vendredi 30 novembre 2007

Reportage à Louvain et à Leuven

L'université flamande de Leuven. Un paradis pour la recherche.

Richard Werly, envoyé spécial du quotidien suisse le Temps à Leuven et à Louvain-la-Neuve, a publié un très bon reportage sur les deux universités que se font face. En voici des extraits :

Le chagrin belge des deux Louvain

Boutés hors de l'université flamande de Leuven en 1968, les francophones de Louvain- la-Neuve vivent au quotidien les fractures linguistiques de la Belgique. Reportage de part et d'autre de la frontière académique, aux côtés d'enseignants partagés entre patriotisme et défaitisme.

Sur les pavés mouillés de la Grote Markt, la place du marché située au pied de l'imposante bibliothèque universitaire de Leuven, une poignée de tracts jaunes prouvent que l'humour belge a la vie dure. Côté pile: le dessin d'une fillette et d'un garçonnet en train de s'embrasser. Côté face: un appel d'un collectif d'étudiants néerlandophones et francophones à se rassembler, au cœur de cette ville flamande érigée depuis le XVe siècle autour de la Katholieke Universiteit Leuven (KUL), pour s'étreindre chaudement. Histoire de montrer, au vu et au su de tous, que le nord et le sud de la Belgique ont encore de l'affection l'un pour l'autre. Voire plus, si affinités.

Difficile, pourtant, d'échapper aux crispations politiques ambiantes, après cinq mois sans gouvernement fédéral à Bruxelles. En ce mercredi 21 novembre, à l'heure dite et sous un soleil timide, ils sont moins de 200étudiants, surtout francophones, à arpenter la place en quête d'une âme sœur à couvrir de tendresses belgicaines. La bière Primus, sponsor de l'événement, a beau faire mousser de son mieux l'événement, les étudiants de la KUL, affairés à potasser dans la grandiose salle de lecture voisine, ne sont pas en émoi. Peu d'entre eux sont descendus tendre leurs joues. Un demi-fiasco accueilli avec sourire et soulagement par les six policiers déployés pour isoler une bande de nationalistes du Vlaams Belang, le parti d'extrême droite flamand: «Nos universités se tiennent à l'écart des convulsions politiques de la Belgique, explique l'un d'eux dans un très bon français. Plus cela durera, mieux ce sera.»

Les étudiants de la bibliothèque de la KUL ne sont guère demandeurs de bisous belgicans.

Logée depuis le début des années 70 dans une ville nouvelle construite de l'autre côté de la frontière linguistique, l'Université catholique de Louvain-la-Neuve (UCL) a mis sur ses plaies le baume de la modernité: un campus à l'américaine distribué dans une cité entièrement piétonnière de brique, de béton et de verre, un théâtre Jean-Vilar à l'avant-garde de son art, une réputation justifiée de première université francophone de Belgique.

Leuven-Louvain. KUL-UCL: deux bastions intellectuels convaincus d'avoir enterré pour de bon les souvenirs terribles de 1968, lorsque 70000 manifestants flamands marchèrent sur Bruxelles, ruinant le rêve d'un enseignement bilingue après des siècles de domination latine et provoquant le départ forcé des francophones d'un temple du savoir qu'ils croyaient être le leur.

Face à face? Prorecteur de Louvain-la-Neuve, chargé de la culture et de la communication, Gabriel Ringlet refuse d'emblée d'appliquer à l'université la grille de lecture politico-linguistique qui paralyse la Belgique depuis les élections législatives du 10 juin, remportées par une droite flamande résolue à déshabiller l'Etat fédéral pour donner plus de compétences aux régions.

«Nous travaillons beaucoup ensemble, explique-t-il. La preuve: nous ouvrirons bientôt un bureau conjoint en Chine, et nous prévoyons, en février 2009, de décerner pour la première fois des doctorats honoris causa communs.» Belle preuve d'altruisme universitaire alors qu'à Bruxelles les politiciens flamands et francophones, passés souvent sur les bancs de ces deux établissements, se renvoient la responsabilité d'une mort prochaine de la Belgique? «Cela dépend comment on voit les choses, corrige Freddy Jochmans, tout nouveau directeur général de la KUL. La paralysie de l'Etat fédéral ne nous touche pas trop car nos ressources viennent des régions. Il n'y a donc pas d'impact direct. Au contraire: nous sommes unis pour réclamer plus de moyens.»

