.
La France se trouve dans la même situation que le Royaume-Uni des années 50 et 60. Les Britanniques se sont alors repliés, abandonnant leur politique indépendante au niveau mondial ("à l'est de Suez"), en se mettant à la remorque des Etats-Unis au plan nucléaire, avec les accords de Nassau. Les circonstances sont différentes, mais cette option est aujourd'hui possible pour la France.
Notre retour dans l'Otan pousse d'ailleurs pleinement dans ce sens. Nous deviendrons l'un des meilleurs éléments de l'Alliance, avec une armée capable d'intervenir efficacement aux côtés des Américains. Les militaires, en tant que professionnels respectés, pourraient y trouver satisfaction. Les industriels de l'armement paieraient sans doute un prix très lourd à ce choix, avec la perte définitive de maitrise d'oeuvre de programmes complexes. Nous serions aspirer dans la course à l'interopérabilité avec les Américains, course qui nous épuisera rapidement. Quand aux citoyens français, ils devraient renoncer à ce que leur pays joue un rôle indépendant sur la scène mondiale.
Il existe une autre voie. Tout aussi douloureuse, sans doute, mais qui peut préserver l'avenir. C'est celle du repli en bon ordre, dont le seul objectif doit être de conserver des capacités de remontée en puissance.
La défense d'un pays marche sur deux jambes : les forces armées et l'industrie d'armement. Il est impératif de maintenir l'équilibre entre les deux. Avoir une bonne armée, bien entraînée, ne sert pas à grand chose si l'on est incapable de l'équiper de manière autonome. Si ce n'est, peut-être, à jouer les supplétifs.
La priorité devrait donc être de conserver les capacités techniques, humaines, et industrielles - quitte à réduire les forces. Ce discours ne plaira pas à tout le monde, je le sais. Il est pourtant essentiel que la France préserve ses savoirs-faire dans les domaines stratégiques. Qu'elle les conserve mais a minima, puisque nous n'avons pas le choix.
Prenons l'exemple du Rafale. Si l'on veut conserver au XXIème siècle la capacité de construire des avions de combat sur le sol européen, il faut 1) maintenir l'activité des bureaux d'études ; 2) produire juste assez d'avions pour que les ingénieurs et les ouvriers des chaines de fabrication gardent leur savoir-faire ; 3) gagner des contrats à l'export. Décrocher un contrat pour le Rafale au Brésil et aux Emirats arabes unis est, pour la France, une affaire considérablement plus importante qu'une amélioration de la situation en Afghanistan. Ce qui est vrai pour les avions de combat l'est dans d'autres domaines. Il faut les lister soigneusement en partant, non pas de l'idéal, mais de la situation réelle de l'industrie française - qui est ne l'oublions pas l'une des toutes premières du monde.
Et les forces ? Là encore, la priorité absolue devrait être de conserver les savoirs-faire. Avec des minimums quantitatifs, mais le souci de maintenir la qualité. On s'orienterait vers ce que d'aucuns appellent une "armée d'échantillons". Prenons l'armée de terre : A-t-on besoin de trois bataillons de chasseurs alpins ? D'une entière brigade parachutiste avec quatre régiments d'infanterie para ? De quatre régiments de chars lourds ? Ce qui est vital - car nul ne sait quelle forme prendront les menaces de demain, c'est, par exemple, de maintenir un haut savoir faire dans le combat de montagne, de maîtriser les techniques d'assaut par air et conserver des capacités blindées.
Le génie se consacre beaucoup aux engins explosifs improvisés, ce que personne n'avait anticipé il y a dix ans. Qui peut affirmer que les capacités de franchissement (ponts, etc) ne deviendront pas demain essentielles ? Donc, conserver, sous forme d'échantillons, toutes ces techniques si durement, si chèrement, acquises. La remontée en puissance est aussi une question d'hommes, de ressources humaines, de capacités à les recruter et à les former - la réserve a sans doute là un rôle à jouer.
Pour les forces comme dans l'industrie, il existe des effets de cliquet. On peut facilement abandonner quelque chose, mais, ensuite, le retour est quasiment impossible. Regardez les Britanniques et le porte-avions : ils ont presque tout inventé, le pont oblique, la catapulte, le miroir d'appontage. Et aujourd'hui, ils ne savent plus faire. Souhaite-t-on les imiter?
Ce repli, si douloureux soit-il, est-il possible ? Sans doute et pour une raison simple : le niveau de la menace. Celle-ci est historiquement faible. Jamais notre territoire n'a été, comme il l'est aujourd'hui, autant à l'abri d'une invasion armée. Les stratèges décrivent même notre pays comme étant devenu une île, sans menace terrestre à ses frontières. C'est un luxe que nos anciens auraient aimé connaître. Profitons-en, mais intelligemment. Rien ne dit que cela durera.
La seule menace réelle contre le territoire et ses habitants - et donc la raison d'être de la défense - provient du terrorisme. C'est l'affaire des services de renseignement, de la police, de la justice, parfois des forces spéciales. Là, il ne saurait être question de repli.
Pas plus que dans le nucléaire, parce que la dissuasion est l'assurance ultime que jamais plus une catastrophe comme celle de mai-juin 1940 ne se reproduira. Tant d'argent a été dépensé pour doter la France d'une capacité de dissuasion nucléaire crédible, aujourd'hui réduite à son plus bas niveau possible en vertu du principe de "stricte suffisance", qu'il serait franchement insensé d'y renoncer. Car si on le faisait, il faut savoir que ce serait un aller-simple : on ne pourrait plus jamais acquérir une dissuasion nucléaire. Et il faut craindre que, faute de dissuasion, les guerres classiques redeviennent vite d'actualité.
Que faire alors ? Reduire l'interventionnisme à tout crin hors de nos frontières. Replier les opex et profiter de ce désengagement militaire - qui sera douloureux dîplomatiquement - pour mettre en avant des solutions politiques originales en faisant entendre autrement la voix de la France. Que fait-on encore au sud du Liban, au Kosovo, au Tchad ? Et, évidemment, en Afghanistan ? A quelle guerre serait destiné le contingent de 30.000 hommes que l'armée de terre doit tenir prêt, comme le lui demande le Livre blanc ? Est-il indispensable que pouvoir fournir l''équivalent de deux ou trois divisions à une improbable coalition, forcément dirigée par les Etats-Unis ? Une défense pour protéger, à long terme, la France et les Français ou pour jouer aujourd'hui un rôle dans "la famille occidentale" ? Les réponses, on le comprend, sont éminément politiques.