Affichage des articles dont le libellé est Brit'Mag. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Brit'Mag. Afficher tous les articles

dimanche 19 avril 2009

Les mensonges du Daily Mail

Brit'Mag, un magazine que les Français peuvent lire aussi !

Les Anglais, comme toute grande nation, sont très fiers de l’histoire et, dans les temps difficiles, ils aiment s’y raccrocher. La presse populaire illustre bien cette tendance en accordant dans ses colonnes beaucoup d’importance aux grandes heures du pays, avec un plaisir tout particulier quand il s’agit de villipender les Allemands ou ridiculiser les Français, ces Cheese-eating surrender monkeys. Très récemment, le magazine Brit'Mag, très lu par les Anglais qui vivent en France, a publié un article sur les ravages de la presse populaire anglaise quand il s'agit de traiter l'histoire. En voici une traduction rapide.

A
u mois de décembre dernier, j’ai été frappé une fois de plus par les articles que le Daily Mail, probablement un des quotidiens britanniques les plus francophobes. D’habitude, je suis frappé par leur insistance à rappeler le moindre événement lié à la Seconde Guerre mondiale, our finest Hour à tout propos.


Les journalistes britanniques réduisent l’histoire militaire de la France à Trafalgar, Waterloo et à la défaite de 1940, quand la France a été contrainte de demander l’armistice. C’est de bonne guerre de rappeler aux Français des moments de leur histoire qu’ils n’aiment guère. Ils pourraient tout autant rappeler la bataille de Blenheim ou le duc de Marlborough joua un grand rôle en 1704 dans une des plus grandes défaites françaises de l’histoire.

Ce qui frappe le plus à la lecture de la presse populaire britannique quand elle s’intéresse à l’histoire est son chauvinisme et son ignorance. Toujours prête à rappler aux français, ces ces Cheese-eating surrender monkeys que les Allemands les ont battus à plate couture en 1940, sans préciser à leurs lecteurs que les Français ont eu 100 000 tués en 45 jours (70000 pour les Anglais) et que, sans le canal de Manche, les allemands auraient défilé à Londres comme ils l’ont fait à Paris.

Au mois de décembre un article du Daily Mail consacré au RMS Lusitania illustre bien les défauts de ce journalisme bon marché dont sont si friands les Britanniques.

Au départ : une information intéressante. Des plongeurs envoyés par le millardaire Gregg Bemis explorer l’épave du Lusitania au large des côtes irlandaises ont rapporté avoir découvert des caisses de munitions et ont profité de l’opportunité pour tenter de réécrire une page de l’histoire.

Sans aucun esprit critique, ils reprennent les déclarations du milliardaire américain qui est convaincu que la présence des munitions à bord du paquebot prouve je ne sais quel complot anglais pour forcer l’Amérique à entrer en guerre. En voici quelques exemples :

Those four million rounds of .303s were not just some private hunter's stash.
Now that we've found it, the British can't deny any more that there
was ammunition on board. That raises the question of what else was
on board.

There were literally tons and tons of stuff stored in unrefrigerated
cargo holds that were dubiously marked cheese, butter and oysters.
'I've always felt there were some significant high explosives in the
holds - shells, powder, gun cotton - that were set off by the torpedo
and the inflow of water. That's what sank the ship.


L'histoire du Lusitania méritait mieux que le gribouillage du Daily Mail. Voici un court rappel des faits.

Lancés par la compagnie Cunard en 1906 pour concurrencer les nouveaux paquebots allemands en service sur l’Atlantique nord, le Lusitania et son jumeau le Mauretania ont bénéficié d’un financement avantageux du gouvernement britannique et de généreuses subventions annuelles. En échange, l’armateur s’engage en cas de conflit à mettre les deux navires à la disposition de la Royal Navy pour leur transformation en croiseurs auxiliaires.

