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samedi 24 avril 2010

Pierre Bordage à côté de la plaque

La couverture Benjamin Carré est la partie la plus réussie de ce volume.
Un style qui évoque celui d'Olivier Carré.


Ceux qui rêvent
Pierre Bordage

Ukronie/Flammarion, 334 p., 15 e, ISBN 978-2-0812-3031-6. Couverture illustrée par Benjamin Carré.


J'aime beaucoup des uchronies. depuis le Maître du haut château de Philip K. Dick, jusqu'à la vaste production actuelle venue du monde anglophone, où est en vogue la mode de l'alternate history, grâce à des réussites comme Fatherland de Robert Harris (qui imagine une enquête policière à Berlin en 1960 dans une Europe dominée par une Allemagne victorieuse) ou encore Pavane de Keith Roberts (qui a pour point de départ une Armada espagnole triomphante).

En France, j'ai apprécié, sans plus, l'œuvre fleuve de Jean-Claude Albert-Weil, le roman astucieux et bien informé d'Albert Costa d'une France qui n'accepte pas l'armistice de 1940 et poursuit le combat avec à sa tête le binôme De Gaulle et Pétain, Alexandra de Vladimir Volkoff, Le feld-maréchal von Bonaparte de Jean Dutour, ou le très amusant ouvrage de Guy Konopnicki, Les Cent jours - 5 mai-4 août 2002 mettant en scène une victoire de Jean Marie Le Pen en 2002.

Le cinéma nous offre quelques exemples intéressants dont le coréen 2009 Souvenirs perdus où la Corée est devenue japonaise, Capitaine Sky et le monde de demain, Jin-Roh, la Brigade des Loups, etc.

Il existe même quelques sites en ligne comme 1940 la France continue la guerre et une grande offre de versions alternatives de la Seconde Guerre mondiale. Nous en avons parlé ici et on peut découvrir les créations d'artistes dans le site Luftwaffe 46.

Une uchronie graphique de Richard Lewis Mendes.

Ce long préambule pour expliquer que je réunis toutes les conditions pour apprécier le nouveau titre de Pierre Bordage publié dans la collection ukronie de Flammarion. Pourtant, j'ai eu toutes les peines du monde à achever la lecture de Ceux qui rêvent et, une fois le volume refermé, j'ai ressenti comme un sentiment d'horripilation.

L'auteur nous invite à l'accompagner dans un monde où une Europe, partagée entre des monarchies totalitaires, a reconquis l'Amérique et réparti ce pays entre des royaumes tout aussi tyranniques que leurs homologues européens.

Un jeune homme, qui appartient à la caste des cous-noirs, des prolétaires à qui l'on interdit toute éducation depuis la révolution manquée de 1789, vit avec une jeune femme Clara qui appartient à une des familles les plus riches de France. Elle est enlevée par les siens et envoyée en Nouvelle France où elle doit être mariée contre son gré à l'homme le plus riche de cette contrée.

Prêt à tout pour récupérer la femme de sa vie, jean part pour l'Amérique dans un voyage plein de dangers à cause de la police royale qui persécute tout ce qui bouge.

Je ne vais pas entrer dans des considérations purement littéraires car d'autres bloggeurs ont porté sur Pierre Bordage, surnommé bien à tort le « Balzac de la science fiction », des jugements à l'emporte-pièce que j'ai tendance à partager.

Je cherche plutôt à comprendre pourquoi le roman Ceux qui rêvent (suite d'un premier volume intitulé Ceux qui sauront) ne fonctionne pas, pour quelles raisons un lecteur comme moi ne se laisse pas prendre une seconde à la magie du romancier qui fabrique un monde qui aurait pu être.

La réussite d'une uchronie repose sur la vraisemblance. Quand Robert Harris écrit Fatherland, il respecte le cadre général de la société hitlérienne et les déformations qu'il lui inflige pour tenir compte de l'usure des années ne sont pas aberrantes. En outre, il se garde bien de porter des jugements moraux. Il n'écrit pas engoncé dans la robe d'un procureur au tribunal militaire interallié de Nuremberg. Harris laisse le soin au lecteur de condamner lui même cette société néo-hitlérienne par le simple fait de sa talentueuse déconstruction du fonctionnement d'une société totalitaire.

Pierre Bordage dans ce roman échoue dans son entreprise de nous embarquer avec lui car il ne respecte pas les règles de base de l'uchronie.

En premier lieu, il a écrit un roman qui est le reflet de ce qui semble être une obsession idéologique, cherchant à régler des comptes avec des systèmes politiques honnis, sans aucun souci de cohérence historique. Son travail n'aurait pas déparé dans la production soviétique de littérature pour la jeunesse des années 1920 à 1930 ou parmi la littérature d'inspiration socialiste qui décrivait sous les traits les plus noirs les turpitudes de la société capitaliste (comme ceux que pouvait écrire Jack London).

Pratiquement à chaque page, l'auteur insiste avec ses gros sabots sur la malignité du système oppressif, reprenant à son compte tous les poncifs à la mode dans l'extrême gauche d'aujourd'hui.

En deuxième lieu, une psychologie des personnages à deux sous. A titre d'exemple, son jeune héros Jean se souvient à peine du nom de famille de la jeune femme qui partage sa vie alors même qu'elle appartient à une des plus grande familles du pays. C'est comme si un jeune homme d'aujourd'hui vivait avec une héritière de l'empire Lagardère ou Bouygues sans y accorder de l'importance.

Enfin, last but not least, il ne respecte pas la cohérence historique. Il n'est pas crédible de faire de monarchies européennes des systèmes totalitaires car cela est trop en contradiction avec leur essence même. Il aurait mieux fallu imaginer quelque chose d'autre, à la limite un système théocratique. On n'y adhère pas une minute.

La réalité de l'esclavage est caricaturée au delà du crédible quand l'auteur explique que les esclaves noirs ont valu moins qu'une vache ou qu'un porc. De toute évidence, il n'a jamais ouvert un ouvrage sur la question comme le célèbre Time on the cross. Pierre Bordage aurait pu apprendre que les esclaves représentaient un tel capital que l'on faisait venir dans les Etats du sud des ouvriers irlandais pour réaliser les travaux dangereux car leur mort en cas d'accident ne coûtait rien alors que celle d'un esclave réduisait la fortune de son maître.