Il faut quitter les bureaux respectifs des recteurs pour comprendre et sentir les fissures belges à l'œuvre. A Louvain-la-Neuve, cela conduit, détail géographique pas si anodin, à arpenter les places aux noms... de penseurs français: Montesquieu, Sainte-Barbe, Blaise Pascal... Marc Verdussen enseigne le droit constitutionnel à l'UCL. La Belgique, pour lui, est bel et bien malade. «Il est parfaitement possible de faire coexister au sein d'un même Etat des peuples à l'histoire et aux valeurs différentes, juge ce bon connaisseur des fédéralismes canadiens et suisses. Le problème est que nous sommes un pays traversé par une forte bipolarité dans lequel les citoyens, au nord et au sud, ne partagent plus entièrement la même conception de la démocratie. Au nom de leur prospérité économique les Flamands, majoritaires, sont tentés par la loi du plus fort.»

L'université francophone de Louvain. Un résumé de la Wallonie.

L'histoire. Pour la comprendre, rien de tel que d'écouter Jan Roegiers, l'archiviste en chef de la fameuse bibliothèque de Leuven, reconstruite, après l'incendie de 1914, grâce à de massives donations américaines. Sur son pays, cet historien flamand adepte d'une méticuleuse langue française est une véritable mine. «On ne s'en rend pas compte aujourd'hui, raconte-t-il, mais la Belgique en ruines, au sortir de la Première Guerre mondiale, incarnait la connaissance européenne victime de la barbarie allemande. La reconstruction de Leuven fut imposée par le traité de Versailles. Le monde entier des lettres se mobilisa pour nous venir en aide. Nous symbolisions alors l'unité des vainqueurs.»

Changement radical de décor au fur et à mesure de l'avancée du siècle. Jan Roegiers était là, en mai 1966, lorsqu'une déclaration des évêques belges prenant outrageusement le parti de la langue de Molière transforma cette ville du savoir en chaudron des intransigeances linguistiques. La révolte flamande éclata deux ans plus tard, en 1968.

«Je me souviens de cette baie vitrée brisée par les pavés» poursuit l'historien en désignant les vitraux donnant sur la Grand-Place. Jusqu'à la blessure suprême: l'éviction des francophones et le partage à la hussarde des 1,6 million de livres de la bibliothèque. Numéros pairs pour l'UCL. Impairs pour la KUL. Un divorce caricatural. Même si, affirme Jan Roegiers, «tout fut fait pour préserver l'intégralité des encyclopédies et des livres rares, contrairement à ce qu'on raconte parfois.»

La question linguistique, depuis, est inhérente à l'UCL comme à la KUL. «Les fractures remontent à la surface régulièrement. Comme en Belgique», confirme Gabriel Ringlet. Avec de sacrées différences. A Louvain-la-Neuve, les balcons des résidences étudiantes se sont ainsi couverts de drapeaux rouge-noir-or, en réaction aux menaces d'éclatement du pays. A Leuven, le seul drapeau visible, hormis l'étendard flamand frappé du Lion, est celui... de la Chine, dont une délégation universitaire achève de visiter les lieux.

A l'UCL comme à la KUL, l'anglais domine et progresse en outre chez les étudiants, plus préoccupés de s'expatrier que de profiter des accords mutuels offrant aux francophones de suivre les cours en flamand. Et vice-versa. 25000 étudiants côté Louvain, 31000 côté Leuven, dont un pourcentage croissant d'étrangers. Qu'en déduire? «Soyons réalistes, plaide Bernard Coulie, recteur de l'UCL. Notre identité belge n'existe que si elle est activée. A-t-on besoin d'être belge en Belgique? C'est hors de nos frontières que la question se pose. Ce n'est pas un hasard si les Belges sont très pro-européens.»

Les Flamands en ont tiré les conséquences. Contrairement aux francophones, les étudiants et les enseignants de la KUL de Leuven ont le passeport réaliste. Les extrémistes du Vlaams Belang sont des habitués du campus. Le leader controversé du parti nationaliste NVA, Bart de Wever, une des figures du cartel de partis flamands affairé à négocier pour constituer le gouvernement, y animait encore, jeudi dernier, une conférence.

«Cette université ressemble à la Flandre, plaide Jaak Billiet, professeur de sociologie. L'attachement à la Belgique est indissociable de la volonté de réforme. Rester Belge, oui, mais plus comme cela..» Expert en sondages, cet enseignant flamand qui s'exprime en anglais redistribue les cartes de l'opinion en criant haro sur les médias, adeptes du pour ou contre: «Nous avons de 12 à 15% de séparatistes. Les autres veulent juste en finir avec l'Etat fédéral tel qu'il est. Alors que faire? Continuer d'éviter le sujet parce qu'il fait peur aux francophones? Le refus du changement pousse les gens dans le camp de la scission»

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