mercredi 21 avril 2010

Questions sur la Suisse


Canon de 75 mm dans l'embrasure d'une forteresse souterraine à Saint Margrethen.



Une réflexion suisse d'Olivier Pauchard sur les options militaires de ce pays durant la Seconde Guerre mondiale.

Le réduit national, une nécessité pour Guisan

Durant la Seconde Guerre mondiale, le général Henri Guisan a basé la défense de la Suisse sur l’organisation d’un «réduit national» au cœur des Alpes. Cette idée, ainsi que le rôle de l’armée, ont fait l’objet de controverses. A l’occasion du 50e anniversaire de la mort du général, deux historiens font le point.

Au sortir de la guerre, la Suisse a pour ainsi dire sacralisé le rôle de son armée durant le conflit. L’image était idéale: celle d’une armée fermement accrochée à ses positions inexpugnables des Alpes – le fameux «réduit national» – et apte à décourager tout envahisseur potentiel.

Au cours des dernières années, surtout lors de l’affaire des fonds juifs en déshérence, l’image a été un peu écornée. La Suisse a alors été perçue comme un pays qui a collaboré économiquement et financièrement avec l’Allemagne nazie, ce qui lui a évité l’invasion. Du coup, le rôle de l’armée suisse a été remis en cause.

A l’occasion du 50e anniversaire de la mort du général Henri Guisan – commandant en chef des forces suisses de 1939 à 1945 –, les historiens Pierre Streit et Jean-Jacques Langendorf reviennent sur l’action de l’armée.

Leur ouvrage, Le Général Guisan et l’esprit de résistance, ne livre pas de nouvelles révélations. Mais il présente deux qualités pour aborder cette problématique. D’une part, il fait la synthèse des différentes connaissances historiques et, d’autre part, il prend grand soin de remettre les événements dans leur contexte et de tirer des parallèles avec d’autres événements de la Seconde Guerre mondiale. Interview de l’un des auteurs, Jean-Jacques Langendorf.

Jean-Jacques Langendorf: En Suisse, le général Dufour avait prôné cette idée dès 1830. Il ne s’agissait pas d’un réduit alpin, mais d’un réduit sur le Plateau qui se serait appuyé sur la protection naturelle des fleuves. A la fin du 19e siècle, les Belges ont créé un réduit autour d’Anvers protégé par les eaux de la mer et des fleuves.

Durant la Seconde Guerre mondiale, les Français ont commencé à fortifier la frontière des Alpes avec l’Italie et les Américains ont créé un énorme complexe fortifié sur Bataan, au sud de Manille.

C’est une idée que l’on retrouve. Le général Guisan ne l’a pas créée, mais c’est sous son commandement qu’elle a pour la première fois été appliquée en Suisse en 1940.

swissinfo.ch: Le concept de réduit alpin, a tout de même un défaut. Il livre les zones plus peuplée du Plateau à l’ennemi…

J.-J. L.: C’est la thèse d’historiens comme Jakob Tanner. L’armée se serait repliée dans le réduit pour que le pays utile puisse travailler à plein rendement pour les Allemands.

Mais la situation est plus compliquée. Le général Guisan a toujours vu ce réduit, qui englobe aussi une partie du Plateau et qui représente un tiers du territoire, comme quelque chose d’actif. A partir de son abri du réduit, l’armée aurait pu porter des coups à l’assaillant.

Qu’il y ait eu d’autres éléments de dissuasion que le réduit, c’est évident. Il y a eu des éléments économiques, industriels, même juridiques. Le réduit n’était que l’un des pions dans cette stratégie dissuasive.

swissinfo.ch: Dans votre livre, vous montrez qu’il n’y avait finalement pas d’autre choix que la stratégie du réduit.

J.-J. L.: C’était effectivement la seule alternative. On ne pouvait pas rester sur le Plateau sans bouger. L’armée suisse n’avait pas les moyens de lutter contre le binôme avions-chars de l’armée allemande. Si les Allemands avaient attaqué en juin 1940, la résistance aurait été de 3-4 jours au mieux.

Il fallait donc trouver un moyen de redonner de l’espoir. Ce fut fait grâce à l’appel à résister lancé par le général Guisan au Grütli, avec comme solution le réduit.

swissinfo.ch: La Suisse était-elle vraiment menacée?

J.-J. L.: Le pic de menace a été atteint de juillet à septembre 1940. L’historien zurichois Klaus Urner a d’ailleurs retrouvé des plans d’attaques de la Suisse. La menace était concrète.

Mais dès que les Allemands se sont engagés en Russie, la menace à diminué. Avec la montée en puissance du réduit au fil de la guerre, il aurait été de moins en moins intéressant pour les Allemands d’attaquer, d’autant que l’axe nord-sud, vital pour leurs communication avec l’allié italien, aurait été détruit.

swissinfo.ch: La guerre a d’ailleurs montré qu’une défense en montagne peut être très efficace. On pense notamment au Monte Cassino.

J.-J. L.: Vous avez d’abord eu la résistance française de l’armée des Alpes en 1940 qui a bloqué les Italiens et les Allemands. Autre exemple: à Corregidor, dans la baie de Bataan, les fortifications ont tenu pendant sept mois, permettant à Mac Arthur de tenir, puis d’organiser sa réplique.

Monte Cassino est juste une position de montagne très forte avec ce nid d’aigle qu’est le couvent. Le lieu n’était même pas fortifié, mais les parachutistes allemands y ont tenu des mois face à des masses d’hommes et de bombes. Cela avait beaucoup frappé le général Guisan.

swissinfo.ch: Si le réduit a été si efficace, pourquoi l’armée suisse l’a-t-elle désormais abandonné?

J.-J. L.: On a continué à fortifier durant toute la Guerre froide. Les ensembles sont devenus gigantesques. Certains sites étaient capables d’abriter de 20'000 à 25'000 hommes.

Mais cela est tombé totalement en désuétude à la fin de la Guerre froide. Par uniquement en raison de la fin de la Guerre froide, mais à cause de l’évolution des technologies. Il y a actuellement des armes de pénétration d’une telle puissance que même les couches de rochers les plus énormes peuvent être rompues. De plus, les hélicoptères peuvent désormais déposer des commandos au-dessus des forts.

Par conséquent le réduit n’a plus qu’une valeur de souvenir.


1 commentaire:

Libero a dit…

Excellent article, pour s'en faire une meilleure idée: http://infoapsf1890.wordpress.com/