De même, non seulement la vision des rapports sociaux est aberrante, mais aussi celle des rapports raciaux, notamment dans les relations entre Indiens et Français. L'auteur révèle toute l'étendue de son ignorance de l'histoire des relations entre la couronne de France et les nations indiennes. Il aurait pu s'inspirer de l'excellente étude de l'historien Arnaud Balvay L'épée et la plume : Amérindiens et soldats des troupes de la marine en Louisiane et au Pays d'en Haut (1683-1763) pour imaginer quels auraient pu être les liens entre Indiens et Français en cohérence avec leur histoire commune.

Même si des passages sont assez réussis, comme le récit de la traversée à bord du paquebot à vapeur Henri VIII dont la description technique colle d'assez près à la réalité, ou encore le groupe d'hérétiques orthodoxes rencontré par un des personnages, on ne croit pas une seconde dans le monde alternatif imaginé par Pierre Bordage.

Certes, il faut tenir en compte qu'il s'agit d'un roman destiné à des adolescents, mais cela n'excuse pas pour autant le manquement aux règles de base de l'uchronie. Si Pierre Bordage souhaite poursuivre dans la même veine de dénonciation politique, il vaudrait mieux qu'il s'engage carrément dans la science-fiction ou mieux encore l'heroic-fantaisie, plus à même d'accueillir ses obsessions de lutte des classes sans choquer le lecteur.

J'aurais presque tendance à considérer les choix rédactionnels de Pierre Bordage pour ce roman comme une erreur de débutant, ce qu'il n'est de toute évidence pas. Il possède un réel talent d'écriture, même s'il pâtit d'un volume de production trop élevé pour qu'il puisse s'attacher au fini de son texte.

Encourageons-le à abandonner les habits démodés de croisé de la justice sociale en quête d'un monde meilleur, laïque, républicain et socialiste, pour bâtir de solides histoires, bien charpentées, reposant sur une réelle connaissance historique. Dans un genre un peu différent, le succès des romans de Jean-François Parot devraient inciter Pierre Bordage à une évolution de ses techniques de travail.

Ce ne sont pas les scénarios qui manquent. Que serait l'Algérie aujourd'hui si les Pieds-Noirs avaient déclaré leur indépendance unilatérale en 1962 ? Comment serait l'Europe si l'Union soviétique l'avait conquise ? Que se serait-il passé si l'Espagne avait conservé ses territoires d'Outre-Mer ?

Bref, Pierre Bordage n'a que l'embarras du choix.

Pour en savoir plus

Les amateurs du genre peuvent trouver en ligne quelques perles, dont

Napoléon et la conquête du monde, 1812-1832, histoire de la monarchie universelle de L. Geoffroy-Château, publié à Paris en 1836.

Uchronie (l'utopie dans l'histoire) : esquisse historique apocryphe du développement de la civilisation européenne tel qu'il n'a pas été, tel qu'il aurait pu être, de Charles Renouvier, publié à Paris en 1876.

Philip Dru: administrator, de Edward Mandell House, publié par B.W. Huebsch en 1912


Un grand uchroniste, le colonel House à Paris pendant la Grande Guerre.

Vous pouvez explorer Google books ici dans la catégorie utopies.

Pour une fois, nous pouvons recommander la page que Wikipedia consacré à l'uchronie.

dimanche 4 janvier 2009

Flammarion sur orbite

La conquête de l'Espace

Giles Sparrrow


Flammarion, 318 p., très illustré, grand format, index, 40 e, ISBN 9782081212817.


À l’instar de la majorité des albums illustrés, celui que vient de publier Flammarion sur la conquête de l'espace a été acheté au Royaume-Uni. Il a été excellemment traduit par Stéphanie Soudais avec une relecture par Nathalie Sawmy. Cette dream team de filles a réussi un quasi sans faute, ce qui est assez rare pour être signalé. J'ai notamment apprécié une bonne correction typographique du texte (à l'exception de la gestion des blancs qui semble en option). Je n'ai pas trouvé une seule lettre capitale fautive dans tout le texte. À ce bon travail d'adaptation, il faut ajouter un ouvrage de qualité au départ, ce qui est inhabituel pour un ouvrage anglais.

L'anglocentrisme impitoyable de nos voisins rend leur production éditoriale dans le domaine historique pratiquement illisible dès qu'on s'éloigne des rives de la Tamise. Or, par un fait du destin, les Britanniques n'ont eu qu'un rôle proche de zéro dans tout ce qui a trait à l'espace, nous voilà donc sauvés. N'ayant pas l'ego insulaire à défendre, ils rendent compte des efforts des autres avec impartialité louable. Grâce à leur marché international en langue anglaise, ils ont aussi les moyens de réunir une collection de photographies sans équivalent. L'illustration de cet ouvrage est très réussie, un modèle du genre.

Des pionniers aux Indes ou en Chine, en passant par les rêveurs un peu fous en Europe ou aux Etats-Unis qui ont fait les premiers pas, l'ouvrage avance en ordre chronologique et détaille pas à pas toutes les étapes de cette histoire étonnante qui fait honneur à l'esprit humain.

Des noms aujourd'hui oubliés par le grand public et par les diffuseurs d'ignorance que sont les journalistes, tels Konstantin Tsiolkovski, Robert Goddar ou Hermann Obert sont à l'honneur et leurs apports respectifs bien mis en lumière. Il est frappant de voir comment dans le cas des deux derniers, c'est la lecture d'ouvrages d'anticipation d'H.G. Wells ou de Jules Verne a joué un rôle dans la naissance de leur vocation.

La première entrée en scène des fusées avec les projets militaires allemands de la Seconde Guerre mondiale est racontée sans pleurnicheries comme le font habituellement les Allemands, ici on retrouve avec plaisir tout le détachement britannique. On peut trouver quelques erreurs de détail par exemple cette légende de la visite d'une délégation militaire en mai 1944 où l'on identifie facilement l'amiral Dönitz et l'auteur écrit trop rapidement « l'amiral Dönitz et ses hommes » alors qu'il s'agit de militaires d'autres armes. Ou bien encore quand il affirme qu'en février 1945, le capitaine américain Robert Staver arrive en Europe pour trouver les cerveaux du V-2 et les amener devant la justice américaine. On se demande que vient faire la justice dans cette entreprise de pillage organisé ! Quoi qu'il en soit, l'arrivée en masse des ingénieurs allemands aux Etats-Unis à ce pays de se lancer en grand dans la course à l'espace et, surtout, dans l'application militaire des principes techniques des fusées.

La mise sur orbite de Wernher Von Braun aux Etats-Unis dans un extraordinaire cocktail de relations publiques et de bras de fer politique est bien racontée, même si l'auteur insiste de manière anachronique dans les responsabilités de guerre de ces scientifiques. Leurs collègues américains qui ont mis au point les munitions nucléaires ne sont-ils pas ans le même cas ? Durant ce temps, les Soviétiques qui avaient mis la main sur la piétaille allemande se gardaient bien de la mettre en valeur et n'avaient aucun souci de relations publiques.

