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vendredi 22 février 2008

Fère Roger de Taizé

Frère Roger de Taizé.


Frère Roger de Taizé
Yves Chiron

Éditions Perrin, 415 pages, 21,50 euros.


Membre émérite de la Société d’histoire religieuse de la France, l’auteur a déjà publié de nombreux ouvrages consacrés à l’histoire religieuse dont des biographies de qualité de Paul VI et du padrePio. Cette fois, il annonce la sortie de son nouvel opus consacré à la biographie d'une curieuse figure de l'oecuménisme, le frère Roger, fondateur de la communauté de Taizé.

Dans son introduction, l'auteur explique l'intérêt de son sujet et la nature de sa démarche :

Le nom de Taizé est aujourd’hui universellement connu. Les célèbres Chants de Taizé ont été traduits dans des dizaines de langues. Les « Rassemblements de Taizé », sur la colline bourguignonne, dans une grande ville d’Europe en fin d’année ou ailleurs dans le monde, attirent, à chaque fois, des dizaines de milliers de jeunes de toutes nationalités.
Il y a un « mystère Taizé », qui a fasciné les hommes d’Eglise comme les profanes. Mystère de son succès et mystère de son fondateur, figure charismatique.
Pourtant, la figure emblématique du fondateur, Frère Roger – Roger Schutz à l’état-civil (1915-2005) – reste, à bien des égards, méconnue.
Ce livre, première biographie historique de Frère Roger, voudrait échapper à la légende, non pour en prendre systématiquement le contre-pied, mais pour restituer toute une vie dans son contexte historique.
La tâche n’a pas été facile. Taizé n’aime ni l’histoire ni les archives et cultive un certain goût pour le secret ou le discret.
Les rencontres de Roger Schutz et de Max Thurian avec Pie XII et d’autres autorités romaines en 1949 et 1950 n’ont été connues du grand public qu’en 1960 (1). Frère Roger a choisi son successeur, frère Alois, dès 1978, au cours d’un voyage en Afrique, mais il ne l’annonce à sa communauté que vingt ans plus tard. La communion de Frère Roger à l’Eucharistie catholique, qu’il reçoit depuis 1972, n’apparaît au grand jour que lors de la messe des funérailles de Jean-Paul II, en 2005.

Tombe de frère Roger.

Et que dire de l’itinéraire religieux de son grand-père maternel : séminariste catholique jusqu’au sous-diaconat, puis prêtre dans l’Eglise vieille-catholique, avant d’être consacré pasteur réformé ? Frère Roger n’en a jamais parlé et, aujourd’hui encore à Taizé, c’est une sorte de tabou à ne pas transgresser.
La recherche de Frère Roger, nous avons essayé, ici, de la restituer au plus près. Sans nous arrêter à la « légende », mais aussi avec le souci de ne pas travestir la vérité d’un itinéraire exceptionnel.
Outre les volumes du Journal de Frère Roger, où, souvent, il faut savoir lire entre les lignes, d’autres sources permettent de reconstituer les diverses étapes de sa vie. Il y a, d’abord, les témoignages que nous avons pu recueillir auprès de certains membres de sa famille (par exemple, sa fille adoptive, Marie Strugala), auprès de frères ou d’anciens frères de la Communauté et auprès de ceux qui, catholiques, protestants ou orthodoxes, ont été les témoins de sa vie.

Assassiné en pleine nuit de prières, frère Roger a connu le même sort que saint Pierre d'Arbues.

