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dimanche 13 juin 2010

Belgique : état des lieux


Belgie barst…
«Crève Belgique… tout un programme en deux mots.


Les élections de ce jour dans l'Etat belge rapprochent cette funeste construction juridique de sa mort annoncée. La possible majorité indépendantiste en Flandre est pourtant de bon augure pour l'avenir des relations entre les habitants des Pays Bas méridionaux, tant francophones que néerlandophones.

Les rapports entre ces deux populations sont empoisonnés depuis la tentative de l'élite gouvernante francophone d'imposer le français à l'ensemble de la toute nouvelle Belgique au début du XIXe siècle.

La révolution des nationalités, suscitée par la Révolution française et l'impérialisme français subséquent, a permis l'arrivée au premier plan du néerlandais dans les Pays Bas méridionaux alors qu'il l'était depuis longtemps dans les Pays Bas du nord.

Les Pays Bas méridionaux ont longtemps fait parti d'un ensemble plurinational dont la langue usuelle était le français. Par exemple, les archives de l'armada des Flandres du roi d'Espagne sont conservées à l'Amirauté de Bruxelles sont en français. L'examen des archives de toute nature révèle un usage très important du français non seulement dans la vie publique, mais aussi privée. J'ai été frappé par la lecture de menus de première communion en français dans des villes parfaitement flamandes.
En dehors des ouvrages de Patrick Villiers, probablement le meilleur historien français de marine en général et des corsaires en particulier (voir son Corsaires du littoral), j'invite mes lecteurs à découvrir l'œuvre de R. A. Stradling, notamment son The Armada of Flanders: Spanish Maritime Policy and European War, 1568-1668. Pour télécharger un chapitre d'essai, ici. Pour un aperçu général, ici. Cet ouvrage représente à mes yeux la quintessence d'un travail d'historien.
Cette présence du français s'explique alors tout comme celle de l'anglais aujourd'hui. La disparition progressive de la langue de Robespierre et de Saint-Just du plat pays est tout aussi naturelle et me semble une bonne chose.

Dans un Etat qui se veut binational, il est paradoxal de contraindre des autorités régionales à abandonner l'usage de la langue du pays pour traiter avec des résidents qui se refusent à l'apprendre. Si un francophone choisit de résider en Flandre, il doit apprendre le flamand. S'il refuse ce geste minimal de convivialité, qu'il aille s'installer en Wallonie.

Pour une fois le quotidien Libération publie un bon reportage de José-Alain Fralon dont la bonne tenue étonne dans un quotidien plutôt abonné aux distribes fransquillonnes d'un Jean Quatremer.

Toutefois, je suis étonné par l'ignorance de ces observateurs étrangers de la dimension historique de cette revanche flamande. Nous en avons assez parlé ici pour que je ne me répète pas,

[Bormsherdenking.jpg]

Commémoration de la mort d'August Borms un des fondateurs du nationalisme flamand moderne.

Seul ce bref rappel :

La grande réussite du mouvement flamand actuel est d'avoir communiqué à l'ensemble de la société flamande cette détestation de la Belgique qui avant n'était l'apanage que des nationalistes. Sans l'aide des Francophones et de leur politique d'épuration ethnique après la Seconde Guerre mondiale, il n'y serait jamais parvenu.

La condamnation à mort de la Belgique a été écrite avec le sang des fusillés des deux guerres mondiales et avec les larmes de rage des familles des victimes d'une répression qui dure encore (pas de loi d'amnistie en Belgique alors qu'en France la première a été votée dès 1947). Lire ce post pour plus de détails. A titre de comparaison, il y eut 94 Français pour 100 000 qui furent emprisonnés pour faits de collaboration pour 596 Belges.



La Flandre à mille temps
L’implosion du royaume de Belgique est-elle pour bientôt ? A la veille des élections générales, voyage chez les Flamands, partagés sur l’avenir de leur pays.


En 1968, des milliers d’étudiants flamands de l’université de Louvain dépavaient les trottoirs et défilaient aux cris de «Walen Buiten !» (Wallons, dehors). Chaque jour, des groupes de choc organisaient des razzias, posant une question aux étudiants. «As-tu soif ?», «Hebt jij dorst ?» en flamand. Ceux qui ne comprenaient pas, ou répondaient dans la langue de l’ennemi, étaient précipités dans les eaux de la Dyle. «Même les bilingues, accusés d’opportunisme, faisaient le plongeon», raconte l’écrivain Conrad Detrez (1). Les Flamands obtinrent satisfaction. Les francophones plièrent bagages pour aller fonder, entre vaches et betteraves, une nouvelle université en Wallonie. Cette «victoire de Louvain» est une étape importante du long combat mené par les Flamands depuis la création du royaume de Belgique en 1830, pour être considérés comme des citoyens à part entière et imposer leur langue à égalité avec le français.

Ce mois de mai, dans la même université, le calme règne. Stan, solide étudiant en droit, sourit : «La vaisselle, c’est hier qu’on se l’envoyait à la figure ! Aujourd’hui, tout va bien. Nous ne sommes pas au Kosovo.» Et pourtant. Dans sa courte histoire, la Belgique n’a jamais paru si proche de l’éclatement. A la veille des élections générales de ce dimanche, les sondages révèlent que près de 45 % des électeurs flamands s’apprêteraient à voter pour des partis séparatistes, dont le plus important, la N-VA (Nouvelle Alliance flamande), populiste de droite, pourrait devenir avec plus d’un quart des suffrages le premier parti de Flandre et de Belgique. Même si un autre sondage a montré que 15 % seulement des Flamands se prononcent pour une scission radicale de la Belgique, la question se pose : l’implosion du royaume est-elle pour bientôt ?

«La géographie ne change pas»
A Louvain, Peterjan Gijs, frêle architecte de 27 ans, évoquait rarement «ces histoires» avec ses amis. Depuis la crise ouverte en avril par la démission du gouvernement, il se sent «vraiment concerné». Si Peterjan trouve «ridicule» l’idée d’«un petit Etat flamand, sorte de Liechtenstein ou de Monaco», il doit constater que «plus personne ne maîtrise ce qui se passe, chacun suit sa logique et s’écarte progressivement de l’autre». «Certains de mes copains, dit-t-il, pourraient même voter pour la N-VA. D’abord parce qu’ils sont déçus par les autres partis, mais aussi parce qu’ils estiment que les francophones de Belgique n’ont jamais fait l’effort de nous comprendre.»