Mis en service en septembre 1907, dès le mois suivant le Lusitania s’empare, à 25 nœuds de moyenne, du ruban bleu qu’il conservera deux ans avant de le céder au Mauretania. Après la déclaration de guerre, l’Amirauté renonce à mobiliser le Lusitania, trop grand et trop coûteux à entretenir. A pleine vitesse, ses chaudières consomment mille tonnes de charbon par jour !
En dépit des hostilités, le bâtiment poursuit ses traversées sous les couleurs de la Cunard alors que le Mauretania devient un transport de troupes. Toutefois, pour réduire les coûts, l’armateur désactive six chaudières et réduit la vitesse maximale à 21 nœuds.

En février 1915, quand l’Allemagne déclare les eaux britanniques zone de guerre, des citoyens américains d’origine germanique obtiennent de l’ambassade du Reich à Washington qu’elle publie des avis prévenant les Américains désireux de se rendre en Europe de ne pas emprunter de paquebots de puissances ennemies de l’Allemagne.

En dehors de quelques passagers qui changent d’avis et renoncent à partir, le Lusitania prend la mer le 1er mai 1915 comme prévu et la traversée de l’Atlantique se déroule sans incident.
En approchant de l’Irlande, le commandant Turner, le nouveau pacha (il remplace le célèbre William Turner qui, le mois précédent, a fait savoir à la Cunard qu’il ne voulait plus prendre la responsabilité de passagers en zone de guerre), reçoit des messages répétés de l’Amirauté le prévenant de la présence de sous-marins ennemis et l’enjoignant de s’éloigner des côtes et de naviguer à pleine vapeur. Le 7 mai, contrevenant aux instructions impératives de la Marine, le commandant se rapproche pourtant des côtes pour relever sa position et réduit sa vitesse pour entrer à Liverpool avec la marée. La conjonction de ces deux négligences va se révéler fatale.
Le même jour, alors que lU-20 achève sa patrouille en mer d’Irlande et fait route vers sa base, la vigie aperçoit une fumée à l’horizon. Le commandant ordonne de plonger afin de se mettre en position de lancement. A 14 h 10 un torpille frappe le Lusitania à tribord, en arrière de la passerelle. La première explosion est suivie par une seconde qui précipite la fin du paquebot. Cette mystérieuse déflagration a suscité depuis lors une vaste littérature conspirationniste peu convaincante.

Pour des raisons mal éclaircies, l’eau envahit très rapidement les compartiments tribord et le Lusitania prend une gîte prononcée, interdisant la mise à l’eau de 42 des 48 chaloupes de sauvetage. Dix-huit minutes seulement après l’impact, le navire disparaît de la surface des flots à 8 milles au large du cap d’Old Head, près de Kinsale, entraînant dans les fonds 1 198 personnes dont 128 Américains.

Le président Wilson réagit vigoureusement à la nouvelle de la mort de ses compatriotes sans pour autant engager son pays dans une confrontation autre que diplomatique avec l’Allemagne. Mais après ce torpillage, l’opinion publique américaine commence résolument à pencher du côté des pays de l’Entente. Ce mouvement est encouragé par une presse majoritairement acquise aux intérêts financiers, massivement engagés aux côtés du Royaume-Uni et de la France. Autre victime collatérale du torpillage, le secrétaire d’État William Jennings Bryan démissionne le 9 juin 1915 car il désapprouve l’évolution belliciste du président.

Les Allemands étaient-ils en droit de couler ce navire ?

L’armateur a embarqué en toute légalité une cargaison de 1 500 t, en majorité à finalité militaire (dont des feuilles et du fil de cuivre ainsi qu’un chargement de cartouches de fusil et d’obus à balles), qui est détaillée sur le manifeste déposé auprès des autorités américains et publié intégralement par la presse dès le lendemain du torpillage. En revanche, on ne trouve nulle trace d’explosifs dans la cargaison. Des auteurs avancent pourtant l’hypothèse de la présence de 600 t de pyroxyline (coton-poudre) qui auraient été inscrites dans le manifeste au titre de « fourrures » ou de « fromage » pour expliquer la seconde explosion ayant secoué le navire. Mais non seulement les soutes d’un paquebot ne sont pas adaptées pour contenir de type de marchandises mais l’exploration visuelle de l’épave par des plongeurs n’a pas permis de déceler de traces de cette explosion.

