La récente évasion mouvementée de deux repris de justice, Christophe Kidher et Omar Top El Hadj, emprisonnés à la maison centrale de Moulins-Yzeure dans l'Allier, devrait inciter la société à réfléchir sur la situation des personnes condamnées à de très longues peines de prison, appelées tristement en France les « périodes de sûreté » qui sont, dans les faits, pires que la peine de mort.
Il est facile de considérer que des personnes coupables d'actes de délinquance avec violence méritent qu'on les enferme et que l'on jette la clef de leur cellule au fond d'un puits.
Cela ne fait pas disparaître pour autant les condamnés de la surface de la terre. Ils s'entassent dans des maisons centrales où ils doivent gérer une vie nouvelle face à une administration pénitentiaire pas toujours accommodante.
J'ai eu l'opportunité, voici quelques mois, de me rendre au parloir d'une de ces maisons centrales pour rendre visite à l'un de mes lecteurs. J'y suis resté tout un après-midi au milieu des familles venues maintenir les liens familiaux avec des pères, des fils ou des maris.
Au milieu des cris d'enfants, des embrassades ou des rires, on se rend compte que ces « détenus particulièrement dangereux » dont parle la télévision sont aussi des hommes comme les autres. Ils sont aimés tout comme ils sont capables d'amour pour les leurs.
Comment expliquer autrement que Cyril, le frère de Christophe Khider, ait voulu libérer son frère en organisant une évasion par hélicoptère ? Ce geste d'amour fou comme le précise leur mère Claude Charles-Catherine n'est en rien différent de celui de la compagne de Khider qui lui a fourni les moyens de son évasion.
Dans son édition d'hier, le quotidien Libération publie un entretien avec Claude Charles-Catherine qui mérite d'être lu. Non seulement parce qu'il rappelle les grandes heures de cette feuille pour gauchiste enrichis quand elle défendait le criminel contre la société, mais aussi car il est bon de prendre conscience de la réalité humaine derrière un homme en prison.
Il est malgré tout pathétique de lire des phrases comme :
Christophe, l’aîné, est jugé pour une série de braquages dans des agences de voyage «avec un flingue factice», dit-elleCe n'était donc qu'un jeu ? La condamnation est injuste ?
Suite au braquage d’un Crédit lyonnais, il a mis une balle dans la tête d’un homme qui a refusé d’abandonner son véhicule. «On m’a enterré vivant», dit-il.Laquelle des deux morts est la pire ? L'artifice de la phrase sous-entend que le sort de Kidher est plus injuste que celui de sa victime.
mais il voulait «payer une grande maison à sa grand-mère et à sa mère». Sur la Côte-d’Azur,«il n’a jamais étendu une serviette. On a toujours été sur des plages privées. Je ne me rendais pas compte que j’étais en train de le faire adhérer à la société de consommation.»Truc habituel des journalistes : les crimes de Kidher n'en sont pas parce qu'il voulait simplement offrir un petit cadeau à sa maman ! Et, au finish, c'est la faute à la société de consommation. Je fais des vœux pour que cette journaliste de Libération ne rencontre pas un jour une de ces « victimes de la société » au coin d'un bois.
Je ne pense pas que les criminels soient des irresponsables, victimes innocentes d'une société bourgeoise qui les pousse à délinquer. Bien entendu, j'exclus de mon propos ceux qui soufrent d'une pathologie mentale.
A l'image de ces durs à cuire que j'ai rencontrés au parloir de la Maison centrale, ce sont des hommes qui ont fait des choix rationnels et qui ont pris le risque de enfreindre les règles de fonctionnement de la vie sociale en échange d'un gain financier immédiat. Leur arrestation, leur condamnation et leur emprisonnement sont donc parfaitement justifiés. Ces prisonniers sont d'ailleurs les premiers à le comprendre et à l'accepter.
Quel est donc alors mon propos ?
La gestion de ces hommes en détention doit être repensée. Il est inhumain de jeter en prison des êtres humains pour des périodes de temps qui échappent à la compréhension. La peine de mort les respectait davantage!
Comment donner encore un prix à sa propre vie lorsqu'on est condamné à rester en prison toute une vie d'adulte sans espoir de sortie ? Cette situation transforme des hommes en fauves incontrôlables ou en épaves, ce ne sont pas les personnels de l'administration pénitentiaire qui diront le contraire.
La première chose à faire n'est pas de réduire les peines de prison mais de réserver les périodes de sûreté aux condamnés auxquels une pathologie mentale interdit un retour à la vie normale. Ainsi, faire bénéficier de remises de peine aux condamnés qui font des efforts pour se réinsérer : études, travail, etc. L'important est de maintenir ouverte la porte de la sortie.