Dans une brasserie de la Grand Place d’Anvers, Georges Timmerman, cheveux ras et barbe de plusieurs jours, pose un regard désabusé sur son pays. A 56 ans, cet ancien journaliste du Morgen, (le Libé flamand), a créé un site Internet d’informations politiques, dénommé Apache, en référence aux voyous parisiens et bruxellois du début du XXe siècle. «Fatigué de la Belgique et de ses querelles incessantes», Georges estime que «la fin de la Belgique ne serait pas la fin du monde et permettrait peut-être de s’occuper enfin des vrais problèmes.» Et les Wallons ? «La géographie ne change pas. Nous sommes déjà voisins, nous le serons encore demain et nous trouverons bien les moyens de nous entendre.»

Dans le quartier branché d’Anvers, Guy «Lee» Thys, 57 ans, est producteur et réalisateur. Chaque matin, en arrivant au bureau, il passe devant une immense affiche du Mépris de Godard. Du mépris, il en est vite question. Guy raconte des années d’humiliation lorsqu’il faisait ses études de cinéma à Bruxelles. «Je ne savais pas si le mot croissant était masculin ou féminin. Par peur de dire : donnez-moi une croissante, et de m’attirer la moquerie des clients, j’en commandais toujours deux.» Guy ne soutient pas la cause séparatiste : «Sans Bruxelles, la Flandre n’est rien», assure-t-il. Erwin Mortier, qui vient de recevoir le principal prix littéraire des Pays-Bas pour son roman Godenslaap (Sommeil des dieux) (2) lui fait écho : «La lutte pour maintenir notre langue dans ce pays a été très dure. Mais ce n’est pas parce que nous reconnaissons la légitimité de ce combat que nous devons automatiquement devenir nationalistes.»

Les artistes et intellectuels, Flamands et francophones, semblent être les seuls à se sentir vraiment à l’aise dans leur no man’s land belge. Ils se reconnaissent dans la boutade surréaliste d’Arno : «La Belgique n’existe pas ? Je sais : j’y habite.»

Même si elle n’est pas du même monde que le chanteur déjanté, Léonie van Tielborgh estime aussi que «l’indépendance de la Flandre, ce n’est pas sérieux». Née en 1940, à moins de 5 km de la frontière des Pays-Bas, cette jolie dame blonde assise dans son superbe appartement qui domine Anvers, a peu d’atomes crochus avec ses voisins du Nord. «Les Hollandais, même si nous parlons la même langue, j’ai quelque chose contre eux, cela vient du cœur ! Ils sont bornés, un peu agressifs, imbus de leur personne. Et ces femmes qui vont encore à la messe avec leurs jupes noires.» Léonie, qui a tenu à nous faire goûter sa tarte aux pommes, a connu le temps où les «fransquillons», les «petits de Français», tenaient le haut du pavé dans les villes flamandes. Le temps où «on parlait français au salon et néerlandais à la cuisine». Par son grand-père et à l’école, elle a aussi compris l’un des mythes fondateurs (et, comme tout mythe pas forcément prouvé) de la conscience flamande : les soldats flamands morts durant la guerre de 14-18, pour n’avoir pas compris les ordres que leur donnaient leurs officiers francophones.

«Bruxelles est loin…»

Anvers la cosmopolite, la débrouillarde, où, comme dit le dicton, «on peut toujours trouver à n’importe quelle heure, à n’importe quel jour, un bateau qui part pour n’importe quelle direction», est aussi Anvers la brune. Qui accueille un meeting du Vlaams Belang. Le parti d’extrême droite, en baisse selon les sondages, réalise ici ses meilleurs scores (plus de 33 % lors des municipales de 2003). Plusieurs centaines de militants, de tous âges et de tous milieux, agitent des drapeaux flamands et applaudissent les slogans de leurs candidats. «Bienvenue dans le Chicago flamand», tonne Filip Dewinter, le président du parti, faisant allusion à l’augmentation de la violence à Anvers. Un autre orateur fait éclater la salle de rire en transformant la formule «vivre comme Dieu en France» en «vivre comme Mahomet en Belgique». Valery Vangorp, charmante employée de 22 ans, applaudit à tout rompre. Pourquoi est-elle là ? Son père, «mais pas sa mère», est militant depuis longtemps ; le parti est «le seul à penser à l’avenir des jeunes» ; les Flamands donnent beaucoup trop d’argent à la Wallonie ; elle se sent bien plus proche d’un Hollandais que d’un Wallon ; et «surtout», il y a trop d’étrangers en Flandre… «Bruxelles est loin, dit-elle, je préférerais une République flamande avec Anvers comme capitale.»

Eddy, un ambulancier à la retraite, approuve : «Nous n’avons pas besoin de Bruxelles chez nous !» Dimitri Hoegaerts, le jeune et très correct attaché parlementaire d’un député du Vlaams Belang, veut lui aussi abandonner Bruxelles. Pour les nationalistes, c’est un changement de cap : Bruxelles, située en Flandre mais peuplée en majorité de francophones, a été jusqu’ici la principale raison de l’attachement des Flamands à une Belgique unie. Eddy l’ambulancier continue : les Flamands «germanistes» n’ont plus rien à faire avec ces «latins» de Wallons. Et d’invoquer le scandale des scandales : «En Belgique, 90 % des radars sont en Flandre et pourtant, les deux régions partagent les contraventions payées par les automobilistes flashés. Encore de l’argent qui part de nos poches pour aller dans celles des Wallons !»

La sœur du prince pour reine

Et le roi des Belges dans tout cela ? Valery se dit «républicaine». Pour elle, «ces gens-là coûtent cher et ils ne sont pas très normaux». Philippe, le fils du roi actuel, Albert II, est «particulièrement ridicule». Eddy, lui, balaye la cour de Belgique d’un revers de main énervé : «Finito ! Finito !» Si ce discours antimonarchiste des militants du Vlaams Belang est classique, il surprend plus dans la bouche de Monique van der Straeten, une femme modérée, ancienne fonctionnaire du Parlement européen à Bruxelles qui parle cinq langues. Elle n’est pas tendre avec le prince Philippe : «Un incapable, jamais nous ne l’accepterons !» En l’écoutant, on pense à un avocat bruxellois qui se demandait si la monarchie, considérée comme un pilier de la Belgique, ne pourrait pas en devenir le fossoyeur. «La grande majorité des Flamands, hier fervents monarchistes, pourraient profiter de la montée sur le trône du prince Philippe, qu’ils détestent, pour remettre le royaume en cause», expliquait-t-il. Quitte à choisir un roi, les Flamands préféreraient une reine, possibilité ouverte par l’abolition de la loi salique en 1992. Et pourquoi pas Astrid, 48 ans, la sœur de Philippe ? Elle est sérieuse, catholique et, qui plus est, mariée à un prince autrichien.

