mardi 25 septembre 2007

Katyn en images


Au printemps 1940, les Soviétiques ont pratiqué une sorte de nettoyage ethnique de la population polonaise en la privant d'une partie de son élite sociale, jugée rétive au socialisme. Sur le seul site de Katyn, près de 4500 officiers polonais ont été assassinés, l'un après l'autre, par la police communiste.

Après un demi-siècle de silence honteux, le cinéaste polonais vient de réaliser le premier film de fiction consacré à ce drame.


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Légende du cinéma mondial, le Polonais Andrzej Wajda a présenté mercredi à Varsovie son nouveau film, dans lequel il raconte l'histoire tragique de son père, l'un des 22.500 officiers polonais massacrés par les Soviétiques en 1940 à Katyn et d'autres camps.

Le cinéaste, âgé de 81 ans, a choisi de placer au début du film, sous le titre de "Katyn", une dédicace: "A mes parents".

Son père, Jakub Wajda, était capitaine d'un régiment d'infanterie de l'armée polonaise. Il a été exécuté d'une balle dans la nuque par le NKVD, la police secrète de Staline.

Et comme des centaines d'autres femmes, sa mère a longtemps refusé d'accepter sa mort. "Ma mère s'est nourrie d'illusions jusqu'à la fin de sa vie, car le nom de mon père figurait avec un autre prénom sur la liste des officiers massacrés", a-t-il raconté à l'issue de la première projection du film pour la presse.

Symboliquement, la première du film aura lieu le 17 septembre, le jour même où en 1939, l'Armée rouge envahit l'Est de la Pologne pour se partager le pays à l'amiable avec l'Allemagne nazie qui avait commencé son invasion le 1er septembre.

Le film commence ce jour-là sur un pont où deux foules se pressent en sens inverse: l'une pour fuir l'Armée rouge, l'autre la Wehrmacht. Il se termine sur les images insoutenables des exécutions perpétrées une à une dans la forêt de Katyn.

Le massacre fut révélé pour la première fois par les nazis qui mirent au jour les charniers après la rupture du pacte germano-soviétique et leur invasion de l'URSS en juin 1941.

L'URSS rejeta immédiatement la responsabilité du massacre sur les nazis. L'Occident resta muet pour ne pas envenimer ses relations avec Moscou, devenu un allié indispensable dans la guerre contre Adolf Hitler.

Le film est une fiction, mais, a insisté Andrzej Wajda, il est basé sur des histoires et des épisodes authentiques. Une bonne partie du film se déroule à Cracovie et raconte l'attente des femmes entre 1939 et 1950. Le cinéaste a également utilisé des images d'archives tournées par les Allemands lors de l'exhumation des corps en 1941, puis celles tournées par la propagande soviétique.

"Ce film n'aurait pas pu voir le jour avant, ni dans la Pologne communiste, ni en exil, en dehors de la Pologne, où il n'y avait pas d'intérêt pour le sujet", a déclaré le cinéaste.

"Aucun cinéaste sain d'esprit n'aurait pu le tourner à l'époque communiste, sinon, il aurait dû présenter la version officielle", a-t-il dit. Car le film montre aussi le mensonge entretenu par le régime communiste polonais qui a persisté à attribuer le massacre aux Allemands.

Ce n'est qu'en avril 1990 que le président soviétique Mikhaïl Gorbatchev a fini par reconnaître la responsabilité de l'URSS. En Pologne, pratiquement jusqu'à la chute du communisme, il était interdit de parler de Katyn, dont la forêt est devenu le symbole du massacre des élites polonaises, même s'il s'est déroulé dans plusieurs lieux, à Kharkiv (Ukraine) et à Miednoïe (Russie).

"J'espère qu'il y aura d'autres films sur le même sujet. Mon, film n'est qu'un premier film", a déclaré le cinéaste, qui a reçu en 2000 un Oscar pour l'ensemble de sa carrière de plus de cinquante ans.

"Enfin il y a ce film", a déclaré l'acteur Andrzej Seweryn, présent lors de l'avant-première. "Toute la Pologne l'attendait. Wajda n'a pas pu échapper à ce film, il s'est longtemps préparé à le faire, il appréhendait le sujet, cherchait le bon scénario", a-t-il ajouté, "c'était pour lui tellement important".

Pour assurer la réussite du film, Wajda a confié les images à Pawel Edelman, chef-opérateur pour le Pianiste de Roman Polanski et la musique au compositeur polonais Krzysztof Penderecki.



Monument aux victimes de Katyn.


Pour en savoir plus sur le massacre, nous conseillons




Staline assassine la pologne 1939-47
Alexandra Viatteau
Seuil, 340 p., ISBN 2-020-23171-9.