En outre, faciliter davantage les contacts familiaux et amicaux, étendre la pratique des parloirs conjugaux, réduire l'arbitraire dans l'obtention de permis de visite, ne plus interdire l'envoi de livres aux prisonniers, etc.
Voici le texte de l'entretien accordé par Claude Charles-Catherine au quotidien Libération :
Claude Charles-Catherine
La cavaleuse
Claude Charles-Catherine. Mère de Christophe Khider, l’évadé de Moulins repris mardi, cette ancienne toxico, 55 ans, se dresse contre les longues peines subies par son fils.
Elle porte un pendentif autour du cou : un hélicoptère en or. «C’est le symbole de l’amour entre Cyril et Christophe.» En 2001, Cyril, son fils cadet a tenté de faire évader son frère, Christophe Khider, de la prison de Fresnes en prenant en otage une jeune pilote. Dimanche dernier, Christophe Khider a réussi à s’échapper de la maison d’arrêt de Moulins, dans l’Allier. Il est sorti grâce à des explosifs et un pistolet Glock que sa compagne et une amie auraient introduit au parloir. Après 36 heures de cavale, Christophe a été repris mardi. Sous un pont de l’A86, près de Paris, il a reçu une balle qui lui a «perforé le poumon». La police l’a annoncé mort, il est vivant. «Il n’a pas ouvert le feu , note sa mère dans un sourire. Le procureur a été obligé de le dire du bout des lèvres.»
Lorsqu’on la rencontre, Claude Charles-Catherine, dite «Catherine», sort d’une parfumerie. Avant la photo, elle insiste pour se remaquiller. «J’ai toujours pris soin de moi, même quand j’étais au plus bas.» Depuis cinq jours, elle ne dort plus. «Je suis désolée, je n’arrive plus à aligner deux mots. Mes yeux se ferment.» Chez elle, une affiche de Beckett côtoie celle de Bob Marley. Elle a envie de raconter pourquoi «les longues peines n’ont que trois solutions : la folie, le suicide ou l’évasion». Elle dit : «Je ne suis pas une militante, je suis une résistante.»
Catherine naît à Paris d’une mère bourguignonne et d’un père martiniquais, «entre le bon vin et le rhum, en plus, un 11 septembre. Un cocktail explosif». Son père «ultra-violent» a la mauvaise habitude de la «désosser». Sa mère, à qui elle voue une franche admiration, finira par le virer, un jour où la gamine «refuse de plier». Hyperactive - «à l’époque, on disait caractérielle» -, Catherine est bourrée de cachetons, de l’«Epanal 3 et du Théralène». Son parcours scolaire s’arrête en sixième. Elle se souvient que quand elle écrit «albatros», la maîtresse lui dit que ça n’existe pas. Elle se rebiffe. L’instit lui répond : «Depuis quand les Noirs connaissent mieux le français que nous !» Elle conclut : «C’était une autre époque.» La jeune fille rencontre un premier psychiatre. «Il m’a demandé d’enlever ma culotte, m’a fait subir un attouchement et m’a dit : "Il ne faut pas en parler." J’avais 12 ou 13 ans.» Elle s’arrête. «Tu vas pas me faire un truc misérabiliste, hein ? J’ai pas envie qu’on dise "oh, la pauvre", qu’on s’apitoie. Je veux qu’on comprenne.»
A «17 ans et demi», Catherine accouche de Christophe. Deux ans et demi plus tard, voilà Cyril. Leur père la frappe. «A 20 ans, je me suis tirée.» Elle vient de perdre sa sœur cadette.«J’avais, rien dans le crâne. On m’avait toujours interdit de sortir. Pour moi, une mobylette, c’était une Harley. Je ne savais pas comment on élève un enfant.» Elle confie ses fils à sa mère et part un mois en Sardaigne. Au retour, elle rencontre «un garçon». «J’étais super amoureuse de lui.» Il est musicien. «C’était les années 70, les acides, les expériences. Je faisais la fête, des conneries.» L’héroïne et la cocaïne s’ajoutent au LSD. Elle est pickpocket pour payer sa «came», fait des «allers-retours» en taule (huit fois, dit-elle), roule en «allemande». «En 76-77, je participe aux premiers programmes méthadone» [un produit de substitution, ndlr], mais dès qu’on lui enlève les produits, le «mur de coton» s’écroule.«Je ne supporte pas la société, les gens»
Elle lève un peu le pied, écrit. Elle a toujours aimé les livres. «Quand j’étais petite, à côté de mon lit, il y avait un cosy avec des polars : Hadley Chase, Raymond Chandler… Mes parents étaient obligés d’enlever les ampoules la nuit pour que j’arrête de lire.» Elle est fascinée par le personnage du «privé».«Ce que je préfère, c’est quand il carotte la mafia.» Elle insiste : «J’ai toujours été curieuse, je posais des questions. Plus tard, j’ai eu le complexe de la culture.» Catherine est scotchée par les gens qui ont «la science infuse» et puis elle comprend qu’en fait, ils sont «hyper normés», qu’ils n’ont «rien qui leur appartienne vraiment». Catherine est une «autodidacte».