Monique raconte elle aussi ses frustrations à Bruxelles : «Je travaillais, en français et en anglais, pour une agence de communication. Un jour, alors que nous déjeunions tous ensemble, je me suis fait engueuler par ma directrice parce que je parlais néerlandais avec une de mes amies !» Monique n’a plus supporté les francophones incapables de prononcer un mot de néerlandais «même pas bonjour ou merci», la provocation des serveurs dans les restaurants, qui font exprès de ne pas comprendre. «Une fois, ce n’est pas grave, mais, tout le temps, ça use !» En 2008, elle est partie vivre à Gand. Selon elle, la morgue des francophones ne date pas d’hier. Dans l’armée belge, raconte Monique, les officiers s’adressaient en français à leurs troupes, en majorité des Flamands qui n’y comprenaient rien. Ils terminaient leurs discours par : «Et pour les Flamands, c’est la même chose !» Monique s’interroge sur son prochain vote. Pourquoi pas la N-VA, même si «une petite Flandre, c’est un peu ridicule» ?

«Une Flandre indépendante, ce n’est pas rien», affirme Wilfried, employé dans une pharmacie de Gand, «avec 6 millions d’habitants, nous sommes plus nombreux que le Danemark, l’Irlande ou la Slovaquie» ! La cinquantaine, cravate et chemise grise assorties, cheveux coiffés sur le côté, il a longtemps eu foi en la Belgique : «Il y a encore trois ou quatre ans, je croyais vraiment à ce pays. Maintenant, c’est fini. Pour une question d’efficacité, nous devons nous séparer. Tout cela coûte trop cher.»

«Rik» - appelons ainsi, cet homme rogue d’une quarantaine d’années qui ne veut pas donner son nom - habite Linkebeek, une des communes de la périphérie bruxelloise situées en Flandre et peuplées en majorité de francophones, qui sont au centre de la crise politique. Les autorités flamandes veulent mettre fin à certaines facilités administratives accordées aux francophones de la zone. Pour Rik, en Flandre, on parle flamand et c’est tout ! Il est de toutes les manifestations et colle des affiches exigeant que les «rats français foutent le camp». Chaque 1er septembre, il participe avec sa famille au Gordel («la ceinture»), une promenade autour de Bruxelles, organisée depuis 1981 pour affirmer le caractère flamand de la périphérie de la capitale. En 1993, plus de 110 000 personnes y avaient pris part. Un record.
Un vrai «Belgicain»

Annelies Kums et Simon Steverlinck, 27 ans, donnent rendez-vous au café Roskam, rue de Flandre justement, dans le centre de la capitale. «A Bruxelles, il y a un quartier portugais, un quartier turc… et un quartier flamand, et c’est là que nous vivons», expliquent-ils. «Comme s’il y avait un quartier français à Paris», ironise Léo, un habitué du Roskam. Il rappelle que Bruxelles est encore la capitale de la Belgique et de la Flandre et que la ville était habitée, à la création du royaume il y a 180 ans, par près de 70 % de personnes parlant un patois flamand. Aujourd’hui, il y a moins de 15 % de Flamands à Bruxelles.

Annelies et Simon, nés dans la province flamande, n’ont pas, «ou très très peu», d’amis francophones. «En fait, ce sont toujours nous, les Flamands, qui devons faire des efforts», explique Simon. Une Flandre indépendante, «pourquoi pas ?» dit-il. «Moi, cela me gênerait, rétorque Annelies. Quand on me demande d’où je viens, je me dis toujours belge.» David Degreef vient les rejoindre au Roskam. Ce Flamand élégant, 27 ans lui aussi, est un vrai «Belgicain» - traduire : partisan de la Belgique unie - qui juge la Flandre trop petite pour être indépendante et affirme se sentir davantage chez lui en Wallonie qu’aux Pays-Bas. Tous les trois ne veulent pas dire pour qui ils vont voter. Ils concluent sur un cri du cœur : «Tout cela ne nous empêche pas de dormir.»

«Si les francophones restent aussi rigides, on va tout droit vers la scission du pays», décrète John Spruyt, agent immobilier, rencontré à Vilvoorde, à une dizaine de kilomètres de Bruxelles. Président du cercle historique de la ville, cet homme rondouillard, avoue son admiration pour Nicolas Sarkozy et la France, sa deuxième patrie. Pourtant, il exige que tous les compromis de vente signés dans son agence soient rédigés en néerlandais. «Nous sommes dans une ville flamande et il faut respecter sa langue. Si quelqu’un veut un texte en français, tant pis pour lui. Les étrangers, Turcs, Africains, Européens de l’Est, prennent tous des cours de néerlandais quand ils arrivent, mais pas les Belges francophones.» Si John est opposé au séparatisme, une «confédération» lui conviendrait parfaitement.
«La Belgique n’est pas une nation»

Confédéralisme, le mot est dans la tête de tous les Flamands. Une manière élégante de se séparer sans divorcer, et de vider progressivement l’Etat central des prérogatives qui lui restent. A Ekkem, un village à quelques mètres de la frontière française, Luc Devoldere, 57 ans, anime Ons Erfdeel, une fondation de promotion de la culture néerlandaise, Flandre et Pays-Bas rassemblés. «Quand j’étais jeune, explique-t-il, je voulais être parisien. Plus tard, italien. Et puis, j’ai accepté mon destin : je suis d’ici, un Belge néerlandophone vivant en Flandre.» Il cite Nietzsche et sa définition d’une nation, des gens qui parlent la même langue et qui lisent les mêmes journaux et constate : «La Belgique n’est pas une nation.» Il reste pourtant optimiste : «Le pays ne cassera pas, il y a de l’espoir. Sauf si les francophones continuent de refuser de nouvelles réformes du modèle belge et que la Flandre se radicalise.» Pour lui «la Flandre est devenue trop riche, trop vite, et l’émancipation flamande a été tellement réussie que la Flandre n’a plus besoin du modèle néerlandais». Luc Devoldere adore Jacques Brel, qui se disait de race flamande et de langue française,tout en s’en prenant violemment aux Flamingants, les nationalistes flamands, «nazis durant les guerres et catholiques entre elles».