Sans rentrer dans le détail, l'auteur met en scène avec beaucoup de talent la course aux étoiles à laquelle se sont livrées les grandes puissances en compétition dans la guerre froide. La mise en orbite du Spoutnik, la riposte américaine, le voyage fatal de la chienne Laïka, aux premiers satellites, les passionnés trouveront mille et un détails (sans oublier les photos) pour alimenter leur curiosité. Une double page est consacrée aux efforts britanniques et français, ce qui est bien raisonnable en raison de leur modestie par rapport à ceux de leurs grands coincements.

Au fil des pages superbes de cet album, on reste abasourdi devant l'étendue des efforts tant américains que soviétiques consentis dans cette course à l'espace. Le travail de recherche iconographie, les dessins techniques et les illustrations d'artiste sont exemplaires. Échecs, tragédies et succès se succèdent et l'homme progresse régulièrement sur cette échelle de Jacob qui le mène à la lune où finalement alunissent en 1969 Neil Armstrong et Buzz Aldrin, et où leurs premiers pas sur la lune sont retransmis à des milliards de Terriens grâce à la télévision. L'auteur nous rappelle aussi toutes les autres missions qui ont exploré notre satellite.

L'après Apollo est moins exaltante, des missions Skylab aux rencontres orbitales entre Soyouz et Apollo en passant par les projets d'avions spatiaux on arrive à la navette spatiale, à la station Mir et aux efforts modestes et persévérants des Européens réunis au sein de l'Agence spatiale européenne dont le nombre de pages est vraiment mesuré au pied à coulisse et n'a aucun rapport avec l'importance réelle du programme Ariane dans le monde spatial actuel. Mais comme en vouloir aux auteurs ? Les Anglais ont pris la désastreuse décision de se retirer de ce programme alors qu'ils y jouaient un rôle éminent.

L'ouvrage s'achève par un passage en revue est utilisations actuelles de l'espace (GPS, communications, astronomie) et par un aperçu des grands projets comme le retour sur la Lune, la conquête de Mars ou les colonies spatiales.

Faute de place, et sans doute pour rendre l'ouvrage plus « civil », l'auteur a exclu tout ce qui était relatif à l'utilisation militaire des fusées (en dehors des V-1 et des V-2). Pas un mot sur les fusées utilisées durant la Seconde Guerre mondiale ou sur l'utilisation stratégique des fusées dans le cadre de l'équilibre de la terreur. Pourtant, ces fusées balistiques sont les produits directs de la course à l'espace. En dehors de cette lacune volontaire, et très défendable, ce magnifique album est une réussite indiscutable et il compte parmi les meilleurs de l'année avec celui des éditions Italiques consacré aux Américains dans la Grande Guerre. Impeccablement traduit, bien relu, il mérite de se retrouver en première place sur la liste des cadeaux à faire en 2009.

mercredi 21 novembre 2007

Richelieu mis à jour


Richelieu en route vers la mort.

Richelieu

Françoise Hildesheimer

Flammarion, 586 p., ill., notes, annexes, chrono., sources, biblio., cartes, 26 €, ISBN 2-08-210290-4.


Chartiste de formation, l’auteur est un des conservateurs des Archives nationales où elle déploie une activité considérable. Elle est réputée parmi les historiens pour la qualité et la chaleur de l’accueil qu’elle réserve aux chercheurs. En quelques minutes elle remet les égarés sur la voie, dissipe les malentendus et corrige les erreurs. Mais elle ne se contente pas d’aplanir les difficultés des autres, elle plonge la tête la première dans l’océan documentaire qu’elle côtoie chaque jour pour taquiner Clio à son tour. Spécialisée dans l’Ancien Régime, et plus particulièrement le xviie siècle, l’auteur ne pouvait manquer de rencontrer au hasard des travées et au détour d’un carton, la figure formidable du cardinal ministre de Richelieu. Après avoir butiné le personnage en s’intéressant à son testament politique et à ses écrits théologiques, Françoise Hildesheimer décide de franchir le Rubicon et de s’atteler à l’écriture d’une biographie de l’éminence rouge de Louis XIII. Avec un talent certain, qu’elle a eu l’occasion d’affûter auparavant dans des travaux remarqués, Françoise Hildesheimer réussit à renouveler le genre en dévoilant mieux que ses prédécesseurs la dimension spirituelle d’un homme mieux connu pour son sens de l’Etat que par sa volonté de perfection chrétienne. Il faut néanmoins beaucoup d’efforts à l’auteur pour nous en convaincre. Comment comprendre un prince de l’Eglise qui privilégie ses rapports avec les puissances protestantes pour mieux contrer l’Espagne catholique et dont la volonté politique de retrouver l’unité religieuse du royaume semble vacillante ? Françoise Hildesheimer brosse avec talent les grands épisodes de la vie du cardinal, comme le siège de La Rochelle ou l’affaire Cinq-Mars. Dans ces deux cas, se fait jour le seul regret que nous ayons à exprimer au sujet de ce travail remarquable, le manque d’exploitation des sources étrangères. Ainsi, la flotte espagnole serait arrivée volontairement en retard au siège de La Rochelle écrit-elle. Cette affirmation mérite des explications car le profane manque des clefs nécessaires à la compréhension de cette attitude. De même, on ne sait rien des raisons qui poussent Madrid à traiter avec Cinq Mars. Tout comme on n’apprend pas grand-chose des adversaires de Richelieu comme le comte-duc d’Olivarès ou des horreurs commises par les troupes françaises en Franche-Comté. A juste titre l’auteur pourrait rétorquer qu’il est impossible de condenser la vie de Richelieu en moins de 600 pages sans faire des choix douloureux. En dépit de ces fugaces regrets, l’auteur a réussi un portrait de Richelieu qui lui rend justice sans pour autant le flatter.

Six mois de la vie de Louis XIII



La double mort du roi Louis XIII Françoise Hildesheimer
Flammarion, 412 p., biblio., annexes, index, 22,50 euros, ISBN 978-2-0812-0308-2.