De ses années de came, Catherine a récolté le sida qu’elle a transmis à sa fille et à Tijani, l’un de ses compagnons avec qui Khider a fait un braquage. Elle en parle sans complexes. «S’il n’y avait que le sida… Je ne prends pas de médicaments. Pas un Doliprane.» Vers 1985, elle part dans le Lubéron, se plaît bien dans la nature. Elle y vit dix ans, gère son addiction.
En 1997, Christophe, l’aîné, est jugé pour une série de braquages dans des agences de voyage «avec un flingue factice», dit-elle. Déjà, il essaie de s’évader en sautant par-dessus le box. Ses chaussures sans lacets l’empêchent d’aller bien loin. Il a 24 ans. Il écope de six ans de taule. Catherine est revenue à Paris, a tout arrêté, «jusqu’à la cigarette». En 1999, Christophe est condamné à perpétuité. Suite au braquage d’un Crédit lyonnais, il a mis une balle dans la tête d’un homme qui a refusé d’abandonner son véhicule. «On m’a enterré vivant», dit-il. Selon sa mère : «Il ferait sa perpétuité si ça pouvait le ramener à la vie.»
Petit, Christophe a vu «l’argent facile» . «Vers 12 ou 13 ans», il récolte une baffe parce que devant un fourgon blindé, il lance, bravache : «Un jour, je m’en ferai un.» «Ce n’est pas un capitaliste» , mais il voulait «payer une grande maison à sa grand-mère et à sa mère». Sur la Côte-d’Azur,«il n’a jamais étendu une serviette. On a toujours été sur des plages privées. Je ne me rendais pas compte que j’étais en train de le faire adhérer à la société de consommation.»
La mère ne tarit pas d’éloges sur son fils. «Il est brillant, s’exprime tellement bien qu’on l’appelle "XVIIIe siècle". Un expert qui l’a examiné a dit que c’était une erreur de parcours. Il aurait pu être autre chose s’il avait grandi dans un autre environnement.» Elle ne s’étend pas plus : «J’en ai fini avec la culpabilité. Ça engluait.»
Au parloir, Catherine n’ose pas regarder son fils dans les yeux. Il s’énerve : «Tu nous as toujours appris à ne pas être faibles.» Elle se reprend. J’étais «dans le subir». Aujourd’hui, elle assure vivre des 700 euros mensuels de sa pension d’invalidité. Loin de ses belles années.
En 2001, Cyril échoue à faire évader son frère. «C’était un acte d’amour.» «L’acte d’amour» vaut dix ans à Cyril. Selon Catherine, les gardiens lui mènent la vie dure : «Cinq ans en isolement, on lui a cassé trois côtes, deux fois le pied. On a tenté de l’empoisonner.» Elle fait condamner l’administration pénitentiaire, écrit un livre, parle aux prisonniers dans l’Envolée, une émission de radio anticarcérale. Elle lit Nietzsche, Foucault et cite Pascal :«On peut tout enlever à un homme, sauf l’espoir.» Catherine se rend aux dîners du «groupe Mialet», un espace de réflexion sur la réforme des institutions judiciaires et pénitentiaires. Il y a là d’anciens préfets, des procureurs. Elle en profite pour se former à la communication.
Aujourd’hui, elle a sa propre émission sur Radio Libertaire, a créé un blog et l’Arppi, l’Association pour le respect des proches des personnes incarcérées. Alors, lorsque Christophe s’est évadé, elle était prête à raconter que ce qu’on «propose aux longues peines, c’est une perfusion d’oubli». Lorsque l’avocate est allée voir Khider à l’hôpital, il aurait dit : «J’espère que ça n’a pas servi à rien.» Maman y veille.
Je ne partage pas grand choses des opinions et des analyses de Claude Charles-Catherine, mais nous nous retrouvons sur un point : les prisonniers sont aussi des hommes et ils méritent qu'on les respecte comme tels.
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