Dernière étape du voyage en Flandre : les Fourons, six villages perdus tout au bout de la Belgique, entre la Flandre et la Wallonie, non loin de Maastricht, aux Pays-Bas, et d’Aix-la-Chapelle, en Allemagne. D’abord considérés comme wallons, ils devinrent flamands en 1962, à l’issue d’un marchandage territorial très complexe. Les francophones, alors majoritaires, ne l’acceptèrent pas et ces villages paisibles devinrent le champ clos des affrontements belges, comme le sont désormais les communes de la périphérie bruxelloise. Le calme est revenu aux Fourons, comme à Louvain. Avec l’arrivée de Néerlandais et le départ de certains francophones, les Flamands sont devenus majoritaires. Les deux cafés mitoyens, le francophone Chez Liliane et le néerlandophone Chez Wynants, qui se livraient une guéguerre sans merci, ne font plus qu’un, le Op D’R Pley. Un établissement flamand, même si le patron parle les deux langues.

(1) Conrad Detrez, «l’Herbe à brûler», Paris, Calmann-Lévy, 1978. (2) Erwin Mortier, «Godenslaap», De Bezige Bij, Amsterdam. La version française, «Sommeil des dieux» (Fayard), sera disponible en septembre.

mardi 27 avril 2010

Slate se penche sur la Belgique

Le magazine en ligne Slate a publié un article bien fait de José-Alain Fralon sur les divisions entre Flamands et francophones. Même si l'auteur ignore la dimension de réglement de comptes historique, son papier est un des meilleurs parus dans la presse française.

La Belgique est morte: et si la Flandre était indépendante? (1/3)

Cette marche vers l'indépendance paraît inéluctable.


Elections générales ou non, la crise politique paraît aujourd'hui si profonde que le temps est venu de se demander si la Belgique a encore un avenir. Non, répond José-Alain Fralon. L'ancien correspondant du Monde à Bruxelles, auteur de «La Belgique est morte, vive la Belgique», s'en explique pour Slate dans une série de trois articles dont voici le premier volet.

***

«La moitié des Flamands est pour l'indépendance de la Flandre, l'autre moitié n'est pas contre», s'amusait-on à dire, hier, en Belgique. Aujourd'hui, cette plaisanterie est en passe de devenir réalité, tant les Flamands sont de plus en plus nombreux à souhaiter la fin de la Belgique unie.

Certes, il s'en trouvera toujours pour affirmer, surtout devant des médias étrangers, que le divorce n'est pas pour demain et que «tout cela» est «la faute aux homme politiques qui donnent une image tronquée de la vraie Belgique». Ils mettront aussi en avant certains sondages qui, ici comme ailleurs, sont souvent contradictoires. En 2008, une courte majorité de Flamands se prononçaient ainsi pour le maintien de la Belgique alors que 2/3 d'entre eux jugeaient inévitable la séparation d'avec les Francophones!

La montée de l'indépendantisme politique

Reste le seul juge de paix acceptable: les élections. Or, la tendance forte que l'on peut tirer de toutes les consultations électorales des dix dernières années est d'abord la montée en puissance des partis demandant, noir sur blanc, l'indépendance de la Flandre. Ils rassemblent aujourd'hui plus de 30% du corps électoral et tout indique qu'ils amélioreront encore leur score lors des prochaines élections.

On assiste parallèlement à un renforcement très net des tendances autonomistes, voire indépendantistes, à l'intérieur des partis traditionnels. Ainsi, la dernière crise a été ouverte par le parti libéral flamand, qui passe pourtant pour la plus modérée des formations flamandes. Même les écolos, qui sont les seuls à avoir un groupe parlementaire commun, se sont divisés entre Francophones et Flamands lors de la dernière crise.

Bref, les Flamands veulent être indépendants. Et pourquoi pas? Cette volonté plonge ses racines suffisamment loin dans l'histoire du pays pour ne pas être traitée à la légère. Cette tendance lourde commence tout simplement avec la création même de la Belgique en 1830. Peuplée en majorité de Flamands, celle-ci est alors outrageusement dominée par la bourgeoisie francophone. A cette époque, même en Flandre, il est de bon ton pour la classe dominante de parler le français!

Imaginons Jan, né en 1830...

Pour montrer la lenteur avec laquelle les Flamands ont pu voir reconnaître leurs droits les plus fondamentaux, le quotidien Le Soir a imaginé l'histoire d'un enfant flamand, Jan, qui naît en 1830. Il devra attendre d'avoir 43 ans pour que sa langue soit parlée au tribunal, 58 ans pour pouvoir payer avec le premier billet de banque bilingue et 68 ans pour que le néerlandais devienne une langue officielle. Et c'est seulement son arrière-petit-fils qui, en 1930, pourra faire ses études dans une université entièrement néerlandophone!

Ce long combat pour l'égalité aurait pu s'arrêter le 28 février 1993. Ce jour-là, en effet, la constitution décrète, en son article premier, que «la Belgique est un état fédéral». Les Flamands ont obtenu gain de cause: la parité avec les Francophones et une très large autonomie. D'autant qu'ils trustent depuis 1974 le poste de Premier ministre et que leur économie est maintenant florissante alors que la Wallonie s'enfonce dans une crise gravissime.

Jeu, set et match, pour les descendants du petit Jan? Eh bien, non! L'encre de la nouvelle constitution est à peine sèche que le président du parti social-chrétien flamand, la formation qui domine la vie politique belge, s'empresse de remettre les pendules à l'heure. «Rien ne doit empêcher de poursuivre les discussions sur d'autres sujets», écrit un certain Herman Van Rompuy, aujourd'hui «Monsieur Europe». «La Flandre ne dort jamais», ironise alors un journaliste du Soir, expliquant par là que l'on n'en aura jamais fini avec les revendications flamandes.

Poteau du nord, poteau du sud

Le rouleau compresseur est en marche et rien ne l'arrêtera. En force ou en douceur, profitant aussi bien des périodes de crise que d'accalmie, pensant déjà à la prochaine bataille avant même d'avoir digéré les résultats du dernier combat, les Flamands n'ont de cesse de vider de sa substance l'Etat central au profit des régions. Jusqu'à la couleur des poteaux indicateurs, désormais différente au nord et au sud du pays. Les dirigeants flamands ont même décidé de créer leur propre ligue de football amateur.