Selon le droit international en vigueur à l’époque, le fait de transporter des munitions ne modifie en rien le statut de navire marchand du Lusitania. Le commandant du sous-marin ennemi est tenu de donner l’opportunité à l’équipage et aux passagers d’évacuer le navire avant de le couler.

En revanche, aux yeux de la réglementation britannique en vigueur en 1915, les marchandises embarquées à bord du Lusitania rentrent dans la catégorie de la « contrebande de guerre » et font du navire un forceur de blocus contre lequel une action militaire sans avertissement est licite.

En outre, les Allemands ont connaissance des ordres de l’Amirauté britannique enjoignant les cargos à résister et à éperonner le sous-marin qui, respectant le droit international, ferait surface auprès du cargo pour vérifier sa nationalité et le couler le cas échéant, après avoir donné le temps à l’équipage et aux passagers d’évacuer.

Pour les Allemands, le paquebot non seulement se trouve dans une zone de guerre où tout navire ennemi peut être attaqué, mais les nouvelles règles anglaises dispensent désormais les sous-marins de tout avertissement préalable.

Les Anglais ont-ils délibérément mis en danger le Lusitania ?

Certains auteurs ont accusé le premier lord de l’Amirauté Winston Churchill d’avoir guidé délibérément le navire vers des sous-marins allemands en embuscade au large de l’Irlande, parfaitement identifiés et repérés par le service d’écoutes britannique. Le but de la manœuvre étant de provoquer la mort de citoyens américains et de conduire les Etats-Unis à déclarer la guerre à l’Allemagne. Rien ne vient appuyer cette théorie fumeuse fabriquée en manipulant les faits ou en inventant des témoignages. Bien au contraire, la lecture de la correspondance diplomatique britannique révèle qu’au printemps 1915 les Anglais souhaitent le maintien de la neutralité américaine.

samedi 14 mars 2009

William Henry Waddington croqué par fanity Fair pendant le congrès de Berlin.


Quand un Anglais gouvernait la France

Durant un peu moins d’un an, au tout début de la IIIe République, William Henry Waddington, un Anglais naturalisé, a gouverné la France et a largement contribué à établir la république dans un pays encore tenté par la monarchie.

William Waddington est des personnages injustement sombrés dans l’oubli le plus total. Qui se souvent encore que cet Anglais, n’ayant opté pour la nationalité française qu’à sa majorité, et après ses études à Cambridge, a joué un rôle important à un moment crucial de l’histoire de France ?

À un moment où une première génération de Britanniques, nés ou élevés en France, arrive à l'adolescence, la vie de W. Waddington est un miroir dans lequel ils peuvent se reconnaître. Comme lui voici un siècle et demi, de plus en plus de jeunes d'origine insulaire s'interrogent sur leurs études, sur leur avenir.

Une famille anglo-écossaise en France

Comme de nombreux jeunes et talentueux industriels du textile, William Waddington s'établit en France en 1780 et épouse en 1792 la fille d’Henry Skyes, fondateur d’une filature de coton à Saint-Rémy-sur-Avre. Gérée avec talent, cette manufacture va prospérer et assurer la fortune de la famille jusqu’en 1932.

Petit-fils du fondateur, William Henry Waddington naît au château de Saint-Rémy en 1826. Garçon intelligent et précoce, il joue avec les autres enfants de son âge avec lesquels il parle français. En revanche, en famille, tout le monde parle anglais et se rend au culte protestant en compagnie d’ouvriers et de contremaître britanniques des filatures paternelles.

Après des études secondaires au lycée Saint-Louis à Paris, W. Waddington poursuit ses études en Angleterre. Il est tout d’abord inscrit à la Rugby School puis au Trinity College de Cambridge où il décroche second-class honours and won the chacellor’s medal. He rowed in the first race of 1849 in a Cambridge crew of Trinity men. A 23 ans, il est un jeune Anglais typique, grand élancé et élégant que tout prédispose à poursuivre une brillante carrière britannique comme l’y invite his cousin Waddington, then dean of Durham.

