Le magazine AF2000 daté du 17 janvier 2008 a publié un entretien avec Jean Tulard dont voici un extrait.
M. Tulard est le grand spécialiste de Napoléon. Membre de l’Institut après avoir été directeur d’études à l’École pratique des hautes études, professeur à l’université de Paris-Sorbonne et à l’Institut d’études politiques de Paris, Jean Tulard est l’auteur d’une cinquantaine d’ouvrages.
Il a collaboré au Livre noir de la révolution française à paraître ce lundi aux éditions du Cerf.
Ouvrage collectif regroupant les noms des plus grands spécialistes, ce pavé jeté dans la marre de la mémoire nationale fait le bilan des destructions révolutionnaires qui ont pesé et à bien des égards pèsent encore sur les destinées de la France. Il a bien voulu répondre à nos questions.
Af 2000 :Ce Livre noir de la révolution française paraît presque vingt ans après les célébrations du bicentenaire qui avaient donné lieu à de nombreuses publications. Certains se souviendront du livre de René Sédillot, Le coût de la révolution française, ou encore des ouvrages de Reynald Sécher sur le génocide Vendéen. Depuis, nous avons vu émerger une querelle autour des travaux de François Furet, puis comme une suite à cela un débat autour du Livre noir du communisme. Que s’est-il passé depuis lors ?
Jean Tulard: Il faut d’abord remarquer que, paradoxalement, le bicentenaire a donné lieu à un réquisitoire contre la révolution, y compris pour des gens venus de la gauche comme Furet : la révolution était décrite comme un dérapage, une perte de contrôle qui si elle n’était pas entièrement condamnable ne méritait pas une telle commémoration. Après le bicentenaire on a pu constater un tarissement des publications qui abondaient précédemment.
Af 2000 : Vous avez évoqué le nom de François Furet. Sur ses traces d’autres historiens ont entamé un véritable examen critique du communisme et partant de sa paléontologie, la Terreur jacobine : le directeur du Livre noir du communisme, Stéphane Courtois a également collaboré à ce Livre noir de la révolution française. Comment envisagez-vous cette collaboration ?
J.T.: Je ne suis pas surpris de voir des personnalités abusées par l’idéologie communiste, qui ont commencé leur recherches sur le communisme les poursuivre par des travaux sur la période révolutionnaire. C’est le même réflexe qui est à l’œuvre dans les deux révoltions. Des liens très étroits unissent le communisme à la révolution française. Lénine admirait Mathiez, le grand robespierriste de la Sorbonne. Des noms de révolutionnaires ont été donnés à des navires soviétiques. Il était nécessaire que le rapport Kroutchev, critiquant le modèle stalinien de la révolution communiste conduise à une révision de la révolution française, tant la révolution russe s’était constituée en héritière de la révolution française.
Af 2000 : Pourquoi la révolution a-t-elle été si sanglante ?
J.T. : Tout d’abord il y a les excès de la foule révolutionnaire avec ses débordements sanglants. Enfin et surtout la Terreur. En effet la Terreur est irréductible à des « débordements ». La Terreur est voulue pour terroriser les adversaires : dès le 14 juillet, lorsque la foule promène la tête de Launay cela n’a pas d’autre but. Il s’agit dès lors d’annihiler les résistances. La guillotine est dissuasive, mais lorsque l’on promène les condamnés dans une charrette au pas sur des kilomètres avant d’arriver à l’échafaud nous avons déjà à faire à un système terroriste. Les noyades de Nantes aussi sont dissuasives, lorsque les pêcheurs à la ligne sur les bords de Loire ont vu passer les cadavres au fil de l’eau ça a dû tempérer leurs sentiments contre-révolutionnaires.
Af 2000 : Vous avez écrit il y a plus de dix ans Le Temps des passions : espérances, tragédies et mythes sous la Révolution et l’Empire. À quelles passions la révolution a-t-elle donné libre cours?
J.T.: La haine et l’envie. Je vous répondrai en citant un mot de Napoléon : « Qu’est-ce qui a fait la révolution ? La vanité. La liberté n’a été qu’un prétexte. » Il s’agissait de détruire une société bloquée, dont la mobilité sociale s’était réduite.
Il y eut la haine de Marie-Antoinette entretenue par les gazettes et les chansons évoquant sa toilette et sa brioche. La révolution trouve sa source dans la lutte de la vanité des uns contre l’arrogance des autres. Ce fut la revanche des humiliés, pas celle des opprimés. Avec la nationalisation des biens du clergé émerge une nouvelle classe dominante, celle des bourgeois acquéreurs de biens nationaux : l’aristocratie laisse sa place à la ploutocratie. En effet, les révolutions sont toujours une bonne occasion de faire fortune.
Af 2000 : N’est-ce pas d’abord la passion de l’égalité comme l’a dit si justement Tocqueville ?
J.T. : Il faut appeler les choses par leur nom. Ce à quoi se refusent le libéral fumeux Tocqueville et ses disciples. Préférez lui l’ultra Fiévé, ce contre-révolutionnaire qui rejoindra Bonaparte d’ailleurs, qui dans son merveilleux roman La dote de Suzette rend si bien compte de ce que j’évoquais à l’instant : l’envie, la vanité, l’ambition et la cupidité. (…)
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dimanche 27 janvier 2008
Le vrai visage de la Révolution
Le livre noir de la Révolution française
Cerf, 882 p., ill., notes, 44 e, ISBN 978-2-204-08160-3.
Remis de l'étonnement de voir le nom des éditions du Cerf sur la couverture d'un livre à contre courant des thèmes à la mode, je me suis plongé dans la lecture de ce recueil de contributions, aux auteurs prestigieux, chacune apportant un éclairage bien informé et argumenté d'un des aspects de cette grande catastrophe de notre histoire.