De nombreuses archives ecclésiastiques, institutionnelles ou privées, attendaient aussi l’historien, en France et en Suisse. Elles se sont avérées très riches, pleines de surprises et de documents précieux pour mieux saisir les décisions et les tentatives.
Frère Roger fut un « passeur » de frontières. Suisse, il s’installe en France en 1940. Calviniste, il fonde la première communauté monastique protestante en terre française. Fils de pasteur, pasteur lui-même, il est allé audelà du protestantisme. « Il est formellement catholique » disait, en 2005, le cardinal Kasper, président du Conseil pontifical pour l’Unité des chrétiens, au cardinal Barbarin qui l’interrogeait sur l’appartenance confessionnelle deFrère Roger (2). Il a toujours franchi les murailles pour aider et rassembler. En 1940-1942, il aide des réfugiés politiques et des Juifs ; en 1945-1946, il soulage deux camps de prisonniers de guerre allemands établis près de Taizé ; dans les années 1950-60, il est à la pointe du dialogue oecuménique ; dès 1966, il pressent une vague de contestation radicale dans la jeunesse d’Europe et il saura y voir une soif de questions. Et le reste de sa vie, il mettra en oeuvre une pédagogie d’accompagnement de la jeunesse qui sera admirée par beaucoup et critiquée par certains. Frère Roger appartient maintenant à l’histoire de l’Eglise mais aussi à l’histoire de l’Europe. Les Eglises, elles, ont vu en lui un rassembleur qu’elles n’ont pu tenir à l’écart, avec lequel elles ont entretenu un dialogue, parfois rude et difficile. Si Taizé, d’origine protestante, s’est rapproché du catholicisme, il y a eu un mouvement inverse : Taizé a influencé et le protestantisme et l’Eglise catholique.
1 Le premier article qui évoque ces rencontres paraît dans le Monde le 27 octobre 1960.
2 Lettre du cardinal Barbarin à l’auteur, le 23 février 2007.
Cet ouvrage peut être commandé à l'auteur au prix de 25 euros (port compris) en écrivant à à l’ASSOCIATION NIVOIT, 5, rue du Berry, 36250 NIHERNE


Un jeune pèlerin de Taizé.

mardi 12 février 2008

Le livre qui dérange l’Université

Olivier Pichon, directeur du magazine Monde & Vie.

Révolution française La vérité dont ils ne voulaient pas

Au moment où paraît le Livre noir de la Révolution française (Cerf, 882 pages, 44 €), les députés Hervé de Charette et Lionnel Luca cosignent une proposition de loi relative à la reconnaissance du génocide vendéen de 1793-1794. Extraits de l’exposé des motifs :
« Les exemples montrant la volonté incontestable de la Convention d’anéantir une population sont nombreux et variés ; ce qu’explique en 1794 Gracchus Babeuf dans un pamphlet, Du système de dépopulation ou La Vie et les crimes de Carrier, dans lesquels il dénonce les exactions commises par J-B Carrier lors de sa mission à Nantes qu’il nomme populicide. » (disponible intégralement sur le site de l’Assemblée nationale).

Pour la sortie de ce livre, Olivier Pichon, directeur du magazine Monde & Vie a posé quelques questions à l’historien Reynald Secher qui a participé à sa rédaction au titre de ses travaux sur le génocide vendéen*.

M&V : Vous avez participé à la rédaction du Livre noir, mais ce livre ne vient-il pas tardivement ?