Grande dame des archives, Françoise Hildesheimer nous a gratifiés voici peu d’une belle biographie du cardinal de Richelieu (voir plus haut). Dans ce précédent ouvrage, elle a rééquilibré le couple politique à la tête de l’Etat en réhabilitant la part dévolue au monarque car il est difficile de faire le tour du cardinal-duc sans se heurter à la personne du roi. Toutefois, cerner la personne royale reste un exercice aux limites du possible tant la personnalité du prince de l’Eglise est imposante et hyperactive. Avec un nez remarquable, éduqué par des années de pratique, l’auteur a eu l’idée lumineuse de s’intéresser aux derniers mois du règne de Louis XIII, ceux qui séparent la mort de son premier ministre de la sienne. Cet intervalle, entre décembre 1642 et mai 1643, est très révélateur du rôle et de la personnalité du monarque, pourtant miné par la maladie.


Louis XIII, un roi méconnu.

Avec beaucoup de pédagogie, l’auteur introduit le lecteur aux grands débats politiques d’une France où le roi se meurt. Tout le royaume sait que le monarque n’a que quelques semaines, ou au mieux quelques mois à vivre, et la grande question est celle de la régence car le futur souverain n’a que quatre ans.
Françoise Hildesheimer montre bien que le roi ne peut pas régler sa succession selon son bon plaisir, les « lois fondamentales » du royaume s’imposent à tous, même à lui. L’autorité royale se transmet de manière automatique à un successeur désigné par la loi et non par le rapport de forces politiques.
En revanche, la charge de la régence n’obéit pas à de telles règles. Deux candidats sont en lice : Anne d’Autriche, la mère du dauphin, et Gaston d’Orléans, le frère cadet du roi. Qui va l’emporter ?


Anne d'Autriche, bien placée pour la régence.

En attendant, dès la mort de son premier ministre, Louis XIII poursuit l’œuvre de Richelieu et nomme Mazarin au Conseil, un signe évident de continuité.
L’auteur insiste à juste titre sur les mécanismes juridiques qui sont le fondement de la monarchie, comme les lits de justice. Elle en décrit minutieusement le fonctionnement, tout comme elle détaille la montée en puissance de Mazarin, dont elle met en lumière le peu d’intérêt pour les questions religieuses : il n’est même pas prêtre !
Françoise Hildesheimer se surpasse en plongeant le lecteur dans les circonvolutions d’une société compliquée où les alliances se fondent à la fois sur les rapports de force et les liens de sang. Les portraits qu’elle trace au fil des pages, du roi, de son principal ministre Mazarin ou de la reine Anne d’Autriche sont à la fois précis et concis.
Comme un magistrat instructeur, l’auteur dresse la liste des témoignages et sources de documents qui lui permettent de reconstituer les derniers mois de l’activité du souverain. Car il faut faire preuve d’ingéniosité pour combler les vides dans la vie d’un roi qui n’a pas laissé d’écrits. C’est en coupant et en recoupant les sources que l’historien peut reconstruire un récit cohérent, quitte à égratigner au passage ses prédécesseurs, moins férus de documents originaux et plus à même de faire confiance à des sources uniques.
Le roi s’affaiblissant de plus en plus, l’agitation s’accroît car tout le monde cherche à se placer en fonction de ses calculs pour la régence.
Enfin, le 20 avril 1643, le roi fait lire, devant les Grands du royaume et les représentants du Parlement, ce qui peut être considéré comme son testament politique dans lequel il désigne son épouse comme régente du royaume, mais en l’encadrant d’un quatuor de ministres en mesure de brider ses possibles initiatives. Quant à son trublion de frère, le roi le nomme lieutenant général du royaume, soit le garant de l’ordre dans le pays. Comme l’écrit l’auteur, il est à la fois « honoré et neutralisé ».
La mort de Louis XIII évoque celle de Philippe II, tous les deux affreusement minés par des maladies peu ragoûtantes et tous les deux animés par une foi sincère et une grande simplicité de vie, comme en témoigne la modicité de son trousseau.
Enfin, le livre s’attarde longuement sur le premier lit de justice de Louis XIV, organisé par Anne d’Autriche, qui casse les dispositions de son prédécesseur. Maintenant la régente tient son pouvoir du roi, imposant ainsi sa volonté au Parlement et réaffirmant les prérogatives royales.
Dans une certaine mesure, on peut parler de victoire posthume de Louis XIII car il a rallié son épouse à ses vues et le tandem Anne d’Autriche-Mazarin fait suite à celui formé par Louis XIII et Richelieu. Avec cette transition en douceur, l’Etat se normalise et se pacifie, annonçant la stabilité monarchique des règnes ultérieurs. Mais déjà se fait jour une évolution majeure, du roi serviteur de l’Etat que se voulait Louis XIII, on s’avance vers l’Etat au service du roi, comme le symbolise si bien le mot apocryphe de Louis XIV : « l’Etat, c’est moi ».
Rondement mené, d’une lecture plaisante, cet ouvrage n’en est pas moins le résultat d’un travail d’historien. En annexes, le lecteur trouve de nombreux documents originaux dans leur version intégrale, utiles à la compréhension du sujet ainsi que quelques pages consacrées à l’atelier de l’histoire qui se lisent avec bonheur. Bref, un ouvrage de qualité qui n’assomme le lecteur ni sous le poids d’une érudition aussi gratuite qu’inutile ni sous le nombre de pages. A recommander vivement.

lundi 22 octobre 2007

Ne jamais faire confiance à un historien anglais



Batailles

R. G. Grant
Flammarion, 360 p., ill., cartes, 40 e, ISBN 978-2-0812-0244-3.


Bel effort des éditions Flammarion dans le domaine des beaux livres. Voici quelques jours, nous avions signalé le sans faute de l’ouvrage consacré à la Ve République sous la signature de Jean Lacouture.
Toutefois, les plus belles gemmes cèlent des défauts et le tout récent album Batailles est le parfait exemple de ce qu’il ne faut pas faire. Voici quelques notes prises au fil de la lecture d'une sélection de pages de ce bel album.

En premier lieu, l’éditeur a oublié deux principes à respecter à chaque fois que l’on adapte un ouvrage acheté à des éditeurs d’outre-Manche :

1) Ne jamais faire confiance à un historien anglais.
2) Ne jamais faire confiance à un traducteur généraliste.