On peut regretter que le directeur de l'ouvrage, frère prêcheur de son état, puisse sembler être un partisan du moindre effort. Aucune préface, aucune introduction ne vient nous raconter la genèse de ce livre pas ordinaire. Aucune conclusion ne met en lumière les apports originaux des contributeurs ou ne tente une synthèse des différentes analyses. L'éditeur aussi n'est pas à l'abri de toute critique. Ceux qui voudraient se servir de l'ouvrage comme outil de travail en seront pour leurs frais : pas d'index, pas de bibliographie, etc.
Le filon de la mauvaise humeur épuisé, il reste dans le livre de belles et riches veines de pur métal à exploiter. Relevons tout d'abord la qualité des auteurs. Non seulement on trouve des spécialistes, injustement écartés de l'université française par le conformisme idéologiques des toqués qui la gouvernent, comme Reynald Sécher, mais aussi des mandarins solidement entranchés dans l'institution comme Emmanuel Le Roy Ladurie, Stéphane Courtois ou Jean Tulard. Guidé par un instinct très sur du potentiel des ventes, l'éditeur a su également réunir des auteurs bien en cour auprès des libraires : Jean Des Cars, Ghislain de Diesbach, Jean-Christian Petitfils ou Jean Sévillia. On relève aussi des noms d'historiens comme Jean De Viguerie dont les analyses sur le patriotisme révolutionnaire et sur l'adhésion du royalisme moderne de l'Action française à ce patriotisme ont hérissé le poil de quelques secteurs de l'opinion de droite. (*) C'est très bien d'avoir pensé à lui pour cet ouvrage.
Dans une première partie « les Faits », le lecteur trouve notamment un remarquable travail de Pierre Chaunu sur la sécularisation des biens de l'Eglise, un de Reynald Sécher sur la guerre de Vendée, un article de T. Josserand sur la fin de la Marine royale ou encore une analyse de Stéphane Courtois sur la Révolution française et la Révolution d'octobre.
Une deuxième partie, « le Génie » rassemble des contributions consacrées à principalement à des analystes de cette tragédie française : Rivarol, Joseph de Maistre, Louis de Bonald, Donoso Cortez ou encore Hannah Arendt. En revanche, on relève quelques absences inexplicables comme celle de Burke.

Burke, un grand oublié
Enfin, un troisième partie offre une anthologie de textes et de documents liés à la Révolution, bien choisis et toujours à la fois pertinents et émouvants.
Le grand mérite de ce livre est de mettre à la portée du grand public un regard critique sur la Révolution française. Comme le signalent les auteurs, il ne s'agit pas de « noircir » le mythe fondateur de la France contemporaine, mais de rappeler les faits tels qu'ils ont eu lieu. Des faits bien éloignés de la vulgate qui encombre l'esprit des Français.
Reflet d'une exigence de vérité, ce livre est une œuvre d'utilité publique et devrait faire partie de la liste des cadeaux de grands-parents bien inspirés désireux d'éclairer des petits-enfants abusés par une historiographie officielle toute acquise à la cause des sans-culotte.
(*) Jean De Viguerie n'a exprimé qu'un sentiment bien normal d'étonnement devant le ralliement de Maurras au drapeau tricolore, un choix qui devrait révulser tout vrai monarchiste. En lisant cet historien on ne peut qu'approuver ces points de vue iconoclastes, par exemple quand il répond à la question d'un journaliste sur l'Alsace et la Lorraine : « On peut se demander s’il fallait faire tuer un million trois cent cinquante trois mille hommes pour les récupérer ». De Viguerie ajoute que « les Alsaciens-Lorrains n’ont pas tellement souffert sous l’administration allemande, les catholiques notamment. Ils ont jadis fait partie du Saint-Empire et pouvaient demeurer au sein du nouvel Empire allemand...» Je ne vois rien à redire à ce qu'exprime Jean De Viguerie. La France serait bien mieux lotie aujourd'hui, certes sans ces deux provinces, mais aussi sans les monuments aux morts.
Le grand mérite de ce livre est de mettre à la portée du grand public un regard critique sur la Révolution française. Comme le signalent les auteurs, il ne s'agit pas de « noircir » le mythe fondateur de la France contemporaine, mais de rappeler les faits tels qu'ils ont eu lieu. Des faits bien éloignés de la vulgate qui encombre l'esprit des Français.
Reflet d'une exigence de vérité, ce livre est une œuvre d'utilité publique et devrait faire partie de la liste des cadeaux de grands-parents bien inspirés désireux d'éclairer des petits-enfants abusés par une historiographie officielle toute acquise à la cause des sans-culotte.
(*) Jean De Viguerie n'a exprimé qu'un sentiment bien normal d'étonnement devant le ralliement de Maurras au drapeau tricolore, un choix qui devrait révulser tout vrai monarchiste. En lisant cet historien on ne peut qu'approuver ces points de vue iconoclastes, par exemple quand il répond à la question d'un journaliste sur l'Alsace et la Lorraine : « On peut se demander s’il fallait faire tuer un million trois cent cinquante trois mille hommes pour les récupérer ». De Viguerie ajoute que « les Alsaciens-Lorrains n’ont pas tellement souffert sous l’administration allemande, les catholiques notamment. Ils ont jadis fait partie du Saint-Empire et pouvaient demeurer au sein du nouvel Empire allemand...» Je ne vois rien à redire à ce qu'exprime Jean De Viguerie. La France serait bien mieux lotie aujourd'hui, certes sans ces deux provinces, mais aussi sans les monuments aux morts.
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