mardi 28 octobre 2008

Des leçons de la crise de 1929 pour notre temps


The Forgotten Man
Amity Shlaes

A new History of the Great Depression
Perennial/Harper, 472 p., biblio., index, 15,95 USD, ISBN 978-0-06093642-6.

Pour décrire la situation actuelle, R. Jeremy Grantham, directeur d'une société d'investissement américaine ne mâche pas ses mots : « C'est la panique comme dans une crise du XIXe siècle, quand les financiers courent de tous côtés comme des poulets sans tête. Je suis dans les affaires depuis quarante ans et je n'ai jamais vu rien de semblable. »

Les bourses plongent et le monde s'achemine vers une dépression économique qui rappelle expliquent à la télévision les commentateurs affolés celle de 1929. Oui, cette terrible dépression née en Amérique qui a amené Hitler au pouvoir et provoqué indirectement l'holocauste. De quoi faire peur au citoyen moyen qui tremble pour son livret A.

Que faire pour sortir de la crise financière sans pour autant plonger dans la récession ? Tout le monde parle des initiatives de Ben Bernanke, le patron de la réserve fédérale américaine qui a ouvert en grand le robinet des dollars, de Gordon Brown qui a sauvé les banques britanniques de la faillite en les noyant sous livres sterling ou encore de Nicolas Sarkozy qui du haut de ses talonnettes a obligé les Européens à leur tour à ouvrir la vanne aux euros pour abreuver nos établissements financiers à point de succomber.

Comment expliquer une réaction aussi rapide des grands argentiers du monde ? En temps normal ils mettent du temps à concocter des réponses qui en général arrivent trop tard.

Cette réactivité est probablement le résultat d’une meilleure connaissance des mécanismes économiques de la part des élites qui nous gouvernent.


La crise de 1929, une expérience traumatisante

L'Amérique est sortie de la Première Guerre mondiale comme la première puissance mondiale, son économie, dopée par la production de guerre, a exploité la double révolution de l'automobile et de l'électricité pour s'embarque dans une prospérité insolente. L'Amérique se passionne pour la radio, découvre les bienfaits des appareils ménagers ou encore du conditionnement d'air dans les maisons particulières. L'optimisme, l'argent facile, la rapidité des communications (la radio transmet instantanément les nouvelles), le téléphone à longue distance devient abordable, l'invention de nouveaux outils financiers incitent les Américains à se jeter à corps perdu dans le boursicotage. Largement ignoré jusque-là, l'indice Dow Jones devient l'objet de toutes les conversations. En cinq ans, de 1924 à, octobre 1929, les cours de bourse ont été multipliés par quatre l'indice Dow Jones est ainsi passé de 100 à près de 400.

Ces niveaux de cours de bourse n'étaient pas forcément surcotés. L'investisseur qui aurait acheté des actions au plus haut de leur cours et qui les aurait conservées aurait engrangé de coquets rendements.

Mais en octobre 1929, en à peine six jours, la bourse perd le tiers de sa valeur car les spéculateurs étaient passés brusquement de l'optimisme le plus absolu au pessimisme le plus total. Les plus prudents s'étaient retirés du marché à partir de l'été quand des signes de ralentissement économique étaient apparus. Mais les autres, convaincus de la hausse continue des cours, avaient emprunté encore davantage pour acheter des actions à crédit dans le but de les revendre plus cher quelque temps plus tard et empocher un coquet bénéficie tout en remboursant les sommes empruntées. Cette spéculation est facilitée par le fait que les agents de change acceptent un simple dépôt de 30% pour passer l'ordre de vente.

Le jeudi noir, le 24 octobre 1929, un début de baisse, immédiatement répercuté dans tout le pays par les nouveaux médias de masse, plonge les investisseurs amateurs et bien des professionnels dans la panique la plus totale. Les ordres de vente se multiplient. Les boursicoteurs cherchent à se débarrasser des actions qu'ils ont achetées à crédit avant que les cours ne descendant en dessous de leur prix d'achat. Au cours de la journée, treize millions d'actions sont échangées et les s’effondrent.

