Le visiteur qui m'a reproché d'avoir oublié la chronique d'Alain Duhamel dans le numéro de Libé consacré à la Belgique a bien eu raison de le faire. Ce commentateur tout-terrain de la vie politique française possède une compétente réelle et reconnue pour analyser les évolutions des partis et des élites parisiennes qui les dirigent. Certes, il peut commettre quelques bévues, comme oublier de citer Marie Ségolène Royal au sommaire d'un livre consacré aux possibles candidats socialistes à la présidence de la République, mais il se rattrape talentueusement aux branches sur les plateaux de la télévision, où il est souvent invité, ou bien dans les débats radiophoniques auxquels il apporte une verve bienvenue.
En revanche, sa chronique consacrée à la Belgique dans le moniteur des bobos métropolitains a vraisemblablement été écrite entre deux rendez-vous, sur le coin de table d'un bistrot, car les qualités habituelles du rédacteur ne s'y trouvent guère.
Même s'il rappelle que cet Etat n'est en rien une veille nation, la dimension d'accident de l'histoire de la Belgique échappe largement à Alain Duhamel. Notre auteur ne mentionne guère que les peuples qui la composent possèdent quant à eux une longue histoire et une forte notion de leur identité (principalement les Flamands, il faut le concéder).
Avancer, comme il le fait, que la Belgique inventait le modèle européen du XXIe siècle est une grave erreur de perspective. La logique de l'intégration européenne est celle de la mort d'Etats artificiels, comme la Belgique, au profit de l'Europe des régions. C'est bien ce que dénoncent à juste titre des souverainistes français comme Pierre Hillard qui craignent qu'un jour un sort semblable ne frappe la France.
La Belgique n'ayant pas d'histoire, mais que des regrets, la séparation des Flamands des Wallons ne sera guère plus douloureuse que celle entre les Tchèques et les Slovaques, deux autres peuples éloignés par des reproches et des avanies réciproques.
Sans son billet, Alain Duhamel frappe très fort en écrivant : « Depuis le Moyen Age, la Belgique a été occupée par les Bourguignons, par les Espagnols, par les Autrichiens, par les Français, par les Allemands, par les Hollandais… » Faut-il en déduire que cette Etat surréaliste est né au Moyen Age ? Pourquoi pas du temps des Romains ? Il en ajoute un couche sévère : « [la Belgique] n'a trouvé sa forme réelle de nation qu'en 1831 ». Sapristi, notre homme vient de ressusciter le terme de « nation » dans son acception parisienne (celle qui démontre tous les jours sa validité dans les banlieues françaises à la lumière des voitures qui brûlent) pour l’appliquer à la Belgique. Il est pourtant bien placé pour savoir que le terme nation désigne deux réalités bien différentes que l’on soit français ou non. Pour les premiers, la nation regroupe des citoyens animés par la volonté de vivre ensemble ; pour le reste de l’Europe, une nation regroupe des personnes ayant en commun une histoire, un héritage culturel et une langue.
Donc pour Alain Duhamel les Belges constituent une nation et les Flamands sont d’affreux communautaristes. Alors que pour un Allemand ou pour un Ecossais, les Flamands constituent un cas exemplaire de nation opprimée qui a le droit d’obtenir son indépendance.
Mais la question doit être posée, si les Flamands constituent une nation, que sont les Wallons ? La réponse sans fard est : pas grand chose. Ayant oublié leur héritage historique, largement associé au Saint Empire Romain Germanique, à la Bourgogne, aux monarchies hispanique et habsbourgeoise, ayant cru que la Belgique allait se révéler un cadre adapté à leurs ambitions, parlant la même langue que leurs voisins méridionaux, il manque aux Wallons les fondamentaux pour se bâtir une nation. Voilà pourquoi, face à l’irrédentisme flamand, il ne leur reste plus qu’à agiter le tricolore belge et à distribuer des bisous belgicains. Pas de quoi faire changer d’avis un Flamand.
Si, on peut avancer une autre hypothèse de travail : celle de reconstituer les Pays-Bas, en rassemblant les néerlandophones du nord et du sud avec les francophones au sein d’une entité fédérale à imaginer. Il faudrait aussi profiter de l’opportunité pour rendre les territoires allemands, fruit peu glorieux du butin de 1918, et laisser aux Wallons germanophones le choix de rejoindre le Luxembourg s’ils le souhaitent. Il me semble qu’ils seraient nombreux à le faire. On respire un meilleur air rue du Curé ou rue Notre-Dame à Luxembourg que rue Général-De-Gaulle à Liège.
Cela semble un rêve ? Oui, mais ne dit-on pas que Tintin est allé sur la Lune ?