Prochain objectif: régionaliser le système de protection sociale, un des plus avancés au monde, ce qui, du même coup, réduirait le flux d'argent passant de Flandres vers la Wallonie. Aujourd'hui, en effet, les citoyens flamands doivent mettre la main à la poche pour aider leurs compatriotes francophones. Les chiffres, et les symboles varient. Pour les «modérés», chaque famille flamande doit donner l'équivalent d'un demi de bière par jour à la Wallonie. Pour les «durs», l'équivalent d'une voiture par an... En ces temps où le «chacun pour soi» devient la règle dans toute l'Europe, ces images font mouche.

Le social-chrétien flamand Yves Leterme, le Premier ministre trois fois démissionnaire (deux démissions ont été acceptées, en 2008 et le 26 avril 2010), avait apporté sa pierre au débat en déclarant, en 2006, que, selon lui, la Belgique «n'était pas une valeur en soi» et que ce pays n'avait plus en commun que «le roi, l'équipe de foot et certaines bières». Répétons-le: c'est un Premier ministre qui parlait de son pays!

Quant aux Belges, Flamands comme Francophones, ils avouent, pour peu qu'on les écoute, qu'ils vivent, en fait, dans deux pays différents et qu'ils n'ont pratiquement plus rien à se dire. «Si le soi-disant désaccord cache l'indifférence, la rupture est inévitable à long terme», estime Rik Torfs, professeur à l'université flamande de Louvain. «Des deux côtes de la frontière linguistique, explique-t-il, nous ne partageons ni les mêmes vedettes, ni les mêmes livres, ni les mêmes journaux, ni les mêmes programmes télé. Ni même, par la force des choses, les mêmes sujets politiques capables de mobiliser ou d'intéresser la population.»

Chacun chez soi

La Belgique d'aujourd'hui? Un couple qui fait chambre à part depuis déjà longtemps, qui n'a plus rien ou pas grand-chose à se dire, qui n'a plus beaucoup d'amis, ou d'ennemis, communs, qui regarde dans des directions opposées, mais qui doit régulièrement se rencontrer pour régler une fuite d'eau dans la cuisine. Et là, on s'envoie la vaisselle à la figure! Cette fuite d'eau, c'est le statut de la périphérie de Bruxelles.

Résumons: Bruxelles, ville officiellement située en Flandre, même si à certains endroits elle se trouve à seulement à 3.200 mètres très exactement de la frontière wallonne, a vécu une «mue linguistique» rarement connue ailleurs. En 1830, plus de 70% des Bruxellois parlent flamand. En 1880, ils ne sont plus qu'environ 50%. Et aujourd'hui? Moins de 15%. Pourtant, les Flamands, spécialement les plus âgés d'entre eux, continuent, contre vents et marées, à vouloir garder cette ville dans leur giron. N'est-elle pas aujourd'hui la capitale de la région flamande? Jusqu'à présent, cet attachement viscéral des Flamands pour Bruxelles a été une des causes principales du non éclatement de la Belgique.

Ce qui est nouveau, et fondamental, c'est que de plus en plus de Flamands, commencent à dire, et certains même ouvertement, que l'indépendance vaut bien la perte de Bruxelles. Dans la Flandre profonde, volontiers xénophobe, on se passerait aisément de cette ville, cosmopolite s'il en est, abritant une population très forte d'immigrés maghrébins ou africains, et commençant à connaître de sérieux problèmes d'insécurité.

S'ils acceptent de «perdre» Bruxelles, les Flamands, en revanche, n'abandonneront jamais aux Francophones un millimètre carré supplémentaire de leur territoire. D'où la lutte qu'ils mènent, aux mépris des règles démocratiques élémentaires, contre l'usage du français dans certaines communes de la périphérie de Bruxelles, peuplées en majorité de Francophones.

La crise actuelle a ainsi montré une totale unanimité des Flamands pour exiger la fin de ce qui constitue en fait un des derniers avatars de la «Belgique de papa»: l'arrondissement de Bruxelles-Hal-Vilvorde, regroupant Bruxelles et certaines circonscriptions flamandes. «Chacun chez soi»: telle est désormais la loi flamande.

Et si, en fait, les négociations actuelles ne servaient pas à replâtrer un pays se fissurant mais à délimiter, déjà, les frontières du futur Etat flamand? La question n'est plus, alors, de se demander si la Flandre veut son indépendance, mais quand et comment celle-ci verra le jour.

José-Alain Fralon

PS: J'écris «Francophones» avec une majuscule, contre l'avis de nombreux correcteurs, car je pense qu'il s'agit d'une communauté en tant que telle: les Francophones de Belgique.


vendredi 9 novembre 2007

Le non-dit belge

Il est frappant le lire les nombreux articles consacrés à la situation politique en Belgique. Les journalistes détaillent les rivalités entre les Flamands et les Wallons, insistant sur les points les plus ridicules de cet antagonisme. A la télévision, à la radio, les reporters parisiens finissent toujours par recueillir à la pointe du micro ou face à la caméra des expressions spontanées d'attachement à la Belgique de la part de citoyens « ordinaires ». A les en croire, la crise ne serait que le résultat de querelles entre les politiciens car « nous, les Belges, on s'entend ». A ce jour, je n'ai jamais entendu un journaliste français faire suivre ces manifestations de patriotisme belgican de remarques rappelant qu'il ne s'agit que du point de vue d'un francophone, le plus souvent un habitant de Bruxelles. Dans les meilleurs des cas, ce bon sujet du roi Albert ne représente que la moitié des habitants des Pays-Bas méridionaux.
Claude Askolovitch du Nouvel observateur est le journaliste français qui le mieux rendu compte de la situation du pays dans une brillante chronique qui mérite d'être lue en son entier. En voici quelques extraits :

Née en 1830, terre arrachée à la Hollande et dotée par l'Angleterre d'un monarque de sang allemand, la Belgique a longtemps été l'apanage des seuls francophones, maîtres de la culture et de l'économie. La Wallonnie des mines et de la sidérurgie est alors une puissance mondiale. L'Etat, la bourgeoisie, les aristocraties ne parlent que français, en Wallonnie comme en Flandre. Mais, dans les villages du Nord, des prêtres proches du peuple forgent une culture de résistance. Parler néerlandais devient une affirmation sociale. Le mouvement flamand est né. Il s'extrait de la boue des tranchées de 1914-1918, porté par des soldats persuadés que le prix du sang leur offrira l'égalité.
Espoir démenti. En 1940, la Flandre militante s'égare dans la collaboration, convaincue que l'Allemagne victorieuse lui donnera l'indépendance. L'imprégnation fascisante du Vlaams Belang en découle. Mais le mouvement flamand est plus fort que ses errances. Il renaît après guerre, porté par la démographie, le miracle économique. Les miséreux deviennent les maîtres. Ils se vivent à la fois en victimes culturelles et en dragons économiques, rendant ce temps, la Wallonnie industrielle est balayée. Tout s'inverse. En 1932, les Flamands arrachaient leur première université. En 1968, ils chassent les francophones de la fac de Louvain, aux cris de Wallen buiten !, les Wallons dehors ! Une geste nationale est née, entre fierté moyenâgeuse - ah, la victoire flamande contre l'armée française en 1306 ! - et dolorisme victimaire - le martyre des soldats flamingants de 1914-1918...