A près le pacte germano-soviétique d'août 1939, Staline décide l'élimination systématique des élites polonaises. Crimes contre la paix, crimes de guerre, crimes contre l'humanité : telle fut pendant près de deux ans la pratique quotidienne des communistes soviétiques. Le méfait le plus connu fut l'assassinat de sang-froid de plus de 15000 officiers polonais dont les corps ont été trouvés dans le bois de Katyn et dans les charniers de Miednoyé et Dergatché. Parallèlement, Staline et sa police politique déportèrent au goulag, en Sibérie et au Kazakhstan, près de 1 800 000 Polonais, dont plus d'un million ne revinrent jamais; ils assassinèrent sans conteste plus de 25000 prisonniers de guerre et environ
124 000 autres disparurent, probablement également assassinés. La seconde occupation de la Pologne par l'Armée rouge, à partir de l'été 1943, vit se reproduire les mêmes tueries, les mêmes déportations de masse. Ce livre traite de cette immense tragédie, qui relève du génocide, et que l'Occident, pour des raisons diplomatiques, a voulu ignorer pendant un demi-siècle. L'effondrement du régime de Moscou et l'ouverture des archives soviétiques et communistes de Pologne permettent enfin d'établir l'histoire de cette persécution et ainsi d'honorer la mémoire des victimes innocentes.
On ne peut rester insensible à l’immense tragédie du peuple polonais entre les mains de deux bourreaux. C’est le mérite du livre d’Alexandra Viatteau que de nous rappeler les pages volontairement oubliées de ce drame sanglant.

Extraits

Voici le témoignage de Klimov Piotr Fiodorovitch : « J'ai travaillé au NKVD-GPU de Smolensk depuis 1933… Je lavais le sang des fusillés sur ordre de Grigoriev, chef du garage. Je lavais les voitures, un minibus et un camion trois tonnes. C'est comme ça qu'ils transportaient les cadavres en les chargeant à l'aide d'un transporteur pour ne pas utiliser les civières, comme avant qu'Alkhimovitch ne bricole le transporteur à moteur. Les caves où ils fusillaient se trouvent sous le bâtiment de l'actuel bureau des Affaires intérieures russes de Smolensk, rue Dzierzynski... « Ceux qui tiraient (ceux dont je me souviens), c'étaient: Gribov, Stelmakh et Gvozdovsky, Remson Karol, j'ai oublié les autres... Parmi ceux qui transportaient les cadavres, il y avait Levtchenko, mais il a été tué par un prisonnier, un Polonais à ce qu'il me semble. Celui-là avait réussi à rester en vie par hasard et il s'est frayé le chemin vers l'armurerie, puis il a ouvert le feu et il a blessé encore quelqu'un, je ne sais plus qui. Pendant trois jours, ils n'arrivaient pas à tuer ce prisonnier, qu'ils arrosaient avec des lances à eau de pompiers avant de l'asphyxier au gaz… Ils ont fusillé les militaires polonais à Kozie Gory en 1940. C'est la compagnie de Stelmakh Ivan Ivanovitch qui l'a fait, il était le commandant du NKVD de Smolensk. Je suis allé par hasard à Kozie Gory et j'ai vu une fosse: elle était immense et allait jusqu'au marais, avec des Polonais dedans en plusieurs couches recouvertes de terre. On les abattait directement au bord des fosses. Pour ça, je le sais, car j'ai vu les cadavres des Polonais et Oustinov m'a raconté comment ça se passait: il était chauffeur et amenait les Polonais et il a tout vu. On les sortait des camions au bord des fosses et on leur tirait une balle, les achevant parfois à coups de baïonnette… Il y avait beaucoup de Polonais dans cette fosse que j'ai vue, d'environ cent mètres de longueur et de deux à trois mètres de profondeur. Quand je les ai vus, on m'a ordonné de partir et de ne plus m'approcher. En ce temps-là, puis après la guerre, Stelmakh, Reinson, Gvozdovsky et Gribov m'ont prévenu plusieurs fois de me taire. Oustinov m'a dit que ce sont eux qui tuaient personnellement les Polonais. Ce sont eux qui commandaient toute l'opération, je ne me souviens pas des autres. Les Polonais étaient amenés en wagons sur une voie secondaire de la station de Gniezdovo. L'endroit de l'exécution était gardé par le NKVD. »


Alexandra Viatteau a également écrit : Katyn, l'armée polonaise assassinée (1989) et « Comment a été traitée la question de Katyn à Nuremberg », dans Annette Wieviorka, les Procès de Nuremberg et de Tokyo, Editions Complexe (1996).

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