Le mécanisme est simple à comprendre. Un spéculateur emprunte mille dollars pour acheter chez un agent de change trois mille actions à 1 dollar. Il escompte les vendre trois mois plus tard avant l'échéance de son emprunt à environ 1,10 dollar. Il empochera donc 3300 dollars, de quoi payer l'intermédiaire, rembourser son emprunt avec ses intérêts et empocher un bénéfice. En revanche, si le cours tombe, mettons à 80 cents, il encaisse 2400 euros perdant ainsi 600 des mille dollars initialement empruntés. Il est obligé de piocher dans ses réserves pour payer l'agent de change et pour rembourser la banque. Il est donc vital pour ces investisseurs qui, pour beaucoup d'entre eux ont mis leurs maisons en garantie de leurs emprunts, de vendre aussi vite que possible pour éviter la ruine.

Le vendredi, des interventions des grandes banques au secours des actions des grandes entreprises ralentissent la baisse et cherchent à dissuader les petits porteurs de vendre.

Mais, durant la fin de semaine, tous les boursicoteurs amateurs du pays prennent connaissance de la chute des cours et la panique devient générale.

Peine perdue. Le lundi, le mouvement de panique des petits, moyens et grands investisseurs, tous pris dans le tourbillon spéculatif à la hausse des cours, est tel que les ordres de vente des actions embouteillent le parquet. Les lignes télégraphiques ne suffisent plus pour acheminer les ordres de vente qui affluent de tout le pays et même des grandes places étrangères. Le mardi, un record de 16 millions d'actions sont échangés. Il faudra attendre 1968 pour retrouver ce niveau d'échanges. Le niveau des prix de 1929 ne sera retrouvé qu'en 1943 et celui du niveau boursier en 1954

Paradoxalement, la crise de 1929, avec les images de boursicoteurs désespérés se jetant par la fenêtre à Wall Street ou des hommes d'affaires ruinés vendant dans la rue leurs voitures de luxe pour une bouchée de pain restent davantage gravées dans la mémoire collective que les dix années de dépression économique qui ont suivi et qui ont plongé le monde dans le chaos.


Une piqûre de rappel


À Brooklyn, alors que le mois de novembre s'enfonce dans la grisaille, William Troeller, un jeune garçon de 13 ans, rendu désespéré par la situation financière de ses parents, se pend dans sa chambre. En rendant compte du drame, le New York Times précise : « à table, il n'osait pas réclamer sa part ». Dans d'autres pages, le quotidien publie des statistiques désespérantes sur le chômage, un Américain sur cinq n'a pas de travail et annonce une nouvelle chute de la bourse. On vient à peine de décrocher le corps de l'enfant que le secrétaire au Trésor déclare pourtant que l'économie est saine et qu'il faut s'atteler à boucler un budget en équilibre. Pendant ce temps, Herbert Hoover se rend à Colby dans le Maine pour recevoir un énième doctorat honoris causa.


Herbert Hoover.

Racontés ainsi par Amity Shlaes dans son livre The Forgotten Man, A New History of the Great Depression, ces événements nous semblent familiers. On les retrouve dans tous les ouvrages décrivant la crise de 1929 et la Grande Dépression qui s'en est suivie, plongeant l'Amérique et le désespoir le plus noir avant que ne soit enfin élu Franklin Roosevelt et que son New Deal redonne espoir à l'Amérique et au monde.

Mais l'auteur, une jolie blonde qui cache bien son jeu, s’empresse de détromper le lecteur : ces quelques lignes peuvent sembler familières « mais, en réalité, ces événements ont eu lieu en 1937. Il y avait une dépression au sein de la Dépression, cinq ans après l'élection de Franklin Roosevelt et quatre années après l'introduction du New Deal ».

Le ton est donné. Roosevelt et sa clique de gauchistes formés à l'école de Moscou vont en prendre pour son grade grâce à cette petite bonne femme dont pedigree libéral est impeccable.

Historienne, spécialisée en économie, Amity Shlaes est salariée du Council of Foreign Relations, la bête noire des conspirationnistes de tout poil. Une des plumes les plus acérées de Wall Street, elle écrit une chronique régulière pour la chaîne d'informations Bloomberg, après avoir collaboré au Financial Times au Wall Street Journal, à Fortune ou encore à la National Review. Ce n'est pas elle qui viendrait signer ses livres à la fête de l'Huma.