L’auteur, RG Grant, est un publiciste tout terrain qui écrit sur tout et n’importe quoi dans la mesure où un éditeur est prêt à lui signer un généreux contrat. Je dois à la vérité de préciser que Flammarion ne prétend à aucun moment que R. G. Grant est historien, l’éditeur se contente d’écrire « est l’auteur d’une vingtaine d’ouvrages historiques ». En réalité, on peut légitimement s’interroger sur son rôle car il semble davantage gérer une franchise éditoriale que conduire une carrière d’écrivain à la papa.
Ainsi, pour l’ouvrage Batailles qu’il signe de son nom, R G Grant a reçu le concours de cinq auteurs, et l’éditeur a mis sur le projet non seulement un responsable éditorial, mais quatre éditeurs, un responsable artistique, quatre graphistes, et deux iconographes. Sans compter cinq consultants et un correcteur. A la louche, un budget de plus de 200000 euros.
De quoi faire rêver un éditeur français. Ces moyens sont rendus possibles non seulement par le marché du livre en langue anglaise mais aussi sur le fait que ces livres grand-public sont vendus à coup sûr à des éditeurs pour les petits marchés comme la France ou l’Italie.
Avec 360 pages, plus de mille illustrations, de nombreuses cartes, une mise en page fouillée et recherchée, cet album est bien placé pour attirer les regards et motiver les décisions d’achat pour les fêtes. D’autant que son prix de vente, 40 euros, est très modéré. Il s’explique probablement par son impression à Singapour en même temps que les éditions en d’autres langues.
En d’autres termes, c’est un bel exemple de ce que la mondialisation éditoriale peut apporter aux cadeaux de fin d’année.
Les points forts de l’ouvrage sont nombreux. Outre une superbe réussite esthétique, soulignons le réel effort de cartographie. A quelques exceptions près (comme la présence d’une nation basque en Espagne au VIe siècle, séparant les Francs des Wisigoths), la cartographie est de très bonne qualité et, surtout, elle s’intéresse à des moments mal connus des français.

Une perspective plus mondiale

Un des atouts de cet album est une perspective plus globale donnée aux événements. Ainsi, la grande poussée de l’Islam qui conduit les tenants des Mahomet à envahir et à conquérir des pays chrétiens s’est également dirigée vers l’est où elle a fait face à la résistance des hindous.
De nombreuses pages sont consacrées aux guerres en Asie, horizon qui manque habituellement aux ouvrages européens.

En revanche, les défauts de l’adaptation française sont si criants qu’ils interdisent tout usage sérieux de cet ouvrage. Il est notamment à déconseiller pour tout emploi scolaire.

Les économies de bout de chandelle

Les éditeurs qui achètent dans un pays anglophone un livre avec un tel pedigree sont rétifs à l’idée de rajouter des coûts au budget qu’ils prévoient important de traduction. Pourquoi s’encombrer d’un consultant français, spécialisé dans l’histoire militaire, pour revoir un travail ayant reçu un satisfecit orné d’aussi prestigieuses signatures que celles des consultants cités à l’ours de l’ouvrage ?
Pourquoi en effet, on se le demande.
En premier lieu, parce que ce livre a été écrit par des Anglais qui sont à l’histoire ce que Déroulède était à la poésie.
En second lieu, car il n’existe pas de traducteur universel. Prenons ceux sélectionnés par Flammarion pour mettre en français ce gros volume consacré à la guerre, aux massacres, aux batailles, aux armes et autres instruments de mort. Stéphanie Soudais est une spécialiste de jardinage à laquelle on doit Les fleurs sauvages par couleur.
Nordine Haddad, bien connu des éditions du Rocher, est quant à lui est un traducteur qui a de la bouteille, mais il se spécialise dans la littérature, un domaine bien éloigné des champs de bataille.
Il s’agit donc de personnes qui, en raison de leur expérience, seraient bien en peine de distinguer une gâchette d’une queue de détente.

Voici un bel exemple d'erreur de traduction qui ne s'explique que par le manque de culture générale historique et militaire des traducteurs et des éditeurs :


Faut-il en déduire que Pierre Clostermann, un des grands as français de la Seconde Guerre mondiale est un pilote américain ? Faut-il penser que personne chez Flammarion ne connaît Pierre Clostermann ? Pourtant cet éditeur devrait le savoir.

Voici la couverture d'un des ouvrages écrits par Pierre Clostermann et publié par… Flammarion !




Erreurs de traduction

Tout lecteur bien informé ne manquera pas de grimper au plafond en lisant le livre tant les erreurs de traduction abondent. Sans vouloir être exhaustifs, en voici une sélection.

Le 12 juillet 1690, à la bataille de la Boyne en Irlande, les orangistes ont battu les jacobins.
Il aurait fallu écrire : les jacobites.

En parlant de la guerre hispano-américaine de 1898 : « Ce fut une guerre malheureusement menée d’un seul côté et que l’on peut résumer à la guerre de Santiago de Cuba, en juillet ». Beau charabia.

Confusion. En rendant compte de la mort du baron de Ketteler, ministre plénipotentiaire d’Allemagne à Pékin, les traducteurs ont confondu ministre d’Allemagne (terme diplomatique) et ministre allemand.

Confusion entre le terme anglais pour désigner un fusil et un canon. Ainsi, à la bataille de Tannenberg, les Allemands capturent entre 300 et 500 canons russes et non pas des « fusils ».

Charabia. L’empereur autrichien François-Joseph félicitant un soldat récemment décoré de l’armée de masse austro-hongroise. En fait, il s’agit de l’empereur Charles qui décore un soldat du rang.

Charabia. Malgré l’excitation d’avant-guerre causée par la course à la construction des flottes, Jütland fut le seul conflit majeur entre la grande flotte britannique et la flotte allemande de Haute mer.

Confusion. Le cuirassé de poche Graf Spee fut poursuivi par les cuirassés Exeter (lourd), Ajax et Achilles (légers). En réalité, l’HMS Exeter était un croiseur lourd et non pas un cuirassé. Quant à l’HMS Ajax et à l’HMS Achilles c'étaient des croiseurs légers.

Les villes anglaises « mises à sac » par les bombardements allemands..

L’amiral John Jellico au lieu de John Jellicoe.

Les erreurs de terminologie conventionnelle sont particulièrement préoccupantes car elles interdisent à un lecteur non averti de s’y retrouver.

Guerre de Grande Alliance
Guerre de la Ligue d’Augsbourg

Wilhelm III, prince d’Orange
Guillaume III, prince d’Orange

William III, roi d’Angleterre
Guillaume III, roi d’Angleterre

Guerre de la Succession d’Espagne
Guerre de Succession d’Espagne

La guerre Franco-indienne
Traduction mot à mot de l’expression French and Indians wars en usage en Amérique du nord pour décrire les combats qui s’y sont déroulés durant la guerre de Sept Ans. Cette expression n’est pas utilisée en français.