Claude Askolovitch, à la différence de la majorité de ses confrères, a raison d'ancrer le conflit dans sa dimension historique. Elle est le grand non-dit de l'antagonisme entre les deux communautés.
En prenant le risque de la caricature, on peut avancer que les Pays-Bas ont commencé à se diviser quand une partie du pays a adopté la religion protestante. Les Pays-Bas méridionaux se sont constitués autour d'une identité catholique, sous le sceptre de monarchies différentes mais toujours fidèles à Rome sans rivalités linguistiques.
Il est vrai que sous l'Ancien régime, les élites parlaient le français et que le peuple babillait une langue vulgaire, romane d'un côté, germanique de l'autre, difficile à entendre par leurs maître mieux éduqués.
La noblesse des Pays-Bas méridionaux trouvait à s'employer dans toutes les monarchies catholiques. Un grand nombre décrochaient des places enviables en Espagne. Ainsi, des figures importantes de l'administration espagnole étaient flamandes. Un des conquistadores de Mexico était flamand tout comme un des derniers vice-roi, originaire de Namur.
La Révolution française et l'invasion du pays par les troupes du puissant voisin du sud ont accéléré la francisation des élites. La création de la Belgique en 1830, est l'opportunité pour toute une bourgeoisie francophone d'imposer le français comme langue officielle du nouvel état. Cette décision se comprend dans le contexte de l'époque. Un moyen de se différencier de la monarchie orangiste, de se rapprocher de la France et de moderniser le pays. Pour le nouveau pouvoir de Bruxelles, l'imposition du français comme langue commune n'allait pas être plus difficile en Flandre qu'elle ne l'était en Bretagne ou en Alsace.
La révolution du nationalisme à partir de la moitié du XIXe siècle va mettre à bas ce beau schéma. Contre toute attente, le flamand ne disparaît pas de la scène. Victime d'une mort annoncée de la part des francophones, il relève le tête et résiste pied à pied.
A la veille de la Grande Guerre, le mouvement culturel flamand a essaimé dans le monde politique et l'arrivée des troupes allemandes sera l'opportunité de donner une première expression politique à cette volonté de renaissance nationale.
Le retour du pouvoir belge à la fin de 1918 se traduit par une cruelle répression laquelle culmine par la condamnation à mort d'August Borms, un des promoteurs du Conseil des Flandres, en 1919. Cette politique anti-flamande est rétrospectivement paradoxale compte tenu de l'ambivalence de l'attitude du roi des Belges. Une ambivalence qui reste un des grands tabous de l'histoire belgicane. (Voir l'article qui lui est consacré).

Manifestation à Anvers en faveur du Conseil des Flandres.


La Seconde Guerre mondiale est une répétition générale du conflit précédent. Les nationalistes flamands voient dans l'occupation allemande une opportunité pour obtenir l'indépendance de la Flandre. Ils se heurtent bien vite à la politique allemande plus soucieuse d'incorporer ces Germains dans le Reich que de leur accorder une réelle autonomie politique.
Il est indéniable que la Flandre adopte une politique de collaboration avec le Reich. Elle se traduit notamment par une participation notable à l'effort de guerre, très visible dans le cadre des Flamands engagés dans les Waffen SS (SS-Freiwilligen-Sturmbrigade Langemarck).
L'arrivée des troupes anglo-américaines met un terme brutal à cet embryon d'Etat flamand et une nouvelle répression s'abat sur la Flandre. Elle est d'autant plus forte que la Wallonie s'est montrée bien plus tiède à l'égard de l'Allemagne. La dimension de règlement de compte inter-communautaire de cette répression est flagrante.
Dans ses souvenirs, Paul Struye, Président du Sénat et résistant, écrit :

Les 20.000 héros revenant de Londres et découvrant en Belgique 8.000.000 de suspects dont 4.000.000 au moins de coupables.
Les têtes politiques du mouvement flamand sont exécutées : Leo Vindevogel, Theo Brouns, Lode Huyghen, Marcel Engelen, Karel De Feyter, Lode Sleurs, August Borms... Des milliers de personnes impliquées à différents titres dans le mouvement culturel sont poursuivies et souvent condamnées. Des jeunes soldats flamands démobilisés sont emprisonnés, jugés et condamnés à de lourdes peines de prison.
Plus grave encore, les « londoniens » décident de priver de leurs droits civiques les personnes condamnées pour faits de collaboration. Le résultat de cette mesure est que près de trois cent mille personnes n'auront plus de droits. En comptant leur famille, cela fait plus d'un million de personnes qui sont marginalisées par l'Etat belge dont la justice d'exception a tourné à plein régime jusqu'en 1949, date à laquelle a été arrêté l'état de guerre !

Ils ne peuvent plus être fonctionnaires, être jurés, experts ou témoins, faire partie d'un conseil de famille, etc. ni exercer les métiers d'enseignant, de journaliste (presse écrite et radiodiffusée), d'acteur de théâtre ou de cinéma ni occuper des postes de direction dans une entreprise commerciale, une banque, une association professionnelle, une association sans but lucratif de caractère culturel, sportif ou philanthropique. Plus tard, les restrictions seront encore plus drastiques, prenant même une tournure ridicule par leur mesquinerie: suppression des indemnités pour les invalides de 1914-18 condamnés pour collaboration, interdiction de s'inscrire dans une université, de recevoir des allocations familiales, d'avoir un compte-chèque postal ou un raccord téléphonique et... de posséder des pigeons voyageurs.
Il suffit d'interroger les Flamands ordinaires pour se rendre compte qu'ils ont tous un membre de leur famille parmi ces condamnés à l'exil intérieur. En outre, contrairement à la France (1951, 1953, 1959) ou même à l'Union soviétique (1955), pas de mesures d'amnistie pour rendre la paix civile au pays.