Reynald Secher : Oui et non. Oui, parce que le bicentenaire de la Révolution française était l’occasion de dire enfin la vérité sur cette révolution et sa vraie nature. Il n’en était pas question à l’époque pour deux raisons :
1. Nous étions en pleine ère mitterrandienne et le chef de l’État, au nom de l’intérêt supérieur de la nation voulait une commémoration monolithique qui ne soit entachée d’aucune critique historique. L’université, lieu naturel de la liberté de recherche mais inféodée au pouvoir s’est soumise à ce désir politique et idéologique. Il faut se souvenir qu’à l’époque, les cérémonies n’ont été consacrées qu’à la glorification de la Révolution, toute contestation refoulée et les contestataires réprimés.
2. Il faut se souvenir qu’à l’époque l’URSS était toujours présente, les blocs s’affrontaient encore et que les intellectuels français penchaient du côté du socialisme soviétique qui se voulait héritier de la Grande Révolution française et réciproquement. Souvenons-nous d’ailleurs du sort réservé aux intellectuels de haut niveau comme François Furet, dénoncé à l’époque comme un parjure. D’ailleurs, dans ce livre, Stéphane Courtois souligne cette filiation. D’où le fait que cette commémoration fut concentrée sur une seule année avec le fiasco que l’on sait.
Au niveau international il faut se rappeler qu’un certain nombre de chefs d’États avaient dénoncé cette commémoration par exemple Margareth Thatcher et Ronald Reagan en parlant de détournement de vérité historique.
Non, parce qu’il n’est jamais trop tard pour qu’éclate la vérité, d’autant que le contexte médiatique est bouleversé et que si les médias et les universités s’interdisent de parler de l’ouvrage, Internet fera le travail. Le directeur de la collection, Renaud Escande, a été d’ailleurs surpris de la passion manifestée depuis quelques mois à l’annonce de cette publication et notamment des lettres d’insultes et de menaces qu’il a reçues. Qui plus est, au niveau national avec l’effondrement du marxisme et du Parti communiste, les enjeux sont différents et le corps enseignant est devenu plus critique par rapport à ce qu’on lui demande de transmettre et la presse plus sceptique. Au niveau international, la chute de l’URSS a bouleversé la donne et, maintenant, la vérité éclate sur ce qu’a été le communisme en URSS et à travers le monde. Avec la publication du Livre noir du communisme par Stéphane Courtois, on a compris la nature véritable de la Révolution et, par ricochet “à travers la fille on juge la mère”. À titre d’exemple, grande a été ma surprise lorsque la première chaîne de télévision russe, en découvrant que Lenine avait exterminé Tambov au nom de la Vendée, est venue me voir pour comprendre ce qu’était la Vendée et a réalisé un film diffusé le 1er novembre 2007 en prime time. Le succès a été tel qu’ils en sont à la troisième rediffusion! Avec le recul, le bicentenaire a été le chant du signe de l’historiographie révolutionnaire dominée par le robespierisme et la fin d’une vision manichéenne de l’histoire régionale, nationale et internationale. Pour notre époque, comprendre le génocide vendéen c’est comprendre le génocide arménien et juif. Le recul de l’histoire permet de mieux comprendre la manipulation de l’histoire et le révisionnisme déjà dénoncé par Taine en 1884 et, bien entendu, le négationnisme car la Vendée est un prototype.

M&V : Il semble que tout le monde n’entende pas ce discours, je trouve dans les documents officiels diffusés par le Centre de documentation pédagogique (CNDP, Chouans et Vendéens, n° 469) sous la direction de l’historien robespierriste Jean-Clément Martin des thèses résolument négationnistes sur la Vendée.

R.S. : On ne peut qu’être stupéfait par les contenus de cette revue destinée aux enseignants. À titre d’exemple : « Certains parlent improprement de génocide, en fait il n’y eut pas de plan de destruction, mais un délire politique pendant quelques mois de 1793 à 1794 autorisant des mesures menées de façon incohérente… parler de génocide c’est ne pas voir que près de la moitié de la France a été rangée dans la contre-révolution militante et punie » [sic]. En clair, il nie l’existence de la loi d’anéantissement votée le 1er août 1793, de la loi d’extermination du 1er octobre 1793, du plan Turreau dont nous avons l’original au fort de Vincennes. Très explicite puisque Turreau général en chef de l’armée de l’Ouest écrit lui-même à la Convention : « J’ai commencé l’exécution du plan que j’avais conçu de traverser la Vendée sur 12 colonnes… enfin si mes intentions sont bien secondées il n’existera plus, dans la Vendée, sous 15 jours ni maisons ni subsistances ni armes ni habitants que ceux qui, cachés dans le fond des forêts, auront échappé aux plus scrupuleuses perquisitions. »

Propos recueillis par Olivier Pichon

*) Le génocide franco-français, la Vendée vengée, Reynald Secher, éd. Perrin

mardi 20 novembre 2007

Leclerc en noir et blanc

Leclerc
Jean-Christophe Notin
Perrin, 620 p., ill., cartes, notes, sources, biblio., index, 25 e, ISBN 2-262-02173-2.