Cœur violet
Purple Heart

Front de l’Est (Première Guerre mondiale)
Front oriental

Grande flotte de la Royal Navy
Grand Fleet de la Royal Navy

Français et forces impériales
Français et troupes coloniales

Troupes britanniques écoutant leur brigadier
Troupes britanniques écoutant leur général

Erreurs de légende

Confondre catapulte et trébuchet.
Appeler stone hurler un trébuchet comme s’il s’agissait d’une désignation usuelle pour cette arme.

Sur la même double page, la guerre de Trente ans est déclenchée par deux événements différents et à deux dates différentes. Sur la page de gauche, c’est la défenestration de Prague le 23 mai 1618, alors que sur la page de droite, c’est au contraire la bataille de la Montagne blanche en juillet 1620 qui marque le début du conflit.

Les guerres de religion ne sont pas déclenchées en France par les massacres de la Saint-Barthélemy, mais cet événement ponctue dramatiquement un conflit commencé au moins dix ans plus tôt.

Sur le tableau du siège de Yorktown, Rochambeau n’est pas à la gauche de Washington, mais à sa droite.

Les auteurs ne manquent pas de culot en écrivant que l’affrontement de frégate américaine Bonhomme Richard contre la frégate anglaise Serapis est « la bataille navale la plus célèbre du siècle ».

« Isandhlwana. Le camp britanniques ravagé par les Indiens », il s’agit plutôt de Zoulous.



Il s'agit d'un canon français de 37 mm et non pas d'une mitrailleuse.



Erreurs de méthode

La double page consacrée à la guerre de Crimée réussit l’exploit de ne pratiquement pas parler des Français et de ne pas dire mot des grands enseignements de cette guerre très moderne. Ainsi, le rôle de la marine est passé sous silence alors qu’à elle seule la flotte française, renforcée par les bâtiments réquisitionnés, a transporté dans les deux sens 310 000 hommes, 42 000 chevaux, 1 676 pièces d'artillerie et 600 000 tonnes de matériels divers. Un exploit pour cette époque.

Erreurs d’illustrations


Outre le choix malheureux d’illustrations anachroniques provenant des illustrateurs du XIXe siècle, un oeil averti repère des erreurs qui n’auraient pas dû échapper à l’armée de consultants recrutée à grands frais pour ce livre. Prenons le cas de la bataille de Dreux ayant opposé en 1562 le prince de Condé aux huguenots du prince de Condé. Or, on voit sur la gravure des cavaliers arborant les bâtons noueux de Bourgogne avec les inscriptions Egmund folck et Duc du maÿnn folck. Il n’est pas besoin d’être un grand clerc pour savoir qu’il s’agit en réalité de la bataille d’Ivry en 1590 (la où fut prononcée la célèbre phrase « Ralliez-vous à mon panache blanc» où Henri de Navarre défit les troupes du duc de Mayenne appuyée par des contingents venus des Pays Bas sous les ordres du comte d’Egmont.
De même, l’illustration du siège d’Anvers en 1584 est en réalité la réception du duc d’Anjou en 1582 à Anvers par Guillaume d’Orange.

Dans cette illustration, on voit parfaitement que les cavaliers sont des Espagnols (drapeau aux bâtons noueux de Bourgogne) et les mentions manuscrites nous indiquent que le comte d'Egmont et le duc de Mayenne mènent la charge. Ce n'est donc pas la bataille de Dreux, mais celle d'Ivry.


Autre erreur de légendage.


Deux rebelles indiens pendus lors de la révolte des cipayes et dont la photographie par Felice Beato a fait le tour du monde, sont légendés comme étant des victimes de la retraite de Kaboul.

Inventivité géographique

Au Chili, les monts Fitzroy et Torre surplomberaient le champ de bataille de Chacabuco. En réalité, ces sommets sont éloignés de milliers de kilomètres de la plaine où eut lieu l’affrontement entre Créoles et Espagnols.

Considérer que les sultanats d’Afrique du nord sont des « empires africains » est une concession au politiquement correct. Le Maroc qui bat les Portugais à Alcazarquivir n’est en rien un « pouvoir africain ».

Erreurs de terminologie

« Au XXe siècle, le dictateur fasciste Franco tenta en vain » d’acquérir “El Tizona”, l’épée du Cid.»
Dans un premier temps, l’épée est du genre féminin en espagnol et jamais Franco ne cherché à l’acquérir puisque ses troupes l’avaient récupérée au château de Figueras en 1939 pour l’exposer depuis cette date au musée de l’Armée de Madrid.
Dans un second temps, qualifier de « fasciste » le général Franco peut se comprendre dans un ouvrage polémique mais pas dans un texte de nature historique. C’est induire ses lecteurs en erreur tant sur la nature du fascisme que sur cette de la dictature du général Franco.

Confusion entre « capitulation et armistice ». En 1943 l’Italie ne capitule pas, elle signe un armistice avec les Anglo-américains et devient cobelligérante.

Un livre d’histoire anglaise


On donne beaucoup d’importance à la tentative espagnole d’envahir l’Angleterre sous Philippe II, mais on oublie complètement l’échec de cette autre armada invincible envoyée en 1741 par les Anglais conquérir l’Amérique espagnole et qui fut misérablement défaite par une poignée d’Espagnols commandés par un borgne manchot et unijambiste, Blas de Lezo.
Cette flotte, la plus puissante jamais encore rassemblée dans l’histoire européenne, sous le commandement de l’amiral Vernon, comptait 2000 canons, 186 navires, et 23000 combattants, soit largement plus que la trop célèbre Armada invincible.
Or, on a beau chercher à la loupe cette extraordinaire victoire espagnole, on ne la trouve pas. Victime de l’oubli délibéré par les Anglais de cet affront à leur honneur national.
Cette défaite a empêché les Anglais de s’emparer des possessions espagnoles d’Amérique et ainsi changer le cours de l’histoire.
Dans le même registre, passent à la trappe les victoires espagnoles dans le golfe du Mexique durant la guerre d’Indépendance américaine. Sont oubliés la prise de Pensacola, une belle opération combinée franco-espagnole, tout comme l’échec des deux tentatives anglaises d’invasion du Rio de la Plata en 1806 et 1807, repoussées grâce à l’énergie de Jacques de Liniers, un Français natif de Niort.

Les Français oubliés


La bataille de Navarin selon R G Grant.


Un seul exemple. Le texte consacré à la bataille de Navarin, où une escadre anglaise, française et russe coule une flotte ottomane, oublie tout simplement de mentionner la participation de notre pays.

Voici ce que l’on peut lire dans l’ouvrage de R. G. Grant:

Turcs : 3 vaisseaux et 17 frégates.
Britanniques : 7 vaisseaux et 10 frégates.