À la stupéfaction de ses camarades, le jeune William choisit de rentrer en France pour devenir archéologue. Comme son grand-père avant lui en 1816, il sollicite et obtient la naturalisation en 1850. Quelques années plus tard, son frère cadet Charles renonce à une prometteuse carrière militaire au Royaume-Uni pour revenir à son tour en France s’occuper de la manufacture familiale.

Protestant, libéral de tempérament, britannique d’éducation, William s’intègre néanmoins avec aisance dans le monde universitaire et rejoint progressivement l’opposition à Napoléon III. Abandonnant les affaires de la filature à son frère, il se consacre à plein temps à l’archéologie, multipliant les voyages au Proche-Orient, relevant les inscriptions et collectionnant les monnaies. William publie de nombreuses et très érudites études qui lui ouvrent en 1865 les portes de l’Académie des inscriptions et des belles lettres. Bien installé dans un château de l’Aisne, Waddington mène la vie confortable d’un grand bourgeois. Il ne connaît qu’une déception, deux échecs consécutifs aux élections législatives.

La guerre le conduit au pouvoir

La défaite de la France en 1870 change la donne. En février 1871, William Waddington est enfin élu député à l’Assemblée nationale qui doit faire la paix avec l'Allemagne et doter la France d'un nouveau régime. Au Parlement, le nouveau député est convaincu que la république est le moins mauvais des régimes et qu’il est le seul à permettre aux Français de vivre ensemble.
Cet engagement résolu en faveur du nouveau régime est récompensé en août 1872 par un éphémère ministère de l’Instruction publique qui dure à peine cinq jours. W. Waddington attend quatre ans avant de retrouver le même portefeuille en 1876. L’année suivante, il devient ministre des Affaires étrangères avant de recevoir la difficile mission de présider le gouvernement en 1879. Durant près d’une année, il sera amené à jouer un délicat travail d’équilibre entre un sénat conservateur et une chambre plus à gauche. Le bilan de son gouvernement est notable : amnistie partielle pour les insurgés de la Commune, adoption de la Marseillaise comme hymne national, retour des chambres de Versailles à Paris, développement des chemins de fer, création d'une école normale par département, l'adoption d'un budget en équilibre. Mais la présence de nombreux protestants dans son ministère (cinq sur dix !), des mesures hostiles à l'église catholique comme l'abrogation de l'interdiction du travail le dimanche et une épuration des fonctionnaires pas assez républicains suscitent l'hostilité de la droite et finalement, Waddington démissionne le 27 décembre 1879.

Homme d’Etat d’expérience, polyglotte, W. Waddington reçoit en mai 1883 la mission de représenter la France au couronnement du tsar Alexandre III. À son retour, il accepte sa nomination au poste d’ambassadeur à Londres où il restera de juillet 1883 à mars 1893. Appartenant à la meilleure société anglaise par sa naissance, le nouvel ambassadeur voit toutes les portes s’ouvrir devant lui. Il retrouve aux plus hauts postes du gouvernement ceux qui furent ses camarades d’université. La reine Victoria le juge « plus anglais que ses ministres » et ne se lasse pas de l'écouter raconter ses souvenirs d'étudiant à Cambridge. Grâce à cet unique entregent, il gère sans heurts les relations entre les deux pays au point que des journaux l’accusent d’être plus anglais que français: « M. Waddington n’aurait qu’à se déguiser en Français pour être sûr de n’être pas reconnu », lisait-on dans le journal de droite l’Union. Ces accusations totalement infondées vont constituer une note amère sur la fin de sa carrière politique car ces médisances joueront un rôle dans sa défaite aux élections sénatoriales du 7 janvier 1894. Fatigué, malade et découragé par cet échec, W. Waddington meurt à Paris une semaine plus tard.

Détesté par une droite qui lui reprochait son soutien à la République, boudé par la gauche qui ne comprenait pas sa modération, protestant dans un pays catholique, anglais parmi des Français, aujourd’hui oublié de tous, W. H. Waddington a néanmoins contribué à faire de la France le pays que nous connaissons aujourd’hui, méritant la gratitude et le souvenir de ses compatriotes tant Britanniques que Français.


Une version traduite et réduite de ce texte est parue dans les colonnes de Brit'Mag.