Amity Shlaes n'a pas seulement Roosevelt dans son collimateur, elle aligne tranquillement l’un après l’autre les universitaires qui ont interprété ces événements tragiques en insistant sur les défauts du capitalisme et en vantant les mérites des politiques interventionnistes du New Deal. Elle les rend responsables de l'ensemble des idées fausses qui imprègnent les acteurs politiques ou la population en général. Elle n'hésite pas à les rendre responsables les fans de Roosevelt de l'addiction actuelle des économies à la dépense publique.

L'auteur ne cherche pas à expliquer les mécanismes de la crise et de la dépression. Les amateurs de chiffres et de graphiques compliqués seront déçus. Elle s'attache à interpréter les événements à partir de la perception qu'en avaient les gens de cette époque, s'attachant davantage à raconter les hommes qu'à décrypter des statistiques. Le résultat est passionnant, jamais ennuyeux et toujours parfaitement référencé, même si largement partial et souvent injuste. Certes l'auteur n'est pas un soutien inconditionnel de Roosevelt et du New Deal, bien au contraire, mais elle s'éloigne des ouvrages écrits par d'autres auteurs en décrivant ses personnages en nuances de gris plutôt qu'en noir et blanc.

On peut résumer sa thèse en peu de mots : la chute brutale de la bourse en 1929 est le résultat d'un mécanisme autorégulateur des marchés. Ce sont les politiciens mal avisés qui l'ont transformé en krach. Le trop célèbre New Deal de Roosevelt n'a fait qu'empirer les choses en prolongeant la dépression.



La thèse d'Amity Shlaes : « Roosevelt a prolongé la Grande Dépression ».

Face à la crise, si les conseillers de Roosevelt étaient tous unis contre Wall Street et les grandes entreprises, accusées de sacrifier l'intérêt général à leurs intérêts particuliers, ils étaient partagés quant à la marche à suivre. Pour les uns, il fallait retourner à l'individualisme des pères fondateurs en cassant les trusts et les grandes entreprises pour les réduire en petites unités à la taille humaine. Pour les seconds, revenus tourneboulés de voyages d'étude en Union soviétique, il convenait, bien au contraire, de créer de grands trusts d’état aux ordres d’une économie centralisée, la seule capable se mettre au service du citoyen tout en évitant le gaspillage.

L'auteur argument que Roosevelt n'avait pas d’idée préconçue quant aux politiques à suivre. Tout simplement parce qu’il n'y connaissait strictement rien. Le président faisait appel à ses conseillers pour bâtir des argumentaires électoraux où il cassait du milliardaire et inventer des taxes destinées à faire payer les riches et les grandes entreprises. Quant aux mesures à prendre pour sauver l'économie, il choisissait celles qui pouvaient lui apporter un avantage électoral auprès des ouvriers syndiqués ou des agriculteurs ou encore des acteurs et des musiciens.

En revanche, Amity Shlaes reproche à Roosevelt d’avoir négligé l'Américain entreprenant, celui que l'économiste William Graham Sumner appelait « l'homme oublié » (qui donne son titre à l'ouvrage : The Forgotten man) celui qui travaille, vote, prie le plus souvent, mais qui paye toujours ». Selon l’auteur, si le New Deal s'était tout autant occupé de cet homme oublié que des « chouchous à Roosevelt », le pays serait bien plus vite sorti de la crise.

Mais un obstacles les plus inattendus auxquels ont fait face les révolutionnaires de salon de l'entourage de Roosevelt fut le conservatisme inné des Américains et la réluctance des ouvriers à se laisser embrigader dans des proches de changement à grande échelle de la société.