Or voici l’ordre de bataille exact donné par l’ouvrage Naval History of Great Britain de William James :

Royaume Uni
Vaisseaux :
Asia, 84 canons
Genoa, 74 canons
Albion, 74 canons
Frégates :
Glasgow, 50 canons
Cambrian, 48 canons
Dartmouth, 42 canons
Talbot, 28 canons
Bricks
Rose, 18 canons,
Mosquito, 10 canons
Brisk, 10 canons
Philomel, 10 canons.

France
Vaisseaux
Sirene, 60 canons
Scipion, 74 canons.
Trident, 74 canons
Bresleau, 74 canons
Frégates :
Armide, 44 canons

Russie
Vaisseaux :
Azov, 74 canons.
Gargonte, 74 canons.
Ezekiel, 74 canons.
Alexander Newsky, 74 canons.
Frégates
Constantine, 50 canons,
Provernoy, 48 canons
Elena, 48 canons
Caston, 48 canons

Turcs : 3 vaisseaux, 15 frégates et 18 corvettes.

Tués et blessés

Français 176
Russes : 198
Britanniques : 272

Total : 646. RG Grant ne concédant que 660 pertes britanniques.

Erreurs de fond


Roland. Selon R G Grant, A Roncevaux, Roland refuse de sonner le cor pour appeler les renforts. Pourtant la Chanson de Roland nous apprend qu’il a eu les tympans crevés.


Vaisseaux en bois. Selon le texte, les vaisseaux de guerre comme le Victory ont « dominé les batailles navales jusqu’à la seconde moitié du XIXe siècle. » Il s’agit d’une version très contestable dans la mesure où la mise au point de l’obus explosif par les Français et plus tard la mise en service des navires protégés à vapeur (comme la Gloire) a mis un terme à suprématie de ces navires. En réalité, la dernière bataille navale à laquelle participent des vaisseaux est celle de Navarin en 1827.


Un exemple stupéfiant



Comment faire confiance à cet ouvrage quand les auteurs commettent des erreurs aussi graves que celles qui entachent la présentation de la guerre des Malouines, un conflit pourtant récent et parfaitement documenté ?

Deux affirmations des auteurs sont totalement fausses :

« les avions Harrier britanniques ne purent résister aux avions argentins, et 26 d’entre eux furent abattus pendant le conflit ».
Dans les faits, c’est tout le contraire. Les Britanniques n’ont perdu aucun Harrier en combat aérien et ils ont dominé l’espace aérien sans partage grâce à leur supériorité conférée par leurs missiles dernière génération dont les Argentins ne disposaient pas.

« Le 19 mars 1982, un groupe de civils argentins se faisant passer pour des ferrailleurs débarqua sur l’île de la Géorgie du Sud et la déclarèrent propriété de l’Argentine. »
A nouveau les auteurs ont tout faux. On se demande s’ils n’ont pas rédigé cette notice à l’aide des coupures de presse du Sun ou du Daily Mail. Car c’est en effet dans ces termes que la presse de caniveau anglaise présenta les faits à ses lecteurs le lendemain. Dans les faits, ces travailleurs étaient bien des ferrailleurs et ils étaient venus dans les îles avec l’accord du gouvernement britannique dans le cadre d’un contrat commercial en bonne et due forme. Voici ce qui s’est réellement passé.

Les Malouines

En 1979, Constantino Davidoff, un ferrailleur argentin, se porte acquéreur auprès d’une compagnie anglaise d’une station baleinière désaffectée en Géorgie du sud, un territoire dépendant des Malouines. Davidoff, ne pouvant utiliser les services du navire britannique desservant l’île pour y transporter ses ouvriers et son équipement, accepte bien volontiers d’affréter le Bahia Buen Suceso, un cargo appartenant à une compagnie de navigation gérée par la Marine argentine.
Davidoff et ses ouvriers, munis des papiers réclamés par l’ambassade anglaise à Buenos Aires, arrivent sur le site de la station baleinière le 19 mars 1982 et entreprennent de débarquer leur matériel. Ils sont interceptés par trois membres du British Artic Survey qui leur intiment l’ordre de se présenter auparavant à Grytviken pour y régulariser leur situation. Les Argentins s’y refusent car ils sont dispensés de cette formalité en vertu d’un accord de libre circulation entre les deux pays.
Mis au courant de la situation, Rex Hunt, le gouverneur des Malouines informe Londres que la Géorgie du sud a été envahie par des militaires et des civils argentins. Les représentants de la FIC se chargent de faire monter en pression la presse populaire qui trouve dans cet incident l’occasion de relancer la xénophobie antihispanique.
Le 21 mars 1982, Foreign Office accepte les explications argentines et qu'il s'attend au départ du Bahia Buen Suceso pour le lendemain. Toutefois, dans les îles l'humeur des autorités n'est pas à la conciliation. Sans consulter lord Carrington, mais avec l'accord de la Royal Navy, le gouverneur Rex Hunt ordonne à vingt-deux Marines de s'embarquer à bord de l'Endurance pour expulser les Argentins manu militari.
La presse londonienne s'en donne à cœur joie, exacerbant les passions avec des articles à sensation largement alimentées par les bureaux de la FIC. Les Anglais indignés apprennent en prenant leur petit-déjeuner que les Argentins ont envahi la Géorgie du Sud, mettant en péril la sécurité du Royaume et celle du monde libre. Ils omettent d'écrire que le navire a quitté les lieux, que les travailleurs ont débarqué dans le cadre d'un contrat en bonne et due forme et que des Royal Marines sont en route pour les expulser.
Voilà l’origine probable des informations utilisée par R. G. Grant pour écrire cette notice lamentable sur les Malouines : des coupures de presse xénophobes.

Quelle leçon tirer de ce désastre éditorial ?

Se souvenir que les Anglais sont anglais et qu’ils voient l’histoire du monde d’un autre œil que le nôtre. De même que l’on ne peut pas acheter des livres de jardinage anglais sans les adapter en raison de la différence de climat, on ne peut acheter des livres d’histoire illustrés sans prendre en compte nos différences de perspective. Enfin, pour talentueux qu’ils soient, les traducteurs non spécialistes ne bénéficient pas d’un savoir universel. L’éditeur doit faire appel à des adaptateurs spécialisés bénéficiant du concours de spécialistes en mesure de repérer les erreurs ou la mauvaise foi et de rectifier les mauvaises traductions.
Voilà pourquoi nous encourageons Flammarion à réclamer une ristourne à Dorling Kindersley et à préparer une édition revue et corrigée pour les futures réimpressions.