P. de Visscher, professeur à l'université catholique de Louvain a écrit :

«La législation sur l'épuration civique (...) a (...) donné naissance à une masse considérable de citoyens de seconde zone qui se trouvent dans l'impossibilité pratique de se réadapter à la vie sociale. La notion même des droits de l'homme, jadis considérés comme intangibles par cela même qu'ils tiennent à la qualité d'homme, s'en trouve dangereusement ébranlée de même que le principe fondamental suivant lequel aucune peine ne peut être prononcée sinon par les tribunaux de l'ordre judiciaire.
L'après guerre est marquée par l'existence, notamment en Flandre, d'une population marginalisée qui doit se trouver de nouveaux moyens d'existence dans le secteur privé et qui trouve dans une affirmation renouvelée de son nationalisme un moyen de conserver un sens à sa vie.

Une répression brutale suivie ensuite, comme en France, d'une large amnistie aurait probablement évité cette rupture entre une fraction importante de la population flamande et la Belgique. La rigueur, la longueur et le caractère souvent mesquin des interdictions frappant de nombreux Flamands ont constitué le vivier dans lequel s'est nourri le nationalisme.


Commémoration de la mort d'August Borms.

Aujourd'hui, en novembre 2007, plus de soixante ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale, aucune loi d'amnistie n'a été adoptée en Belgique, notamment en raison de l'opposition des francophones et il existe toujours des hommes et des femmes privées de leurs droits civiques.

Ainsi, comme ne vous le disent pas les journalistes français de retour de Bruxelles, la crise n'est pas une simple question linguistique. C'est un règlement de comptes entre deux communautés qui solde de factures vieilles de soixante ans. Le devoir de mémoire a parfois de bien singuliers développements.

jeudi 22 avril 2010

Belgitude toujours



La Flandre au quotidien, il vaut mieux parler anglais que français.


Quand la presse internationale s'intéresse aux bisbilles entre Flamands et francophones, elle ne cherche pas réellement à comprendre les origines de cette « rage flamande » qui rend si difficile tout compromis entre les deux communautés qui se partagent le plat pays.

Pourtant, si on ne creuse pas le tuffeau dans lequel s'enroche la question nationale flamande depuis la funeste invention de la Belgique, on ne peut pas comprendre le pourquoi et le comment des choses.

Un bref rappel, car nous avons souvent abordé cette question dans nos colonnes.

Après la création de la Belgique, les élites bruxelloises francophones qui sont aux affaires font le pari d'imposer le français de Paris aux populations tant patoisantes du sud du pays que les néerlandophones du nord.

Ce pari manque de peu de réussir. La francisation de la Flandre est très avancée quand le mouvement national flamand réussit à renverser la vapeur et à imposer l'idée que la langue et la culture flamandes ne doivent pas périr sur l'autel d'un Etat artificiel.

Les élites flamandes se saisissent de l'opportunité de la Première Guerre mondiale pour avancer leurs pions auprès des autorités allemandes au nom d'une « germanité » revendiquée par les Flamands.

Commémoration de l'exécution de Borms.

La répression terrible qui s'en suit, notamment l'exécution d'August Borms, la figure emblématique du nationalisme flamand (un point de vue francophone, ici) en raison de sa « collaboration » avec les Allemands marque un tournant dans la relation entre ces deux peuples. Les Francophones ont usé et abusé de cette « collaboration » pour tenter de tuer dans l'œuf le nationalisme flamand. Un ficelle un peu grosse quand on connaît les négociations entre le roi Albert et les Allemands pour tourner casaque et poignarder dans le dos ses alliés français et anglais. Un vrai scandale dont les Francophones encore aujourd'hui ne disent mot.


Manifestation à Anvers en faveur du Conseil des Flandres.

La Seconde Guerre mondiale amplifie le scénario de la Première. Les Flamands sont nombreux à croire dans une providentielle intervention allemande à leur profit quand les autorités du Reich penchent plutôt pour une absorption pure et simple de la Flandre quand ils n'envisagent pas la déportation en masse des Flamands sur les nouvelles terres conquises à l'Est pour peupler la Flandre d'Allemands du Reich.

Après l'entrée des troupes anglo-américaines, les Francophones et les Flamands de gauche règlent leurs comptes avec les nationalistes flamands. La terrible répression et surtout, la dureté des peines invalidantes, le refus de l'amnistie, ont inscrit dans le marbre de la conscience collective flamande un désir de vengeance qui reste inassouvi à ce jour.

La grande réussite du mouvement flamand actuel est d'avoir communiqué à l'ensemble de la société flamande cette détestation de la Belgique qui avant n'était l'apanage que des nationalistes. Sans l'aide des Francophones et de leur politique d'épuration éthnique après la Seconde Guerre mondiale, il n'y serait jamais parvenu.

La condamnation à mort de la Belgique a été écrite avec le sang des fusillés des deux guerres mondiales et avec les larmes de rage des familles des victimes d'une répression qui dure encore (pas de loi d'amnistie en Belgique alors qu'en France la première a été votée dès 1947). Lire ce post pour plus de détails. A titre de comparaison, il y eut 94 Français pour 100 000 qui furent emprisonnés pour faits de collaboration pour 596 Belges.

Voici l'article publié ce matin par Vanessa Mock dans les colonnes de l'Independent.



Deux jeunes Flamands. Ils ont pris la relève d'August Borms.

Belgium at war as Flemish hit out at 'invasion of French speakers'

A fierce row over suburban flight by French speakers into officially Flemish-speaking towns near Brussels is threatening to topple the Belgian Government.

A leading Flemish party has threatened to pull the plug on the coalition Government if no deal is reached by today – a move which could trigger fresh elections.

The dispute is ostensibly about the complex reorganisation of 54 communes which encircle Brussels but it has degenerated into a bitter turf war between the two language groups. Some local politicians have even been accused of promoting de facto apartheid after French-speakers were barred from buying property in Flemish towns.

"I will fight this until the bitter end," vowed Alexia Philippart de Foy, who had her offer on a house in Rhodes-Saint-Genèse turned down by Flemish authorities. "It cannot be the case that someone who is 100 per cent Belgian is barred from buying a house in her own country."

Ms Philippart de Foy, a businesswoman in her thirties, is one of the victims of this quintessentially Belgian dispute. The contested area, known as Brussel-Halle-Vilvoorde, has been a seeping wound ever since Belgium was clumsily carved up along language lines in 1963. It has already helped to topple the government four times in the past three years as politicians have locked horns over reforms to carve up the area into distinct Flemish and French voting and administrative districts.