Très opportunément, Amity Shlaes tire Odette Keun de l’oubli. Cette journaliste française, et maîtresse du romancier socialisant H.G. Wells à ses moments perdus, venue aux Etats-Unis en voyage d'exploration, n'en revient pas: « En Amérique, les ouvriers sont de droite. C'est une des découvertes les plus étonnantes que j'ai faites. (…) Leur conservatisme est le fruit du tempérament des salariés eux-mêmes. La classe ouvrière n'est pas révolutionnaire. Il n'est pas animé par une haine fanatique du capitalisme. Le travailleur n'a pas l'impression que le système est essentiellement injuste, infâme et exécrable et qu'il doive être balayé de la surface de la terre. »

Pourtant, c'est l'incapacité du système à surmonter la crise qui mérite qu'on s'y attarde plutôt que les circonstances qui ont conduit au krach d'ailleurs l'auteur ne s'attarde pas trop sur les causes du désastre.

L'auteur souligne une différence fondamentale entre notre situation actuelle et celle de 1919. À cette époque, à l'instar de la majorité de leurs concitoyens, les hommes politiques ignoraient tout de l'économie et ignoraient les causes du désastre et n'avaient aucune idée des mesures à prendre tout comme ils ne comprenaient rien aux conseils des économistes.

A posteriori, il semble aisé de critiquer le président Hoover qui a été accusé par les démocrates de tous les péchés de la terre, en particulier de n'avoir rien fait pour combattre la crise. L'auteur insiste à juste titre qu’Hoover bien au contraire a pris de nombreuses mesures qui ne seront que reprises et amplifiées par Roosevelt, dire qu'il n'a rien fait est une grossière exagération.

Au sein de la population, la crise et la dépression économiques étaient perçues comme une sorte de cataclysme naturel mettant un terme normal à une période de prospérité anormale, les fameuses années folles. Ces gens-là n'avaient pas vécu les trente glorieuses et les bienfaits de la société industrielle n'avaient pas encore percolé l'inconscient collectif.

L'auteur s'interroge sur la postérité du New Deal et son étonnante et durable popularité. Pour le grand public, ce sont les mesures prises par Roosevelt qui ont sorti l'Amérique de la crise. La presse s'ingénie à juxtaposer les images de la misère des paysans ruinés avec celle de cohortes de jeunes gens musclés participant aux travaux d'intérêt général financés généreusement par le budget fédéral. La conclusion de cette démonstration visuelle est que le capitalisme cause la misère et l'intervention de l'état remet les gens au travail.

La réalité est bien moins simple. L'auteur ne conteste pas la pauvreté des ruraux Américains, mais elle rappelle que son impact dans l'opinion a été largement amplifié par les travaux de photographes financés par le gouvernement de Roosevelt comme Dorothea Lange dont les clichés ont fait le tour du monde. Or ces images faisaient partie de l'appareil de propagande du New Deal pour justifier aux yeux de l'opinion l'intervention massive de l'état fédéral.

La fin de la dépression est à juste titre associée à la remise en marche de l'économie par l'influx massif d'argent public rendu nécessaire par l'entrée en guerre des États-Unis. Les économistes de gauche en profitent pour suggérer que Roosevelt aurait pu sortir son pays de la crise plus tôt en intervenant encore plus massivement dans l'économie. Amity Shlaes offre une autre explication. Jusqu'alors, Roosevelt avait laissé la bride sur le cou à ses théoriciens, dont certains étaient très influencés par le marxisme à la sauce soviétique. Avec l'entrée en guerre, il s'est rendu compte qu'il ne pouvait l'emporter sans l'aide et le concours des hommes d'affaires et des industriels auxquels il avait tourné le dos. Pour l'auteur, c'est tout autant le retour en grâce du big business que l'effort de guerre qui a remis l'Amérique au travail et fait revenir la prospérité.

La lecture de l'ouvrage d'Amity Shlaes a sans aucun doute influencé les acteurs économiques et a probablement contribué à préparer intellectuellement les banquiers centraux à intervenir massivement au secours des marchés financiers. La raison est simple : il est bien plus coûteux d'affronter une dépression qu'une crise financière. C'est la grande leçon apprise de la crise de 1929.

1 commentaire:

Vanessa a dit…

Je pense que le libéralisme au sens originel du terme est la meilleure des politiques économiques. L'Etat ne doit se consacrer qu'au service public et non à l'économie. Je pense aussi que si le new deal n'était pas intervenu, la situation se serait améliorée au fil du temps, avec la conjoncture de l'époque.