vendredi 21 septembre 2007

Anne de Bretagne revue et corrigée


Anne de Bretagne

Une histoire, un mythe


Collectif

Éditions d'art Somogy, château des ducs de Bretagne 206 p., ill., sources, biblio., chronologie, 28 e, ISBN 978-2-7572-0063-6.

Voici un beau sujet qui aurait permis à tout musée, de Madrid à Salzbourg, de réussir une superbe exposition. Mais l'organiser à Nantes, est-ce une bonne idée ? Pourtant le lieu semble tout indiqué : Anne est bien née dans le château des ducs de Bretagne. C'est vrai, mais il est des musées qui naissent sous une mauvaise étoile et dont les orientations muséographiques suscitent la controverse. Venu au printemps 2007 visiter l'exposition consacrée à la Nouvelle France, l'auteur de ses lignes avait été consterné par le traitement inexistant de l’histoire du duché de Bretagne par les conservateurs.


Le visiteur passe de la gaule romanisée au cœur de la duchesse Anne.
Que s'est-il passé entre ces deux époques ? Rien du tout ?
Ce n'est pas au musée du château des ducs de Bretagne qu'il va le découvrir.





La part consacrée à la période antérieure à 1532, date de l’annexion de la Bretagne par la France, se limitait à la portion congrue. Le visiteur interloqué sautait sans transition d'un vestige gallo-romain au dernier duc et à sa fille Anne. L'histoire turbulente de Nantes, son entrée dans les domaines bretons, l'invasion normande et la reconquête par le duc Alan Barbetorte passaient allègrement à la trappe, tout comme cinq siècles d'histoire d'un duché indépendant qui fut une des puissances européennes de son temps.
On peut donc s'attendre au pire quant au traitement par ce musée d'une des souveraines emblématiques de la Bretagne, celle qui a personnifié depuis trois siècles le dernier élan d'indépendance de cette petite nation.
S'attendre au pire évite de tomber de haut et de se faire mal. Toutefois, après lecture, dans la mesure où le superbe catalogue publié par Somogy est le reflet du travail des conservateurs, non seulement nous avons échappé au pire, mais cette exposition est à la hauteur des attentes des amateurs d'histoire.
Certes, ici ou là on trouve des bourdes, comme Maximilien, roi des Romains, que Dominique Le Page (maître de conférences à l'université de Nantes) désigne « roi de Rome », sans doute emporté par un élan napoléonien. Ou bien encore la coquille que Didier Le Fur a oublié de corriger qui nous apprend que Clovis a régné au XVe siècle. Toutefois, ce sont des erreurs qu'une relecture éditoriale plus attentive aurait largement évité tout comme ce méchant principe de numéroter les siècles en chiffres arabes au contraire de toutes les conventions typographiques.

La méthode de l’oignon
Le principale critique que l'on puisse faire à cette exposition est la méthode qui semble avoir été choisie : celle de la déconstruction. Au lieu de tenter de bâtir le personnage touche par touche, les organisateurs donnent l'impression de partir de l'image de la duchesse fabriquée par l'historiographie bretonne pour arriver au personnage réel tel que les historiens actuels peuvent l'appréhender. Ainsi, au fil des pages on croit assister à l'épluchage d'un oignon, on débretonise couche après couche la duchesse pour retrouver une femme de haut rang de la Renaissance, typique de son temps, qui n'est pas davantage attachée à son apanage qu'un chien à sa niche.
Ce parti pris peut déplaire mais il est légitime car les différents auteurs (à l'exception vraisemblablement d'Alain Croix dont la militance communiste explique probablement l’hostilité aux manifestations de sentiment breton) ont rédigé des études de qualité, très bien argumentées qui se lisent avec intérêt et qui renseignent admirablement les pièces réunies par les conservateurs.

Des lacunes
Un autre reproche que l'on peut faire à ce livre, et à cette exposition, est quelques lacunes. L'éducation de la duchesse, sa formation politique (avec notamment le maréchal de Rieux), la dimension diplomatique de sa vie conjugale, l'importance considérable pour l'équilibre européen de son mariage avec Maximilien, tout cela passa à la trappe. La bibliographie elle aussi semble avoir fait les frais d'omissions qui ne sont peut-être pas toutes innocentes, comme l'article du médiéviste réputé Georges Bischoff consacré au mariage de la duchesse et qui brille par son absence.

Séparer le bon grain de l’ivraie
Tout ça, c'est l'ivraie. Voyons d'un peu plus près le bon grain. Car le livre en compte, et beaucoup. Il faut aller le glaner page après page et se réjouir, par exemple, devant la qualité et le choix des illustrations, rarement vues ailleurs, et réunies ici pour notre plus grand plaisir. Ainsi, au reliquaire de son cœur, connu de tous, on ajoute des médailles, des parchemins, des enluminures, des monnaies, des tapisseries, des tableaux, des objets qui sont de toute beauté.

Chansonnier offert à Anne de Bretagne par Louis II d'Orléans.

Sans être une biographie de la duchesse, car les études partent dans tous les sens, les auteurs tracent un portrait éclaté dont les pièces se réunissent in fine pour nous rendre le visage d'une princesse de son temps.
Parmi les points les plus intéressants, citons surtout celui ébauché par Didier Le Fur qui démontre avec un réel talent de synthèse comment l'image de la souveraine a évolué avec le temps en fonction des nécessités, comment les historiens ont reconstruit une duchesse mythique laquelle aujourd'hui occupe sans conteste l'imagerie populaire.
Beau, intelligent, agaçant, on ne n'ennuie pas une seconde à lire ce superbe livre d'art et il doit se trouver dans toute bibliothèque des amoureux de la Bretagne. Quant aux pages douteuses d'Alain Croix, on est parfaitement en droit de ne pas les lire.

Une souveraine restée présente dans la mémoire populaire.

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