vendredi 2 juillet 2010

Bravo Merchet


Je n'en reviens pas. Le spécialiste en questions militaires de Libération ose parler d'un livre qui dérange.

Courageux, décapant, il m'étonne. Je finis pas croire que son traitement de l'affaire du légionnaire décédé accidentellement à Djibouti relève de l'erreur de parcours.

Son post, consacré à la parution de l'ouvrage d'Eric Lefèvre et d'Eric Pigoreau sur Bad Reichenhall, est un modèle du genre. Comment aborder honnêtement des faits qui dérangent. Je me souviens d'une conservation avec un journaliste du Figaro, dont je tais le nom volontairement, préparant un grand article à la gloire du Maréchal en question, qui m'a dit froidement que ce crime de guerre n'en était pas car les victimes étaient de mauvais Français.

Fermez le ban et lisez Libération.


Bad Reichenhall : un livre revient sur un "épisode tragique" de la 2ème DB de Leclerc

Le 8 mai 1945, douze Waffen SS français sont fusillés par d'autres soldats français, appartenant à la 2ème DB du général Leclerc. L'affaire se passe non loin de Bad Reichenhall, une bourgade bavaroise au sud de l'autoroute Munich-Salzbourg. L'affaire est connue des spécialistes, mais elle l'est peu et mal, en général rapidement évoquée dans les biographies de Leclerc. Pour la première fois, un livre très bien documenté est entièrement consacré à cet "épisode tragique". Il va faire grincer des dents. Ce fut le cas des miennes...

Disons le d'entrée : les préférences des deux auteurs ne sont pas, loin s'en faut, celles du "pacha" de ce blog, admirateur inconditionnel de l'épopée de la France libre. Eric Lefèvre fut un proche collaborateur de l'écrivain d'extrême-droite Jean Mabire et Olivier Pigoreau est un jeune journaliste passionné par le PPF de Doriot. Ils n'aiment visiblement guère les Gaullistes de la France libre et sont plus attirés par le destin des 15.000 Français qui revêtirent volontairement l'uniforme nazi. Mais, pour y avoir consacré deux ans d'enquête, ils connaissent l'épisode de Bad Reichenhall mieux que quiconque. Et les faits sont là, assurémment dérangeants.

Au pied du nid d'aigle d'Hitler, les combats ont cessé la veille. La guerre est finie. Le PC de Leclerc est installé à Bad Reichenhall. Des soldats américains, qui les avaient fait prisonniers, viennent déposer douze hommes, des Waffen SS, dans la rue où est installé l'état-major de la 2ème DB. Stupeur chez les Français : ces SS sont, eux aussi, français - issus de la Division Charlemagne ! Leclerc passe les voir quelques minutes et une altercation a lieu. Alors qu'il leur demande s'ils n'ont pas honte de porter l'uniforme allemand, l'un des prisonniers fait remarquer au libérateur de Paris qu'il porte bien, lui, l'uniforme américain. C'en est trop. Leur destin est scellé. Dans l'après-midi du 8 mai, ils sont fusillés par la 4ème compagnie du Régiment de marche du Tchad (RMT), dans une clairière proche de Bad Reichenhall. Les corps sont abandonnés là et ne seront inhumés que trois jours plus tard par l'armée américaine.

Qui sont-ils ? Seuls cinq des douze ont pu être identifiés. Leur vie, chaotique et misérable, est longuement racontée dans le livre : tous sont des volontaires, parfois issus de la LVF, qui voulaient combattre le "bolchevisme" au nom de "l'Europe nouvelle". Dans quel cadre juridique ont-ils été fusillés ? Apparamment, cela n'a pas été une question trop longtemps débattue. S'agit-il d'une méprise, de la mauvaise compréhension d'un ordre ? Les auteurs n'y croient pas et il pointe la responsabilité directe du général Leclerc. D'autres historiens contesteront sans doute leur interprétation, mais ils devront le faire à partir des éléments avancés dans ce livre.

Après guerre, cette affaire a fait l'objet de plusieurs enquêtes, dont une confiée à la Gendarmerie nationale. Enquêtes enterrées pour ne pas porter atteinte à la mémoire de Leclerc, concluent les auteurs. Les circonstances de la mort du Maréchal en 1947 sont évoquées, notamment parce qu'un "scénario", auquel les auteurs n'adhèrent pas, expliquerait l'accident de l'avion de Leclerc par un sabotage d'un proche d'un SS français fusillé à Reichenhall...

L'endroit de la fusillade est devenu un lieu de pélérinage pour les nostalgiques du IIIème Reich ; on apprend ainsi que Franz Schonhuber, leader (aujourd'hui décédé) des Republikaner allemands, un temps allié du Front national, en fut l'un des plus actifs promoteurs.

On accusera sans doute les auteurs de ressortir une histoire nauséabonde à des fins politiques. Peu importe : l'historien ou le journaliste ne doit pas se demander quelle cause sert tel ou tel fait qu'il relate- et qu'il faudrait, c'est selon, exposer ou bien taire - , mais uniquement de savoir si les choses sont vraies ou fausses. Et, en l'occurrence, elles semblent vraies.

L'image de Leclerc en ressort-elle salie, abîmée ? Philippe de Hauteclocque n'était pas un saint. C'était un homme, avec ses faiblesses - ses péchés, aurait dit ce grand chrétien - au premier chef desquels la colère et pas mal d'orgueil. Ce que montre surtout ce livre, c'est d'abord que la guerre n'est jamais une jolie chose, même si la cause pour laquelle on la fait est, sans l'ombre d'un doute, la bonne.

1 commentaire:

Nicolas Bernard a dit…

Une critique plus approfondie de ce livre a été publiée ici : http://www.histobiblio.com/Bad-Reichenhall.html