jeudi 25 juin 2009

Quand un historien s'amuse

Fabrice D'Almeida est un historien français qu'il faut surveiller du coin de l'oeil : toujours prêt à étonner par une audace ou une originalité où pétille le talent et l'humour. Il s'est livré dans les colonnes de Libération à un exercice convenu, se soumettre aux conditions du bac et rédiger un sujet d'histoire.

Et si on refaisait la conférence de Brioni ?

L'historien Fabrice D'Almeida a planché sur l'un des sujets d'histoire-géo proposés ce mercredi matin aux candidats au bac. Exercice de style totalement libre. Voici sa copie.

Fabrice D'Almeida, historien enseignant à Paris II Assas et co-auteur, avec Anthony Rowley, du livre Et si on refaisait l’histoire, s'est prêté au jeu proposé par Libération.fr: plancher sur l'un des sujets de l'épreuve d'histoire-géo du bac. Avec en ligne de mire: se faire plaisir, laisser libre cours à l'imagination. L'idée n'est pas de proposer un corrigé du bac mais un exercice de style, sans aucune contrainte.

Sujet choisi: L'étude de texte sur l'extrait de communiqué de Brioni, publié à l'issue de la rencontre entre Nasser, Nehru et Tito le 19 juillet 1956. (Lire le texte en version pdf ici)

Que trois dirigeants d’horizons aussi différents que Nehru, Tito et Nasser décident de se retrouver dans une jolie petite île au large de l’Istrie, voilà qui pouvait étonner les journalistes en cette année 1956. Certes, à Bandoung l’année précédente, un rapprochement s’était esquissé afin de fédérer les pays qui refusaient l’alternative géopolitique entre communisme du Bloc de l’Est et capitalisme du monde occidental. Mais le rassemblement paraissait fragile.

Or, le 19 juillet 1956, au terme de la discussion, un idéal politique a émergé, celui du non-alignement. Et de fait, les trois figures qui ont produit le texte final du communiqué s’inscrivent toutes en rupture. Tito, l’hôte de la réunion sur cette île où il apprécie de prendre ses vacances, tout le premier.

Dirigeant de la résistance communiste contre l’occupation nazie pendant la Seconde Guerre mondiale, le maître de la Yougoslavie a abandonné le stalinisme et créé son propre modèle de développement. Il rejette les fantasmes soviétiques sur l’industrie lourde, fier de défendre la ruralité de son pays. Nehru, le disciple de Gandhi, a, lui, effectué une double rupture : avec l’empire britannique en menant le combat pour l’indépendance, et avec le pacifisme ensuite en assumant le conflit avec le Pakistan, depuis 1947. Nasser, enfin, vient de prendre la tête de l’Egypte en brisant une monarchie complice des Britanniques et des Français et cherche à imposer une république panarabe.

Un projet pour la planète
Or, la portée du message que les trois hommes lancent au monde va bien au-delà de leurs conflits et intérêts particuliers. Leur proposition de non-alignement est un projet pour la planète. Il se définit autour de trois «dé» qui structurent le communiqué : désarmement, développement et, surtout, décolonisation (aujourd'hui nous ajouterions décroissance). En les appliquant, les relations internationales prendraient un nouvel essor, propice à l’établissement d’une véritable communauté de nations sous l’égide de l’ONU. Sans un tel programme, les pires catastrophes sont envisageables.

Le désarmement? Voilà une première solution pour sauver l’humanité. La glaciation nucléaire est entrée dans la conscience historique des hommes des années 1950. Le souvenir d’Hiroshima est présent dans les esprits. Les actualités filmées ont, dès 1945, montré la violence des impacts des bombes atomiques. Les Etats-Unis et l’Union soviétique sont susceptibles dans leur affrontement d’user de cette arme effrayante. Leur course aux armements entraîne mécaniquement une prolifération nucléaire dont nul ne sait quand elle s’arrêtera. L’Inde, surtout, avec son puissant potentiel scientifique, est lucide sur l’avance que donne un tel arsenal. La peur caractérise aussi les peuples qui cherchent à échapper à l’emprise coloniale.

De fait, la décolonisation est rarement pacifique. Si Nehru et la péninsule indienne ont pu marcher sans que l’occupant britannique ne déclenche une guerre totale, il n’en a pas été de même ailleurs. En Indochine, il a fallu des centaines de milliers de morts et plus de sept ans de batailles pour que naisse le Vietnam. L’Indonésie a vu l’occupant néerlandais conduire de féroces combats avant d’échapper à son emprise. Le Kenya, lui, connaît la rébellion Mau-mau contre les Britanniques.

Mais surtout, l’ONU et l’opinion internationale regardent avec horreur le développement de la répression en Algérie depuis le soulèvement de 1954. L’armée française combat le FLN de toute sa violence, en appelant au contingent et aux auxiliaires recrutés sur place. Elle regarde l’Egypte de Nasser, ami du combat algérien, avec une haine sourde. Il faudrait briser cette base arrière. Cela servirait de leçon à la Tunisie et au Maroc, auxquels il a fallu concéder l’indépendance, sous le vocable pudique d’autonomie.

Brioni, ce petit lieu de paradis
Le développement, enfin, apparaît comme une nécessité absolue. La pauvreté est visible partout dans le monde. Les pays occidentaux, malgré leurs indigents, découvrent sidérés les effets massifs de la malnutrition. Les spécialistes de la toute jeune discipline démographique lancent les premières alertes sur les risques de surpopulation et produisent des rapports sur les ressources inégales. L’opulence, depuis peu retrouvée en Europe de l’Ouest, est un modèle que l’on croit alors exportable. Coopération disent les non-alignés qui sont conscients des carences de leurs pays. Car ils manquent encore de cadres capables d’alimenter une industrie ou d’inventer des solutions inédites. Cela viendra, malgré les résistances des grandes puissances, qui, tard, comprendront que, pour commercer, il ne faut pas être seul.

Plus de cinquante ans sont passés et Brioni, ce petit lieu de paradis, n’a plus l’heur d’être la résidence d’un dictateur. Tito est enterré et avec lui a disparu la Yougoslavie. Nasser s’est éteint laissant un monde arabe déchiré et brutal. Le parti du congrès de Nehru a, lui, connu l’alternance et les assassinats successifs de ses héritiers. Leur hypocrisie sur les inégalités sociales (castes), politiques (clientélisme) et ethniques a été fatal au rêve pacifique qu’ils tissaient. Pourtant, de cette lointaine époque, émerge encore un message de solidarité et d’attention aux autres qui conserve une étonnante vigueur. Les hyper puissances comme la Chine et les Etats-Unis ont pu remplacer les superblocs, elles devront un jour renoncer à leur supériorité et ployer devant le droit international afin qu’émerge une paix juste pour chacun.

Par Fabrice d’Almeida, professeur à l’Université Panthéon-Assas (Paris 2), Institut français de Presse. Dernier ouvrage paru, avec Anthony Rowley, Et si on refaisait l’histoire, Odile Jacob, 2009.

1 commentaire:

Kebel-touseg a dit…

Il y a des gens qui n'ont vraiment rien d'autre à faire. Ce brave homme aurait du redoubler sa terminale...