Although the nitty gritty of these reforms is incomprehensible to most Belgians, it has stoked simmering tensions between the two communities. The picturesque, sleepy village of Gooik, just 20 kilometres south of the officially bilingual, but mostly French-speaking capital, is a classic example. Flemish residents there speak of an "invasion" of French-speakers which must be stopped.

"We want to preserve the Flemish character of this beautiful town," says Gooik's Mayor, Michel Doomst. "We don't want it to be overwhelmed by people who speak other languages."

The jovial Mr Doomst counts on the support of many of Gooik's 11,000 residents, many of who resent the influx of French-speakers. One elderly man walking his dog explained: "The Flemish here feel squeezed out because more and more people are coming down from Brussels to live here, because houses are cheaper and it's leafier. But they don't always want to adapt by learning Flemish."

Standing outside the Vrede or "peace" café, others spoke in harsher tones. "Why can't they just leave us alone? The French-speakers are so imperialistic, imposing their language everywhere," one woman fumed. "This here is a Flemish area that should be kept Flemish." One 19-year-old trainee teacher adds: "Most people of my generation don't really care but it doesn't go down at all well with my grandparents if they walk into their local bakery and find their new baker only speaks French."

Mayor Michel Doomst has now taken matters into his own hands and has imposed his own informal mechanism to deter French speakers from moving in. "We have a system of offer incentives in order to give precedence to people who have a clear link with this commune. And yes, that means Flemish people." Even residents who put their houses on the market are "encouraged" to sell to Flemish people, he says, though he refuses to spell out what this encouragement might entail.

Down the road in Flemish Rhodes-Saint-Genèse, the deterrents are more formal. Authorities have imposed a decree called Wonen in eigen streek (Live in your own area) which sets out clear conditions for would-be property buyers.

French-speaking politicians also have their own administrative ammunition to hand in this tug-of-war, and there seems to be little hope of the issue being resolved. Yesterday parties from both sides met for marathon talks at a secret location to discuss a deal put forward by Jean-Luc Dehaene, a former prime minister who has been appointed to find a way out of the impasse.

Belgium's 11 million people have somehow learned to live with the strong undercurrent of political tension that nearly split the country apart three years ago. One French-speaking man said: "It's very sad that the politicians have let it get this far."

mercredi 28 novembre 2007

Quand Libé aime la Belgique

La Une de Libé ce matin.


Les journalistes de Libé, tels Tintin partant en reportage en Amérique, se sont déplacés en masse à Bruxelles à la rencontre des Belges. De toute évidence le courant est bien passé entre la population d'explorateurs parisiens et les indigènes bruxellois, retranchés derrière leurs chariots des communes à facilités, repoussant les hordes flamandes à coups de « Non ! » tonitruants à chaque fois que les bouseux flamingants réclament un aménagement de l'Etat.
Ce numéro spécial de Libé est très révélateur de la vision sélective de la gauche française quand il s'agit des affaires des Pays-Bas méridionaux. Non seulement le nombre de Flamands interrogés est très faible, mais on cherche en vain une présentation des arguments de la Flandre. Pourtant, comment comprendre la situation si on ne présente que les points de vue d'une des cinq parties ? Je dis cinq car je compte, par ordre alphabétique, les Allemands, les Flamands, las Wallons, les Wallons germanophones et puis les Belges (c'est à dire tous ceux qui ne se reconnaissent pas dans une des catégories précédentes).
Il est aussi frappant que des pans entiers du ressentiment flamand, sans lequel on ne comprend pas l'animadversion de cette population à l'égard de la Belgique, passent à la trappe. A juste titre Jean Quatremer, correspondant du quotidien bobo à Bruxelles, rappelle qu'avant 1830 il n'existe pas de réel antagonisme entre les deux parties de cette région des Pays-Bas. Les élites méridionales parlent toutes le français littéraire tant à Anvers qu'à Liège et les populations locales un patois roman d'un côté et germanique de l'autre. Les élites bourgeoises, aux idées libérales très progressistes, font le choix d'unifier le pays autour du français, antidote à l'influence de l'Eglise comme de la tentation néerlandaise plus au nord.
Ces bourgeois éclairés n'avaient pas prévu le mouvement nationalitaire qui allait mettre le feu à l'Europe et abattre les vieilles structures et condamner à terme la Belgique.
C'est vrai, comme le souligne Philippe De Boeck, rédacteur en chef politique du journal de gauche De Morgen, que le nationalisme flamand a fait ses choux gras du français comme langue des officiers durant la Première Guerre mondiale et des difficultés de compréhension avec les soldats flamands. Mais pourquoi ne dit-il pas un mot de la répression d'après la Seconde Guerre mondiale ? Quand près d'un Flamand sur dix était frappé d'interdictions professionnelles diverses, chassé de la fonction publique, interdit d'enseigner ou même d'ouvrir un compte en banque ? Pourquoi ce journaliste du Morgen ne rappelle-t-il pas que contrairement à la France, il n'y a pas eu de loi d'amnistie en Belgique ? Les Flamands marginalisés ont dû se refaire une vie dans l'industrie ou le commerce, apportant un coup de fouet à la vie économique de la Flandre.
S'ils avaient pris la peine d'interroger quelques Flamands, les journalistes de Libération auraient sans doute pu comprendre la force de ce ressentiment, découvrir que les Belges payent aujourd'hui la facture de la vengeance ethnique de l'après-guerre. Il est trop tard aujourd'hui pour revenir en arrière, amnistier les derniers inciviques, restaurer la mémoire des fusillés pour l'exemple.
Mais voilà, il aurait fallu sortir des frontières de Bruxelles et ne pas se contenter de Flamands qui ne sont pas représentatifs de la Flandre. Ainsi, pourquoi consacrer deux pages à parler de couples de Flamands et de Wallons au lieu d'expliquer les raisons du faible nombre de mariages mixtes ? Seulement 1 % des unions en Belgique se nouent entre les communautés, soit moins que de mariages interaciaux aux Etats-Unis.
Les lecteurs de Libé en savent désormais beaucoup plus sur la tribu des bobos bruxellois qui aiment à se dire « belges », mais il ne savent toujours rien des raisons qui poussent nombre de Flamands (et pas seulement les militants du Vlaams Belang) à crier : Belgie Barst ! («Crève Belgique »).