Leclerc est l’un des grands chefs français de la Seconde Guerre mondiale. Il n’est jamais facile d’écrire la biographie d’un tel personnage car les grands capitaines sont des êtres pleins d’aspérités, de cassures, de ruptures et d’épisodes sombres où la nature humaine se révèle dans toute sa force et, aussi, dans toute sa noirceur. Avec Leclerc, la difficulté de l’exercice est accrue par la dimension d’icône politique qu’il a acquise à partir de 1944. Notre homme était devenu pour la presse et la radio de Londres la figure exemplaire d’une France invaincue, le général guerrier agissant dans l’ombre de De Gaulle, le général politique. L’auteur, à qui l’on doit un bon travail sur l’Armée française en Allemagne en 1945 (également publié par Perrin), n’a pas eu peur de s’attaquer au mythe pour retrouver le soldat et l’homme. Le résultat est bien éloigné de l’image d’Epinal que les Français connaissent, mais elle colle bien davantage à la réalité approchée par les historiens. On suit ce hobereau richissime dans ses tribulations militaires, des heures critiques de 1940 au coup de dés chanceux de Koufra, aux retrouvailles sans aménité avec l’Armée française en Afrique du nord. L’auteur montre à quel point il dut transiger avec ses anciens camarades et mettre de l’eau dans son verjus, tempérer sa haine viscérale pour tous ceux n’ayant pas suivi De Gaulle, afin de se refaire une place et obtenir le matériel américain si nécessaire pour équiper sa 2e division blindée. Parfois, comme le rappelle l’auteur, l’aversion est trop forte et les propos qu’il tient sont cruels et blessants. Ainsi, quand il accueille, bien malgré lui, un régiment blindé de fusiliers marins il leur dit : « Je ne voulais pas de vous. Je vous ai acceptés parce que le général De Gaulle vous a imposés à moi. »

Un homme compliqué dont la légende dorée ne retient qu'un visage.

Le débarquement, la bataille de Normandie, la libération de Paris… l’auteur emmène le lecteur au pas de charge car ce qui lui importe est de brosser le portrait du chef plutôt que de tenir la comptabilité des combats. Pourtant, les chiffres sont impressionnants. En septembre 1944, une formation de la division établit une tête de pont en déplorant cinq tués et vingt blessés. En revanche, les Allemands perdent cinq chars et… deux cents hommes. L’auteur ne nous dit pas si ce chiffre comprend des prisonniers. De même, lors de l’attaque de Dompaire, les Allemands ont eu trois à quatre cents tués pour seulement 44 tués français de la 2e DB. Cette disproportion entre les pertes des attaquants et des défenseurs est peu crédible et peut susciter de légitimes interrogations. Des événements semblables auraient eu lieu au Bourget et, surtout, à Andelot. Il est dommage que l’auteur n’ait pas enquêté sur ces tragédies qui pourraient ternir la réputation de cette belle unité.
Homme rude, Leclerc va de l’avant sans trop se soucier de la casse. A Strasbourg, il n’hésite pas à proclamer qu’il va fusiller des otages civils pour chaque soldat français tué ! Heureusement, il est rappelé à l’ordre par le commandement américain qui l’enjoint de respecter le droit international. Mis sous les ordres du général de Lattre, il trépigne de colère et il propose à De Gaulle de se charger du maintien de l’ordre en France pour échapper à cette subordination ! Il est envoyé en France et participe à la résorption des poches de l’Atlantique avant de repartir bride abattue en Allemagne pour se joindre à la ruée finale.
Démentant la discrétion à laquelle il nous a habitués, l’auteur étudie avec honnêteté un des drames qui font tache sur la réputation de la 2e DB et de son chef, la mise à mort en dehors de toute légalité de douze prisonniers à Bad Reichenhall, selon toute vraisemblance sur l’ordre de Leclerc, rendu fou furieux par l’insolence des captifs à son égard.
Enfin, c’est l’apothéose. L’unité atteint le nid d’aigle du Führer à Berchtesgaden, dernier épisode du conflit en Europe. Le retour à la paix n’est guère facile. Mais la guerre se poursuit en Asie et Leclerc fait un petit tour en Indochine (où l’auteur démonte largement la légende pieuse du Leclerc décolonisateur) avant de revenir en métropole pour aider à consolider la présence française en Afrique. C’est au cours d’un voyage d’inspection qu’il trouve la mort dans un accident d’avion qui a donné lieu à toutes sortes de légendes. L’auteur prend le temps de dissiper les fantasmes conspirationnistes de tout poil dans une enquête qui ne laisse aucune zone d’ombre.
Jean-Christophe Notin a concentré la biographie de Leclerc pour la faire tenir dans un format commercialement acceptable sans sacrifier l’essentiel. Rendons également hommage à l’auteur de ne pas avoir trop concédé à l’historiquement correct tout en évitant les pièges de l’hagiographie. Un bel exercice d’équilibriste qui augure bien de la suite de ses travaux et de sa carrière.