A titre d’exemple à suivre, voici ce que nous avons écrit de l'édition française d’un autre ouvrage de R G Grant ayant bénéficié d’une adaptation bien faite.

Aviation, un siècle de conquêtes

R. G. Grant
Sélections du Reader’s Digest, 452 p., ill., index, 44,95 e, ISBN 2-7098-1789-6.

Ce magnifique album est une version grand-public de l’histoire de l'aviation. L’auteur est un publiciste tout terrain qui ne brille pas par des qualités universitaires. Après un premier titre en 1995 consacré à « 1848, l’année des révolutions », il a publié près de trente ouvrages, le dernier en 2006 (Communism), soit trois titres par an. Une belle moyenne et un bel éclectisme. R. G. Grant s’est intéressé aussi bien à l’holocauste, qu’aux grands assassinats, à la traite des noirs, à la biographie de Winston Churchill ou à l’histoire des services secrets britanniques. Contrairement aux affirmations de l’éditeur, toujours optimiste, l’auteur n’est pas un historien mais un vulgarisateur. Faut-il alors déconsidérer pour autant ce livre superbement illustré ? Non pour deux raisons. La vulgarisation est un vrai métier et R. G. Grant a un réel talent de communicateur et, last but non least, la version française a été assurée par un historien de valeur, Patrick Facon, qui a adapté le texte au lectorat français. On sent sa patte dans la description de la bataille aérienne de 1940 où l’ouvrage rend hommage à l’Armée de l’air française, or il y a fort à parier que ces lignes ne se trouvent pas dans l’édition originale. En revanche, le récit de la bataille d’Angleterre est plus conventionnel et respecte la légende dorée de la RAF sans rappeler, par exemple, que la décision allemande de bombarder les villes anglaises est une action en représailles aux bombardements des villes allemandes ordonnés par Churchill pour obliger la Luftwaffe a ralentir ses attaques des installations aéronautiques britanniques. Ces divergences d’appréciation sont normales pour un livre grand public qui doit rester dans le ton de l’histoire telle que la racontent les journalistes, sans trop verser dans les opinion hétérodoxes, privilège des historiens. La qualité de la recherche iconographique, la précision du vocabulaire en font un volume très réussi, parfaitement adapté à son public que l’on peut recommander sans grandes réserves.

mardi 16 octobre 2007

Une République en images


Les Grands Moments
de la Ve République

Jean Lacouture
Béatrix Baconnier

Flammarion, 240 p., ill., 35 e, ISBN 978-2-0812-0544-4.

Voici un ouvrage qui prouve qu'un livre de photographies peut concilier élégance, intelligence et pertinence. Les éditeurs croient souvent que pour réaliser un volume illustré il suffit de mobiliser une iconographe durant une semaine ou deux, commander un texte d'introduction à un nom bien coté et de faire appel aux rédacteurs maison pour rédiger les légendes. Le résultat de cette improvisation est en règle générale catastrophique. Les photos sont souvent toujours les mêmes et leur qualité inégale ; l'auteur sollicité pond un texte sans grand rapport avec le sujet, et pour cause, il a écrit son introduction avant même que le livre ne soit achevé et les rédacteurs bâclent des légendes au kilomètre en se basant sur les renseignements au dos des tirages et en les complétant à l'aide de leur très lacunaire culture personnelle.
Avec bonheur, les éditeurs de Flammarion démontrent qu'il est possible de pondre un marronnier de fin d'année, le type de livre qu'une belle-mère en manque d'imagination offre à son gendre, sans succomber aux poncifs du genre et aux mauvaises habitudes de la profession.
Tout d'abord, Flammarion a signé un partenariat avec l'agence France Presse. L'éditeur est content car il obtient ses photos à un tarif compatible avec l'économie de l'édition, et l'agence aussi car elle va disposer d'un ouvrage idéal pour valoriser un stock dormant et pour offrir en cadeau à ses clients et à son personnel méritant. Ensuite, l'éditeur a choisi l'homme ad hoc, ou plutôt dans ce cas, la femme idoine pour prendre à bras le corps le livre. Béatrix Baconnier s'y connaît en photographie, (elle est diplômée en photographie), elle a décroché un doctorat en science politique et elle est journaliste politique à l'AFP chargée de l'Assemblée nationale. Ce poste lui laisse selon toute vraisemblance quelques loisirs qu'elle met à profit pour s’immerger dans les archives de sa maison, lesquelles n'ont pas toujours été réputées pour leur efficacité. Voilà comment elle a réuni une première sélection d'environ deux mille clichés couvrant l'ensemble des cinquante années de la Ve République. Certes, on y trouve des photographies très connues comme celle de De Gaulle s'envolant pour Baden-Baden (un des rares clichés dans ce livre qui ne soient pas de l'AFP), mais pouvait-on faire autrement ? Dans l’ensemble, les photographies illustrant l’ouvrage sont bien choisies et pas trop connues. Les légendes sont pertinentes et les textes récapitulant les grands événements du régime réduits au strict minimum. L’introduction de Jean Lacouture n’est pas un simple exercice de style et ne dépare en rien l’ouvrage, bien au contraire. Au rayon des regrets, mentionnons quelques choix de capitales à nos yeux malheureux comme « Premier ministre » au lieu de « premier ministre », une mise en page qui n’a pas assez soigné la typographie et l’alignement des textes. En dehors de lignes de blanc erratiques qui ne semblent se justifier que par le soin d’éviter quelques veuves et orphelins ou de l’oubli des cadratins en début de paragraphe, ce qui gêne le plus le lecteur est l’absence de blancs typographiques qui font toute l’élégance d’une composition à la française.
Mais ces « détails », comme le dirait le premier ministre François Fillon, ne seront vus que par une poignée de lecteurs prêts à sodomiser les diptères et certes pas par les personnes en mal de cadeau de fin d'année à qui ce bel ouvrage est destiné.

vendredi 14 septembre 2007

Osiris toujours là

Osiris
Bojana Mojsov
Flammarion, 330 p., ill., cartes, notes, index, glossaire, chronologie, biblio., 22 e, ISBN 978-2-0812-0307-5.
Les dieux auraient-ils une histoire ? La lecture de ce livre semble le prouver. L’auteur s’attache à suivre sur près de cinq mille ans (trois mille de civilisation égyptienne et deux mille de notre ère) le dieu Osiris, tant lors de sa naissance, de sa gloire, de sa décadence et de sa survivance dans des influences aussi inattendues que l’eucharistie chrétienne ou la franc-maçonnerie. Original et bien fait, ce livre ravira tous ceux qui s’intéressent à l’Egypte ancienne et à l’histoire des religions.